PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 64713/01 

présentée par Giovanni MONTERA 

contre l’Italie

  La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 9 juillet 2002 en une chambre composée de

      MM. C.L. Rozakis, président

  G. Bonello, 

  P. Lorenzen, 

 Mmes N. Vajic, 

  S. Botoucharova, 

 M. E. Levits, 

 Mme E. Steiner, juges

et de M. E. Fribergh, greffier de section,

  Vu la requête susmentionnée introduite le 22 décembre 2000,

  Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

 

 

EN FAIT

  Le requérant, M. Giovanni Montera, est un ressortissant italien, né en 1932 et résidant à Reggio de Calabre. Il est représenté devant la Cour par Me M. Miccoli, avocat à Reggio de Calabre.

 

A.  Les circonstances de l’espèce

  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

  Avant de prendre sa retraite, le requérant était un magistrat de la Cour de cassation. Des poursuites disciplinaires furent ouvertes à son encontre à plusieurs reprises. En 1996 et 1997, le Conseil supérieur de la magistrature (ci-après, le « CSM ») classa ces poursuites, vu l’absence de violations aux règles de la déontologie.

  Le 26 juillet 2000, une commission parlementaire chargée d’enquêter sur le phénomène de la mafia et sur d’autres organisations criminelles similaires (commissione parlamentare d’inchiesta sul fenomeno della mafia e delle altre associazioni criminali similari, ci-après indiquée comme « la commission parlementaire ») approuva à la majorité un rapport concernant l’état de la lutte à la criminalité organisée en Calabre. Les pages 80 à 90 de ce rapport contiennent des références au requérant, notamment en ce qui concerne les relations existantes entre ce dernier et un certain X, membre d’une association des malfaiteurs enracinée en Calabre. La commission parlementaire précisa que ces relations avaient fait l’objet de procédures pénales et disciplinaires, terminées avec la relaxe du requérant. Elle décida de publier, dans une note de bas de page, une lettre dans laquelle le requérant présentait ses défenses.

  La commission parlementaire releva en particulier que les relations en question avaient été analysées dans une ordonnance de classement des poursuites émise par le juge des investigations préliminaires de Messine le 18 décembre 1995. Cette décision citait notamment les déclarations du notaire Z. Par ailleurs, le requérant lui-même avait avoué connaître X, précisant que ce dernier, bien qu’accusé d’un meurtre, avait ensuite été acquitté. Ce meurtre - observa la commission parlementaire - avait été perpétré à l’encontre de W, l’un des chefs de la criminalité organisée italienne, et aurait ensuite dû être jugé par la cour d’assises de Reggio de Calabre, à l’époque présidée par le requérant. Par une ordonnance du 25 juin 1982, cette dernière avait décidé de suspendre la procédure dirigée contre l’un des accusés, beau-frère de X. Le 25 mars 1992, Y, nouveau président de la cour d’assises, avait révoqué l’ordonnance du 25 juin 1982, observant que le fait que l’accusé était depuis longtemps en fuite n’était pas un élément pouvant amener à croire qu’il était décédé. La commission parlementaire cita ensuite les déclarations faites par Y à cet égard, nota que le requérant avait conclu avec X un contrat pour l’achat d’un terrain et que le juge des investigations préliminaires de Messine avait exclu l’existence de faits délictueux dans les relations entre le requérant et X, tout en soulignant que celles-ci concernaient deux personnes dont les rôles dans la société auraient dû être opposés.

  La commission parlementaire se référa également aux poursuites disciplinaires entamées contre le requérant, qui concernaient notamment les relations que ce dernier aurait eues avec certaines personnes - parmi lesquelles X - accusées ou soupçonnées d’activités liées à la mafia. Les poursuites avaient été ensuite classées par le CSM. Le rapport de la commission parlementaire cita un long extrait de cette décision de classement, dont il ressortait qu’au moins une rencontre avait eu lieu entre le requérant et X. Bien qu’inopportune, celle-ci ne constituait pas une « fréquentation » et ne pouvait pas justifier l’adoption de sanctions disciplinaires.

  La commission parlementaire releva que le CSM n’avait pas examiné une circonstance mentionnée par Z, à savoir que X aurait demandé au requérant « d’arrêter les (...) plaintes portées contre certains magistrats de Reggio de Calabre ». Ces accusations de Z, jugées générales et peu précises, furent classées par le juge des investigations préliminaires de Messine le 29 février 1996. La commission parlementaire observa cependant qu’il ne ressortait pas du dossier que dans le cadre de cette procédure pénale des contrôles spécifiques eussent été accomplies quant à la grave affirmation de Z.

  La commission parlementaire rappela enfin qu’une procédure pour transfert d’office avait été ouverte contre le requérant. Elle avait été classée le 22 mai 1996 au motif que le requérant aurait de toute manière dû quitter Reggio de Calabre.

  Aux pages 129 et 130 de son rapport, la commission parlementaire cita certaines déclarations de Y. Celles-ci concernaient son expérience de magistrat à Messine, ville dans laquelle il avait dû renoncer à plusieurs formes de vie sociale afin d’éviter des pressions et demandes quant à son activité de juge dans la mesure où elle touchait la mafia, des hommes politiques ou des entrepreneurs locaux. Y termina son exposition comme suit :

 « Après il est arrivé que [Y] trouva dans un tiroir caché (...) le procès concernant le meurtre de [W] (...), l’homicide de mafia le plus important perpétré en Calabre ; il avait été oublié dans un tiroir, il était suspendu. On a découvert que probablement la maçonnerie a eu une partie dans ce procès. Par là, je ne veux pas dire qu’il est tragique que dans cette réalité les forces du mal arrivent à utiliser pour des buts détournés aussi ce type d’association, qui poursuit des buts objectivement légitimes (...) ».

  La commission parlementaire déclara partager l’exigence, exprimée par Y, de ne pas confondre la maçonnerie illégitime avec la maçonnerie authentique, à savoir celle qui avait été démocratique et antifasciste.

  Le rapport de la commission parlementaire fut ensuite rendu public et fit l’objet d’articles de journaux et de certaines émissions télévisées. Des copies du rapport furent envoyées à des nombreuses institutions publiques, telles que le Président de la République, les administrations locales (régions, provinces, communes) et les bureaux judiciaires.

  Cependant, même avant la date d’approbation du rapport (26 juillet 2000), au moins deux journaux italiens firent des références à son contenu.

  En particulier, le 4 juillet 2000, Il corriere della sera publia un article intitulé « Pourquoi la ‘ndrangheta [organisation de type mafieux enracinée en Calabre] n’est pas un reliquat archaïque », qui concernait notamment le projet de rapport sur l’état de la lutte à la criminalité organisée en Calabre, qui aurait dû être discuté et approuvé par la commission parlementaire. Cet article ne faisait aucune référence au requérant.

  Dans son numéro de juin/juillet 2000, le périodique Il dibattito publia un long article intitulé « Malhonnêtes », qui contenait une critique dure et serrée du projet de rapport de la commission parlementaire. Dans la mesure où il concerne le requérant, cet article se lit ainsi :

 « Plus dégoûtante est la référence de la commission à l’existence de relations entre [X] et l’ancien magistrat de la cour d’appel de Reggio, M. Montera ».

  Après avoir cité un passage du projet de rapport, l’article continua comme suit :

 « Selon les informations dont je dispose, le petit rapport de messieurs les professionnels de la lutte à la mafia est complètement faux. Il est vrai, au contraire, que non seulement Montera a été relaxé par la magistrature de Messine des calomnies portées contre lui, mais aussi a refusé, devant des témoins encore vivants, les excuses que le notaire Z avait essayé de lui présenter avant de se suicider. Et à propos du notaire Z, c’est quoi que la commission n’a pas dit ? Avec qui Z parlait-il au téléphone ? Avec des magistrats et des femmes de magistrats pour comploter contre d’autres magistrats honnêtes ? Comment cela se fait que Z disposait des numéros de portables de certains magistrats ? Au téléphone Z parlait-il aussi de testaments avec certains magistrats ? Qui et pourquoi a suicidé Z juste au moment où le notaire, s’étant aperçu d’avoir été usé, avait décidé de sortir les pourritures de la poubelle ? (...) Par hasard, Z entretenait-il des relations, non pas avec Montera, mais avec les magistrats du parquet national pour la lutte à la mafia ? Avec des membres du CSM ? ».

  Le 25 août 2000 Il corriere della sera publia une lettre du requérant par laquelle ce dernier fit des précisions quant à un article le concernant publié le 23 août 2000.

  Par ailleurs, ayant appris que la commission parlementaire était en train de discuter des questions qui auraient pu le concerner, le requérant avait, depuis le 28 juin 2000, demandé d’être entendu, adressant des courriers également au Président de la République italienne et aux Présidents du Sénat et de la Chambre des Députés. Cependant, il n’obtint aucun résultat, et le rapport de la commission parlementaire fut adopté sans avoir, au préalable, procédé à l’audition du requérant. Le 2 octobre 2000, le requérant présenta un mémoire dans lequel il contesta certaines affirmations le concernant contenues dans ledit rapport.

 

B.  Le droit interne pertinent

1.  L’immunité des membres du Parlement

  L’article 68 § 1 de la Constitution reconnaît une immunité aux sénateurs et députés. Cette disposition est ainsi libellé :

 « Les membres du Parlement ne peuvent pas être appelés à justifier les opinions et les votes exprimés dans l’exercice de leurs fonctions ».

  La Cour constitutionnelle a précisé que la délibération d’une Chambre législative affirmant que le comportement de l’un de ses membres tombe dans le champ d’application de la disposition précitée empêche d’entamer ou de continuer toute procédure pénale ou civile visant à établir la responsabilité du parlementaire en question et à obtenir la réparation des dommages subis (arrêts nos 1150 de 1988, 129 de 1996 et 265 de 1997).

2.  La commission parlementaire d’enquête

  Aux termes de l’article 82 de la Constitution,

 « Chaque chambre [législative] peut ordonner des enquêtes sur des matières d’intérêt public.

 A ces fins, elle nomme une commission composée par ses membres et formée de manière à respecter la proportionnalité entre les différents groupes [parlementaires]. La commission d’enquête accomplit les investigations et interrogatoires avec les mêmes pouvoirs et les mêmes limites des autorités judiciaires ».

  La commission chargée d’enquêter sur le phénomène de la mafia et sur d’autres similaires organisations criminelles a été crée par la loi no 509 du 1er octobre 1996. L’article 1 §§ 1 et 2 de celle-ci se lit comme suit :

 « 1.  Aux sens de l’article 82 de la Constitution, il est institué, pour la durée de la XIII législature, une commission parlementaire d’enquête sur le phénomène de la mafia, qui aura comme tâche de :

 a) vérifier l’exécution de la loi no 646 du 13 septembre 1982 [dispositions en matière de mesures de prévention de caractère patrimonial et création d’une précédante commission parlementaire sur le phénomène de la mafia] (...) et des autres lois de l’état, ainsi que des directives du Parlement, avec référence au phénomène mafieux ;

 b) établir si la législation en vigueur est adéquate, formulant les propositions de caractère législatif et administratif estimées opportunes pour rendre plus coordonnée et efficace l’initiative de l’Etat, des régions et des organes locaux, et plus adéquats les accords internationaux concernant la prévention des activités criminelles, l’assistance et la coopération judiciaire ;

 c) établir et évaluer la nature et les caractéristiques des mutations et des transformations du phénomène mafieux et de toutes ses connexions ;

 d) informer le Parlement à la fin de ses travaux, ainsi qu’à chaque fois qu’elle l’estime opportun, et en tout cas au moins une fois par an.

 2.  La commission procède aux enquêtes et aux examens avec les mêmes pouvoirs et les mêmes limites des juridictions judiciaires ».

  L’article 22 § 1 du règlement de la commission d’enquête est ainsi libellé :

 « Lorsque la commission souhaite informer le Parlement aux sens de l’article 1 § 1 d) de la loi no 509 du 1er octobre 1996, le Président prépare un projet de rapport, ou bien il charge l’un des membres [de la commission] d’un préparer un. Le projet est présenté par le Président ou le rapporteur dans une réunion ad hoc. Le document [en question] peut être divulgué seulement après une délibération de la commission. Si le document est divulgué avant la délibération de la commission, le Président en informe les Présidents des deux chambres du Parlement (...) ».

 

 

GRIEFS

  1.  Invoquant l’article 6 §§ 1, 2 et 3 de la Convention, le requérant se plaint de l’iniquité de la procédure suivie par la commission parlementaire pour l’approbation de son rapport et d’une atteinte aux principes de la présomption d’innocence et du ne bis in idem.

  2.  Invoquant les articles 6 § 2 et 8 de la Convention, le requérant se plaint de la divulgation du rapport de la commission parlementaire.

  3.  Invoquant l’article 13 de la Convention, le requérant allègue de ne disposer, en droit italien, d’aucun recours efficace pour contester la procédure suivie par la commission parlementaire et les affirmations contenues dans le rapport de cette dernière.

 

 

EN DROIT

  1.  Le requérant considère que la procédure devant la commission parlementaire a été inéquitable et a porté atteinte aux principes de la présomption d’innocence et du ne bis in idem. Il invoque l’article 6 §§ 1, 2 et 3 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, se lit comme suit :

 « 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...).

 2.  Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

 3.  Tout accusé a droit notamment à :

 a)  être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

 b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

 c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

 d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ».

  Le requérant souligne ne pas avoir eu l’opportunité d’être entendu par la commission parlementaire et de se défendre, personnellement ou par les biais d’un avocat de son choix, des « accusations » portées à son encontre. Par ailleurs, ces dernières ne lui auraient pas été préalablement communiquées, et le requérant n’aurait pu ni interroger les témoins à charge, ni présenter des témoignages ou d’autres preuves à sa décharge.

  Le requérant considère en outre que la commission parlementaire, étant composée de représentants des partis politiques, n’était pas un « tribunal » indépendant et impartial.

  Le requérant se plaint également du fait d’avoir été « condamné » par la commission parlementaire sur la base des affirmations de mafieux repentis, sans tenir compte des décisions du CSM et des juridictions judiciaires de classer les poursuites pénales et disciplinaires à son encontre. Ceci aurait violé le principe du ne bis in idem. Le requérant souligna enfin que les déclarations de Z et Y seraient fausses, calomniatrices et inspirées par des sentiments de vengeance.

  La Cour doit d’abord déterminer si l’article 6 de la Convention doit s’appliquer à la procédure devant la commission parlementaire, autrement dit vérifier s’il a été statué dans cette procédure sur un « droit de caractère civil » du requérant ou sur une « accusation en matière pénale » portée contre lui.

  Pour décider si une « accusation en matière pénale » au sens de la Convention est en jeu dans un cas précis, il importe d’abord de savoir si le texte définissant « l’infraction » ressortit ou non au droit pénal d’après la technique juridique de l’Etat défendeur ; il y a lieu d’examiner ensuite, eu égard à l’objet et au but de l’article 6, au sens ordinaire de ses termes et au droit des Etats contractants, la nature de « l’infraction » ainsi que la nature et le degré de gravité de la sanction que risquait de subir l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Garyfallou AEBE c. Grèce du 24 septembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-V, p. 1830, § 32, et Kadubec c. Slovaquie du 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI, p. 2529, § 50).

  En l’espèce, la procédure d’enquête parlementaire visait à établir et évaluer la nature et les caractéristiques des mutations et des transformations du phénomène mafieux. La commission parlementaire n’était chargé ni de décider si le requérant avait commis une infraction ni de prononcer des sanctions formelles à son encontre.

  La Cour rappelle qu’il est possible qu’une personne soit « accusée » au sens de l’article 6 de la Convention, alors même que le droit interne ne prévoit aucune accusation formelle (voir l’arrêt Deweer c. Belgique du 27 février 1980, série A no 35, p. 23, § 44, et P. c. Autriche, no 17072/90, décision de la Commission du 29 juin 1992, Décisions et rapports (DR) 73, pp. 186, 192). En l’espèce toutefois, le rôle de la commission parlementaire se bornait à examiner le phénomène mafieux dans le but de l’étudier et de vérifier tant l’exécution des lois existantes, tant la nécessité de procéder à des modifications législatives. Dans ce type de questions d’intérêt général et véritablement public, rien n’indique que les travaux de la commission parlementaire aient constitué une quelconque forme déguisée de procédure pénale. La commission parlementaire ne s’étant pas prononcée sur la responsabilité pénale, disciplinaire ou administrative du requérant, il n’existait pas d’infraction dont il aurait fallu examiner la nature.

  La Cour constate dès lors que la question dont la commission parlementaire était saisie n’était pas de nature à emporter décision sur une « accusation en matière pénale » pesant sur le requérant (voir mutatis mutandis l’arrêt I.J.L., G.M.R. et A.K.P. c. Royaume-Uni, nos 29522/95, 30056/96, et 30574/96, § 100, CEDH 2000-IX et Ninn-Hansen c. Danemark, (déc.), no 28972/95, CEDH 1999-V concernant la procédure devant la juridiction d’instruction, pp. 376-377). Rien dans le dossier ne permet de penser qu’elle était appelée à trancher sur les droits et obligations de caractère civil de ce dernier. L’article 6 de la Convention ne trouve donc pas à s’appliquer en l’espèce.

  Par ailleurs, dans la mesure où le requérant invoque le principe du ne bis in idem et ses allégations pourraient se prêter à être analysées sous l’angle de l’article 4 du Protocole no 7, la Cour estime, pour les raisons indiquées ci-dessus, que la commission parlementaire n’a jamais « poursuivi ou puni pénalement » l’intéressé aux termes de cette disposition, qui est donc elle aussi inapplicable en l’espèce.

  Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4. 

 

  2.  Le requérant se plaint de la divulgation du rapport de la commission parlementaire et de la publication de certaines parties de son contenu par les journaux. Il invoque les articles 6 § 2 et 8 de la Convention. Cette dernière disposition se lit comme suit :

 « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

 2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

  Le requérant soutient que certains faits indiqués dans le rapport avaient une nature privée et, ne constituant pas des infractions pénales, auraient dû être considérés comme confidentiels.

  Dans la mesure où le requérant invoque l’article 6 § 2 de la Convention, la Cour rappelle tout d’abord qu’elle vient de constater que dans le cadre de la procédure devant la commission parlementaire le requérant n’était pas « accusé » au sens de cette disposition. Cependant, l’applicabilité du deuxième paragraphe de l’article 6 ayant été admise dans des affaires où les juridictions nationales n’étaient pas amenées à statuer sur la culpabilité (voir par exemple l’arrêt Lutz, Englert et Nölkenbockhoff c. Allemagne du 25 août 1987, série A nos 123-A, 123-B et 123-C), il convient d’établir si le rapport de la commission parlementaire reflétait le sentiment que le requérant était coupable d’infractions pour lesquelles sa responsabilité n’avait pas été préalablement légalement établie (voir l’arrêt Allenet de Ribemont c. France du 10 février 1995, série A no 308, p. 16, §§ 35-36).

  La Cour a examiné les parties pertinentes du rapport en question. Elle estime qu’aucune des affirmations y contenues ne donnait à penser que le requérant était responsable d’une infraction pénale, certains passages pouvant être interprétés, tout au plus, comme décrivant un « état de suspicion » qui ne renfermait pas un constat de culpabilité (voir, mutatis mutandis, Ceretti c. Italie (déc.), no 42948/98, 17.1.2002 , non publiée).

  Dès lors, aucune apparence de violation de l’article 6 § 2 de la Convention ne saurait être décelée en l’espèce.

  Pour ce qui est de l’article 8 de la Convention, la Cour estime que la divulgation du rapport de la commission parlementaire, dont certains passages concernaient la vie privée et la déontologie professionnelle du requérant, s’analyse en une « ingérence d’une autorité publique » dans l’exercice d’un droit que le paragraphe 1 garantissait au requérant.

  Pareille ingérence méconnaît l’article 8, sauf si « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et, de plus, est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre (voir Messina (no 2) c. Italie, no 25498/94, 29.9.2000, § 63).

  La Cour observe que la divulgation du rapport était expressément admise par l’article 22 du règlement de la commission parlementaire. Par ailleurs, le requérant n’a pas indiqué les dispositions sur la base desquelles le rapport en question aurait dû être considéré confidentiel. L’ingérence litigieuse avait donc une base légale aux termes du deuxième paragraphe de l’article 8 de la Convention.

  La Cour relève ensuite que la tâche confiée à la commission parlementaire était, en substance, celle d’étudier la nature et l’évolution du phénomène mafieux afin de contribuer à la mise en place d’instruments législatifs efficaces pour le combattre. Compte tenu des ravages dont ce fléau est responsable dans les sociétés modernes, la Cour estime que le fait de porter à la connaissance du public ses modes de fonctionnement visait des fins pleinement compatibles avec la Convention, à savoir la sûreté publique, la défense de l’ordre, la prévention des infractions pénales et la protection des droits et libertés d’autrui.

  Il reste à déterminer si l’ingérence que la divulgation litigieuse a réalisé avec la vie privée du requérant était « nécessaire dans une société démocratique ».

  D’après la jurisprudence constante de la Cour, la notion de nécessité implique que l’ingérence corresponde à un besoin social impérieux et, en particulier, qu’elle soit proportionnée au but légitime poursuivi. En tout état de cause, il y a lieu de tenir compte du fait qu’une marge d’appréciation est laissée aux autorités nationales, dont la décision demeure soumise au contrôle de la Cour, compétente pour en vérifier la conformité aux exigences de la Convention (voir, mutatis mutandis, Z. c. Finlande, du 25 février 1997, Recueil 1997-I, p. 347, §§ 94 et suivants).

  En l’espèce, il convient d’observer que les faits relatifs à la vie privée et professionnelle du requérant mentionnés dans le rapport de la commission parlementaire avaient déjà formé l’objet d’enquêtes pénales ou disciplinaires ouvertes contre l’intéressé et de décisions de justice. Il est vrai que la commission parlementaire a exprimé des réserves quant à la manière dans laquelle certaines investigations avaient été menées. Cependant, la Cour considère que dans une société démocratique, il est ouvert à une autorité publique de critiquer les méthodes utilisées par d’autres autorités.

  La Cour a examiné la partie du rapport concernant le requérant. Elle estime que celle-ci ne visait pas à présenter les faits d’une manière arbitraire ou manifestement contraire à la réalité. En effet, les sources des informations dont la commission parlementaire disposait étaient clairement indiquées et les déclarations faites par des particuliers interrogés devant l’organe parlementaire étaient présentées comme personnelles des intéressés. De plus, le rapport incriminé mentionnait également, de manière objective, des circonstances favorables au requérant, à savoir que toutes les poursuites ouvertes à son encontre s’étaient terminées par des non-lieux. Enfin, la commission parlementaire a publié, dans une note de bas de page, une lettre du requérant, ainsi donnant à ce dernier la possibilité de fournir sa version des faits dans la cadre même du document dont il se plaint devant la Cour.

  Dans ces circonstances, la Cour estime que rien ne permet de penser qu’en divulguant son rapport la commission parlementaire a dépassé son marge d’appréciation ou que l’ingérence subie par le requérant a été disproportionnée par rapport aux buts légitimes poursuivis.

  Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. 

 

  3.  Le requérant allègue ne disposer, en droit italien, d’aucun recours efficace pour contester la procédure suivie par la commission parlementaire et les affirmations contenues dans le rapport approuvé le 26 juillet 2000. Il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

 « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

  Le requérant souligne que selon une jurisprudence suivie par la Cour de cassation, les autorités judiciaires ne sont pas compétentes pour se prononcer sur des demandes en annulation des actes d’une commission parlementaire. Par ailleurs, les membres de la commission jouissent, pour les opinions et les votes exprimées dans le cadre de leurs fonctions, de l’immunité prévue à l’article 68 § 1 de la Constitution.

  La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cependant, pour que l’article 13 trouve à s’appliquer à un grief, il faut que celui-ci puisse passer pour défendable (voir Conka c. Belgique, no 51564/99, §§ 75-76, 5 février 2002).

  En l’espèce, la Cour vient de conclure que le grief tiré de l’article 6 de la Convention est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et que les doléances formulées par le requérant sous l’angle des articles 6 § 2 et 8 sont manifestement mal fondées. Les griefs principaux du requérant ne pouvant pas être considérés comme défendables, l’article 13 ne trouve pas à s’appliquer.

  Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

  Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

      Erik Fribergh Christos Rozakis 

 Greffier Président