QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITE

de la requête n° 65964/01 

par José Alejandro PEÑAFIEL SALGADO 

contre l’Espagne

  La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 16 avril 2002 en une chambre composée de

      Sir Nicolas Bratza, président

 MM. M. Pellonpää, 

  A. Pastor Ridruejo, 

 Mme E. Palm, 

 MM. M. Fischbach, 

  J. Casadevall, 

  S. Pavlovschi, juges

et de M. M. O’Boyle, greffier de section,

  Vu la requête susmentionnée introduite le 30 octobre 2000,

  Vu la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour et le fait que cette mesure provisoire a été adoptée 12 février 2001, puis prorogée jusqu’au 8 mars et levée à cette dernière date,

  Vu les renseignements soumis par le gouvernement espagnol et le requérant,

  Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

 

 

EN FAIT

  Le requérant, José Alejandro Peñafiel Salgado, est un ressortissant équatorien, né à Quito (Equateur) en 1960 et résidant à Las Palmas de Gran Canaria. Il est représenté devant la Cour par Me Diaz de Aguilar Cantero, avocat à Las Palmas de Gran Canaria.

 

A.  Les circonstances de l’espèce

  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

 En 1995 commença la crise économique en Equateur, accompagnée de la faillite de banques et de la fuite de capitaux. Plusieurs banques privées passèrent sous le contrôle de l’Etat et diverses procédures pénales contre les administrateurs de Banco de Préstamos, dont le requérant était président, furent entamées. Le 10 septembre 1998, une ordonnance de placement en détention provisoire fut issue contre le requérant pour déterminer, le cas échéant, sa responsabilité pénale.

 Le requérant quitta l’Equateur et s’installa en Espagne, à Las Palmas, en août 1998 avec sa compagne, de nationalité espagnole, où il a fondé la société Tripetrol España.

 Début 2000, l’annonce de la dollarisation provoqua une grave situation économique en Equateur. Le Conseil des généraux demanda au Président de l’Equateur l’extradition des banquiers qui avaient abandonné le pays. Face aux craintes de persécution, le requérant décida de solliciter l’asile en Espagne. Un entretien fut fixé à cet égard mais, entre-temps, il fut détenu au Liban où il était, pendant quelques heures, en voyage d’affaires, en août 2000. A ce moment-là, l’Equateur demanda au Liban l’extradition du requérant, ce à quoi ce dernier fit droit.

  Le 4 octobre 2000, il fut extradé du Liban vers l’Equateur, via la France. A son arrivée à Paris, il réitéra sa demande d’asile politique en Espagne et le 5 octobre, en vertu de la Convention de Dublin, il fut amené à Madrid pour l’examen de son dossier d’asile.

  Le 23 octobre 2000, le ministère de l’Intérieur refusa l’asile sollicité. Le requérant n’aurait pas eu le droit de présenter ses allégations. Le 26 décembre 2000, l’Equateur demanda aux autorités espagnoles de continuer l’extradition qui avait été interrompue en vertu de la demande d’asile.

 Le 18 janvier 2001, le requérant et sa compagne, qui était à l’époque domiciliée à Quito, se marièrent en Equateur, par procuration. Le requérant fournit une attestation, datée du 23 octobre 2000 et issue par le Maire de Las Palmas, à la demande du requérant et de sa compagne, constatant leur union de fait, mais sans préciser la date à partir de laquelle cette cohabitation avait lieu. Le requérant dit avoir maintenu cette union avec son actuelle épouse depuis 1997.

  Le 5 février 2001, l’Audiencia Nacional donna son accord pour la continuation de l’extradition, dans la mesure où la demande d’asile qui devait, au titre de l’article 5 § 2 de la loi régulatrice de l’asile et de la condition de réfugié, suspendre l’exécution de l’extradition, avait été rejetée. L’Audiencia Nacional nota que l’extradition du requérant vers la République de l’Equateur décidée par le Liban était un acte de souveraineté, conformément au Préambule de la loi 4/1985 du 21 mars 1985 portant sur l’extradition passive, et que l’Espagne ne pouvait donc pas intervenir pour la réviser, s’agissant d’une extradition en transit.

  Le 8 février 2001, le requérant demanda des mesures provisoires à l’égard du ministère de l’Intérieur devant la juridiction contentieuse-administrative. Le même jour, elles furent accordées jusqu’au 12 février 2001, date à laquelle elle furent levées.

  Le requérant demanda également à la Cour l’application de l’article 39 de son Règlement, tendant à la suspension de l’extradition. Cette mesure fut accordée le 12 février 2001, et, le 15 février 2001, l’application d’une telle mesure fut prorogée jusqu’au 8 mars 2001, date à laquelle elle fut levée.

  Le 14 mars 2001, le requérant fit valoir son intention de poursuivre la procédure devant la Cour.

  A la suite des demandes d’information de la Cour, les 9 et 11 janvier 2002, le requérant a fait valoir que la simple présentation de sa requête devant la Cour a contribué à garantir sa sécurité en Equateur depuis son retour. En effet, la mesure provisoire adoptée par le Cour fut largement répandue dans la presse et diverses institutions et organisations équatoriennes, ainsi que le Président même de la République de l’Equateur se virent contraints à garantir devant la Cour que les droits du requérant seraient respectés en Equateur.

  Depuis son arrivée en Equateur, le requérant a été privé de liberté à titre provisoire au Centre de réhabilitation social d’hommes de Quito n° 1. La durée de cette mesure aurait déjà dépassé les délais maximums établis par la loi équatorienne. A ces délais devraient être ajoutés les délais de privation de liberté subis au Liban et en Espagne en attente d’extradition.

  Le requérant insiste sur ce que son extradition fut demandée pour un délit d’appropriation de fonds bancaires (peculado bancario), qui constituait le délit le plus grave de ceux qui lui étaient imputés, et pour lequel la liberté sous caution n’était pas possible. Toutefois, par une décision du 24 octobre 2001, la cinquième chambre de la Cour supérieure de justice de l’Equateur déclara l’inexistence du délit en cause, délit qui ne fut inclus au code pénal que le 13 mars 1999, après l’imputation du requérant. Ceci prouverait, selon ce dernier, que la persécution subie répondait à des motifs politiques et non juridiques. Par ailleurs, le requérant fait savoir que certaines des procédures pénales entamées à son encontre ont fait l’objet de non-lieux ; dans d’autres cas, les juges n’ont pas fait droit aux demandes de mise en détention provisoire du requérant sollicitées par le ministère public, etc. Il note, en outre, que les deux juges qui ont prononcé des décisions qui lui sont favorables, ont fait l’objet de procédures disciplinaires.

  Ceci démontrerait, selon le requérant, soit qu’il fait l’objet d’une persécution individualisée par les autorités équatoriennes, ce qui aurait justifié l’obtention de la condition de réfugié politique en Espagne, soit que l’Espagne a porté atteinte à la loi en remettant le requérant à l’Equateur lors d’une procédure d’extradition comme celle de l’espèce.

  Par une lettre du 10 janvier 2002, le gouvernement défendeur a informé la Cour que le 13 novembre 2001, la cinquième chambre de la Cour supérieure de justice de l’Equateur inculpa le requérant d’occultation, d’altération avec fraude ou disparition de rapports, données ou faits dont l’organe de contrôle des Banques (superintendencia de bancos) ou le public avaient le droit d’en être informés, ainsi que de faillite commise par fraude. D’autres procédures, assorties d’ordres de prison ont été ouvertes par d’autres cours et tribunaux à l’encontre du requérant, pour escroquerie, faillite bancaire, et autres.

  Par une lettre du 13 février 2002, le requérant fournit le récit de cinq procédures entamées en Equateur à son encontre, et expose que la plupart des délits qui lui sont imputés ne requièrent pas sa mise en détention provisoire, qu’au moins un ordre de détention provisoire a été annulé, et qu’il est surprenant que la plupart des procédures ont été entamées par le ministère public et non pas par les victimes présumées des délits qu’il aurait commis en raison de sa prétendue mauvaise gestion. Il craint que sa privation de liberté, même à titre provisoire, puisse être prorogée sans limitation, entamant diverses procédures pour des délits susceptibles de prison provisoire. Il craint également que sa situation carcérale change au cas où les autorités équatoriennes cesseraient de se sentir observées par les autorités européennes.

  Par une lettre du 25 février 2002, le requérant remit à la Cour de nouvelles informations concernant les procédures suivies à son encontre en Equateur et, en particulier, le fait que, après son acquittement par le tribunal IV pénal de Pichincha, les juges ayant rendu la décision ont été détenus et vont être mis en prison.

  Ultérieurement, le requérant a remis d’autres courriers et maintenu la Cour constamment informée de sa situation en Equateur.

 

B.   Documents et déclarations soumis par les parties

 Le 14 février 2001, lors de la procédure d’application de la mesure provisoire par la Cour dans la présente espèce, le gouvernement espagnol indiqua que la demande d’asile que le requérant avait présentée en Espagne était fondée sur des motifs politiques, sans aucune allégation de risque de mauvais traitements en cas d’extradition vers l’Equateur. Les prétendus risques invoqués par le requérant se sont fondés sur des informations d’octobre 2000, qui se référaient à une dispute politique en Equateur concernant la procédure d’extradition. L’Audiencia Nacional considéra, dans sa décision du 5 février 2001 d’octroi de l’extradition, que le climat contraire au requérant existant en Equateur s’explique dans le contexte social des citoyens équatoriens qui ont perdu toutes leurs économies à cause du comportement de banquiers qu’ils souhaitent voir punis par la justice. Le Gouvernement espagnol rappela que l’Equateur a ratifié en 1977 la Convention interaméricaine des Droits de l’Homme, qui fait partie de son droit interne, et a aussi reconnu, en 1984, la juridiction de la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme.

 Le Gouvernement concluait que les autorités espagnoles avaient correctement examiné les motifs invoqués par le requérant avant de poursuivre l’extradition déjà accordée par le Liban après s’être bien assurés de l’absence de risques de traitements inhumains encourus par le requérant. Il affirmait avoir reçu des garanties de la part du gouvernement de l’Equateur ainsi que de plusieurs organisations non gouvernementales établies et opérant en Equateur, qui permettent « d’effacer sans aucun doute tout risque de traitements inhumains à l’encontre de M. Peñafiel en Equateur » : ainsi, l’Asociación Latinoamericana para los Derechos Humanos (ALDHU), la Comisión Ecuménica de Derechos Humanos (CEDHU), l’Asamblea Permanente de Derechos Humanos (APDH) et la Comisión Nacional de Derechos Humanos, se sont engagées à garantir les droits humains de M. Peñafiel. Elles précisaient que le requérant pourrait utiliser les voies de recours prévues par les lois et, le cas échéant, présenter une requête devant la Commission interaméricaine des Droits de l’Homme. Elles indiquaient qu’il n’y avait pas de raisons de craindre que le requérant n’aurait pas droit à un procès équitable ou au respect des ses droits à la défense. Elles assuraient que le droit à la vie et à l’intégrité physique ainsi que le droit à un procès équitable de M. Peñafiel ne couraient aucun risque. Elles s’engageaient à veiller à ce que de telles garanties soient effectivement reconnues. En outre, le Médiateur (Defensor del Pueblo) d’Equateur soutenait qu’« il n’existe aucune circonstance qui puisse faire présumer que l’exercice du droit à la défense de M. Peñafiel et sa liberté de faire usage des voies de recours et autres actions légales le protégeant, lui et tous les autres citoyens équatoriens, se voient limités en Equateur ».

 Face à l’affirmation du Gouvernement selon laquelle le requérant n’a sollicité l’asile politique que huit jours après sa détention au Liban, le requérant expliquait les difficultés d’une telle procédure et faisait valoir qu’avant son voyage au Liban, il avait demandé un entretien au bureau d’asile et de refuge du ministère de l’Intérieur espagnol, qui fut fixé au 4 septembre 2000. Donc, la demande d’asile n’était pas liée au fait de sa détention, comme semble le suggérer le Gouvernement.

 Face au défaut initial d’allégation de risque de mauvais traitements, le requérant faisait valoir que la demande d’asile présentée à l’Ambassade espagnole au Liban ne fut pas remplie par lui-même, qui était détenu. Mais il avait déjà invoqué ce risque de mauvais traitements, lors de sa première déposition devant le juge en Espagne, le 6 octobre 2000, et ceci avait été invoqué aussi dans le rapport lui conseillant de demander l’asile en Espagne, dans le cadre de la procédure qu’il comptait entamer avant sa détention au Liban.

 Le requérant insistait sur le caractère non dilatoire de ses demandes devant les juridictions espagnoles, et sur l’examen superficiel de sa demande d’asile par les juridictions espagnoles, qui ne tinrent pas compte de ses allégations.

 Le requérant montrait son désaccord avec la considération que les autorités espagnoles avaient accordée aux documents qu’il fournit dans le cadre de la procédure d’asile pour étayer les risque de mauvais traitements qu’il estimait pouvoir encourir en Equateur.

 Concernant le fait que l’Equateur a signé des conventions des droits de l’homme, il se réfèrait aux rapports d’Amnesty International, du département d’Etat des Etats-Unis et d’autres organisations qui constataient l’existence de mauvais traitements et des exécutions extrajudiciaires en Equateur.

 Le requérant insistait aussi sur la délivrance d’une attestation d’octroi provisoire du statut de réfugié pendant douze mois par le UNHCR au Liban, et sur le fait que cette même institution demanda ultérieurement des excuses au gouvernement équatorien, précisant que l’octroi de ce statut au requérant avait été fait « par erreur », sans en préciser les motifs. Le requérant estime que ceci fut le résultat des pressions exercées par le gouvernement équatorien.

 Concernant les documents fournis par le gouvernement espagnol et, en particulier, les lettres adressées par diverses ONG, le requérant faisait valoir que ces lettres avaient été rédigées sans prise de connaissance de l’affaire et suivant les instructions données par le ministère des Affaires étrangères équatorien. Il se réfère à une lettre du 20 février 2001 que le Procureur général de l’Etat de l’Equateur avait envoyée au directeur général des Affaires juridiques du ministère des Relations extérieures, par laquelle il lui faisait part de son impossibilité de présenter son avis sur l’affaire, étant donné la réception tardive des documents, et l’informant aussi du fait que la question devait être examinée par l’étude juridique que le ministère des Relations extérieures avait engagée directement en Espagne pour traiter cette affaire, dans la mesure où l’Etat défendeur devant la Cour européenne des Droits de l’Homme était l’Espagne et non l’Equateur. Le requérant insistait également sur ce que le médiateur (Defensor del Pueblo) équatorien était une institution de l’Etat sans aucune crédibilité.

 Le requérant exposait enfin la difficulté de sa défense du fait de son impopularité et faisait diverses remarques sur sa responsabilité présumée en relation avec la situation économique que traversait l’Equateur. Il montrait que, d’après la réponse donnée par les experts dans le cadre de la procédure relative à la banque dont il était l’administrateur, la faillite n’avait pas été frauduleuse. Il note aussi que la grande majorité des créanciers et déposants de la banque avaient été remboursés, et que la fermeture de la banque était une décision politique. Il conclut qu’il n’était pas responsable de la crise économique de son pays et que la campagne de presse exceptionnelle à son encontre ne se justifiait qu’en tant que persécution politique à la recherche d’un bouc émissaire, ce qui renforçait la nécessité de le protéger.

 Le gouvernement défendeur fournit une lettre adressée par le ministre des Relations extérieures de l’Equateur au ministre des Affaires étrangères de l’Espagne, dont certains extraits sont reproduits ci-après :

 « (...) J’ai pris note du fait que la quatrième section de la Cour a demandé à l’agent du gouvernement espagnol des précisions sur les garanties offertes par le gouvernement équatorien afin que les droits fondamentaux du requérant, M. José Peñafiel Salgado, soient respectés en Equateur.

 Je ne cacherai pas à Votre Excellence que cette demande a laissé le gouvernement équatorien quelque peu perplexe. En effet, la Constitution Politique de la République de l’Equateur, du 10 juin 1998, reconnaît dans ses articles 17 et 23.3 le droit à l’égalité devant la loi et à la non-discrimination dans l’exercice des droits de l’homme énoncés dans ladite Constitution.

 Un tel principe constitutionnel d’égalité empêche le gouvernement équatorien de réserver un traitement de faveur à M. Peñafiel en le faisant bénéficier de garanties spéciales et différentes de celles applicables à tous les citoyens.

 Cette difficulté constitutionnelle ne pourra pas surprendre la Cour européenne des Droits de l’Homme, puisque ce même principe d’égalité est reconnu par l’article 14 de la Convention pour la protection des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

 Aussi, le gouvernement équatorien déclare que, dès que M. Peñafiel sera extradé vers l’Equateur, ses droits fondamentaux et, en particulier, ceux s’appliquant à tous les accusés dans les procédures pénales, lui seront reconnus, conformément à la Constitution Politique de la République de l’Equateur précitée et au reste du système juridique équatorien, dont fait partie la Convention américaine des Droits de l’Homme – Pacte de San José, du 22 novembre 1969 (...) »

 

C.  Dispositions pertinentes de Droit équatorien et International

Constitution politique de l’Equateur, approuvée le 5 juin 1998

Article 23

 (...) L’Etat reconnaît et garantit aux personnes les droits suivants :

 1.  L’inviolabilité de la vie. Il n’y a pas de peine de mort.

 2.  L’intégrité personnelle. Les peines cruelles, les tortures, toute procédure inhumaine, dégradante ou qui implique violence physique, psychologique, sexuelle ou coaction morale, et l’application et l’utilisation indues de matériel génétique humain, sont interdites. »

 L’Etat adoptera les mesures nécessaires pour prévenir, éliminer et sanctionner, en particulier, la violence contre les enfants, adolescents, femmes et personnes du troisième âge.

 Les actions et peines pour génocide, torture, disparition forcée de personnes, séquestration et homicide pour des raisons politiques ou de conscience, seront imprescriptibles. Ces délits ne seront pas susceptibles de mesures de grâce ou d’amnistie. Dans ces cas, l’obéissance à des ordres supérieurs n’exonère pas de responsabilité. »

 

 

GRIEFS

  1.  Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint que les juridictions espagnoles n’ont pas examiné le bien-fondé de la procédure d’extradition ni les circonstances dans lesquelles l’Equateur demanda l’extradition au Liban, au moyen d’un document dont la traduction vers l’arabe aurait été faussée.

  Le requérant se plaint aussi que la suite de l’extradition du requérant a été accordée par l’Audiencia Nacional immédiatement après le rejet de sa demande d’asile en voie administrative, sans attendre l’issue de son recours contre ce rejet.

  Le requérant se réfère ensuite à l’irrégularité de la procédure diligentée à son encontre en Equateur, à l’utilisation des moyens de pression sur des juges, de fausses traductions, à son maintien illégal en détention provisoire, etc., et estime que l’Etat espagnol est devenu co-responsable de ces faits. 

 

  2.  Invoquant les articles 2 et 3 de la Convention, le requérant se plaint que l’extradition l’exposerait à des risques de subir de mauvais traitements. Il estime que les juridictions internes ont omis de veiller au respect de son intégrité physique, en considérant qu’elles ne pouvaient pas examiner le bien-fondé de l’extradition et en ne prenant pas en compte les allégations et les documents fournis par les requérant dans le cadre de sa demande d’asile.  

 

  3.  Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint que le fait de ne pas avoir tenu compte de ce que sa compagne, puis épouse était de nationalité espagnole et résidait en Espagne, a porté atteinte à son droit au respect de sa vie familiale. Il note par ailleurs qu’il résidait en Espagne depuis deux ans, fait qui était connu de l’Equateur, qui profita toutefois d’un court passage de quelques heures du requérant au Liban pour demander son extradition.

 

 

EN DROIT

  1.  Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint que les juridictions espagnoles n’ont pas examiné le bien-fondé de la procédure d’extradition ni les circonstances dans lesquelles l’Equateur demanda l’extradition au Liban, au moyen d’un document dont la traduction vers l’arabe aurait été faussée. Il se plaint aussi de l’examen de sa demande d’asile par les autorités espagnoles et des irrégularités des procédures diligentées à son encontre en Equateur, et estime que l’Etat espagnol est devenu co-responsable de ces faits. Les parties pertinentes de l’article 6 sont libellées comme suit :

 « 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...). »

  La Cour rappelle tout d’abord que le droit de ne pas être extradé ne figure pas, comme tel, au nombre des droits et libertés reconnus dans la Convention et ses protocoles additionnels (n° 12543/86, déc. 2.12.1986, DR 51 p. 272). Par ailleurs, la procédure d’extradition ne porte pas contestation sur les droits et obligations de caractère civil du requérant, ni sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre lui au sens de l’article 6 de la Convention (cf, par exemple, requêtes n° 53652/00, décision partielle adoptée par la quatrième section le 21 novembre 2000, et no 11683/85, déc. 8.2.1990, DR 64 p. 52 ; n° 15776/89, déc. 5.12.1989, DR 64 p. 264 et n° 25342/94, déc. 4.9.1995, DR 82 p. 134).

  Si l’équité d’une procédure d’extradition suivie dans un Etat partie à la Convention ne relève pas de la compétence de la Cour, encore moins celle d’une procédure d’extradition suivie au Liban, et dont ni la forme ni les motifs ne pouvaient être examinés par les juridictions espagnoles, qui ne devaient que s’assurer que les droits du requérant garantis par les articles 2 et 3 de la Convention seraient respectés en Equateur.

  Il s’ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3, et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

  Concernant les griefs du requérant relatifs à la procédure d’asile politique diligentée par les autorités et juridictions internes espagnoles, la Cour rappelle que ni la Convention ni ses Protocoles ne consacrent le droit à l’asile politique (arrêt Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni du 30 octobre 1991, série A n° 215, p. 34, § 102).

  Il s’ensuit que cette partie de la requête est aussi incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3, et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

  En troisième lieu, et pour ce qui est des griefs relatifs aux diverses procédures diligentées à l’encontre du requérant en Equateur, dont certaines sont encore pendantes à ce jour, la Cour rappelle le libellé de l’article 1 de la Convention, selon lequel :

  « Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la (...) Convention. »

  Le requérant insiste sur ce que son extradition fut demandée pour un délit d’appropriation de fonds (peculado bancario), et pour lequel la liberté sous caution n’était pas possible, mais note que la Cour supérieure de justice de l’Equateur a déclaré l’inexistence du délit en cause, et que certaines des procédures pénales entamées à son encontre ont fait l’objet de non-lieux. Ceci prouverait que la persécution subie répondait à des motifs politiques et non juridiques.

  Dans la mesure où le requérant se plaint de l’équité des procédures qui ont lieu maintenant en Equateur à son encontre, après son retour, la Cour note que ce grief échappe à sa compétence ratione loci, l’Equateur n’étant pas un Etat partie à la Convention. Il est, en revanche, un Etat partie à la Convention américaine relative aux droits de l’homme qui, elle, garantie les droits que le requérant invoque devant la Cour.

  La Cour rappelle, par ailleurs, que la Convention ne garantit pas en soi le droit d’entrer et de résider dans un Etat contractant à des personnes qui ne sont pas ressortissantes de cet Etat (voir, par exemple, Ilic c. Croati (déc), n° 42389/98, CEDH 2000-X), et conclut que les événements ou les procédures qui peuvent avoir lieu en Equateur à la suite de l’extradition du requérant ne sont pas susceptibles d’engager la responsabilité de l’Espagne, d’autant plus qu’il s’est limité à ne pas empêcher l’extradition accordée par un autre Etat qui avait été interrompue en raison d’une demande d’asile.

  Il s’ensuit que ce grief est incompatible avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

  2.  Invoquant les articles 2 et 3 de la Convention, le requérant se plaint que l’extradition l’exposerait à des risques de subir de mauvais traitements, et estime que les juridictions internes ont omis de veiller au respect de son intégrité physique. Les dispositions invoquées sont libellées comme suit :

Article 2

 « 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi (...) »

Article 3

 « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

  La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’expulsion et l’extradition par un Etat contractant peuvent soulever un problème au regard de l’article 3, donc engager la responsabilité de l’Etat en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse ou l’extrade vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Dans ce cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (arrêts Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A n° 161, p. 35, §§ 90-91 et Cruz Varas et autres c. Suède du 20 mars 1991, série A n° 201, p. 28, §§ 69-70).

  En effet, un État contractant se conduirait d’une manière incompatible avec le « patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit » auquel se réfère le Préambule de la Convention, s’il remettait consciemment une personne à un autre État où il existe des moyens sérieux de penser qu’un danger de torture ou de peines ou de traitements inhumains ou dégradants menace l’intéressé (arrêt Soering, précitée, p. 35, § 88). Le même raisonnement peut être suivi pour l’article 2 de la Convention.

  Pour établir une telle responsabilité de l’Etat qui procède à l’extradition, on ne peut éviter d’apprécier la situation dans le pays de destination à l’aune des exigences des articles en cause. Il ne s’agit pas pour autant de constater ou prouver la responsabilité de ce pays en droit international général, en vertu de la Convention ou autrement. Dans la mesure où une responsabilité se trouve ou peut se trouver engagée sur le terrain de la Convention, c’est celle de l’Etat contractant qui extrade, à raison d’un acte qui a pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés.

  La Cour relève à cet égard que, par exemple dans des cas de condamnation à mort de la personne à extrader, le fait qu’un détenu se trouve exposé au « syndrome du couloir de la mort » peut, dans certains cas et, eu égard notamment au temps à passer dans des conditions extrêmes, à l’angoisse omniprésente et croissante de l’exécution et à la situation personnelle de l’intéressé, être considéré comme un traitement dépassant le seuil fixé par l’article 3 de la Convention (voir, notamment, mutatis mutandis, l’arrêt Soering, précité, pp. 44-45, § 111, ainsi que Nivette c. France (déc), n° 44190/98, CEDH 2001-VII).

  Il faut donc rechercher, à la lumière des principes dégagés par la jurisprudence de la Cour, si les conséquences prévisibles du renvoi du requérant en Equateur sont de nature à faire jouer l’article 3.

  La Cour rappelle que l’Etat contractant assume une responsabilité au titre de cet article pour avoir exposé quelqu’un au risque de mauvais traitements. Mais en contrôlant l’existence de ce risque, il faut se référer par priorité aux circonstances dont l’Etat en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de l’expulsion, bien que cela n’empêche pas la Cour de tenir compte de renseignements ultérieurs, qui peuvent servir à confirmer ou infirmer la manière dont la Partie contractante concernée a jugé du bien-fondé des craintes d’un requérant (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Vilvarajah et autres précité, p. 36, § 107).

  En l’espèce, la Cour relève que des circonstances telles qu’une condamnation à mort du requérant ni, par conséquent, des situations telles qu’un placement du requérant dans un « couloir de la mort » ne sont réunies. Elle note par ailleurs que le requérant lui-même a fait valoir, dans sa lettre du 9 janvier 2002, que la simple présentation de sa requête devant la Cour européenne des Droits de l’Homme a contribué à garantir sa propre sécurité dans l’établissement pénitentiaire où il se trouve en Equateur depuis son retour, grâce à ce que, la mesure provisoire adoptée par le Cour fut largement répandue, et que diverses institutions et organisations équatoriennes ainsi que le Président même de la République de l’Equateur se virent contraints à garantir devant la Cour que les droits du requérant seraient respectés en Equateur. Son droit à la vie et la prohibition des tortures et des traitements inhumains et dégradants étant respectés, le requérant soumet maintenant à la Cour différents griefs relatifs à sa privation de liberté à titre provisoire, qui aurait dépassé les délais maximums établis par la loi équatorienne.

  En conséquence, la Cour constate que les circonstances de l’espèce et les assurances obtenues par le Gouvernement équatorien sont de nature à écarter le danger de mauvais traitements que le requérant craignait avant son extradition, et qu’aucune question sérieuse ne se pose concernant son droit à la vie, compte tenu de ses allégations ainsi que des dispositions de la Constitution politique de l’Equateur reproduites ci-dessus.

  A cet égard, la Cour relève, en tout état de cause et pour les éventuelles allégations d’atteinte à ses droits fondamentaux que le requérant pourrait subir, que l’Equateur est partie à la Convention américaine relative aux droits de l’homme depuis le 28 décembre 1977, date à laquelle il la ratifia. Par ailleurs, l’Equateur reconnut la compétence de la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme le 24 juillet 1984.

  Partant, en ce qu’elle se rapporte aux griefs tirés d’une violation des articles 2 et 3 de la Convention, la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.  

 

  3.  Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit au respect de sa vie familiale, en raison de qu’il était marié à une espagnole et résidait en Espagne depuis deux ans. Il invoque l’article 8 de la Convention, dont les parties pertinentes disposent comme suit :

 « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

 2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

  La Cour relève que le requérant est arrivé en Espagne en août 1998, à l’âge de trente-huit ans. Depuis 1997, il avait vécu en Equateur avec sa compagne, ressortissante espagnole avec laquelle il s’est marié le 18 janvier 2001, alors que le Liban avait déjà accordée l’extradition du requérant vers l’Equateur et cette dernière avait été interrompue en Espagne, où il était domicilié peu de temps avant la décision d’extradition. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que seule la situation de prison provisoire actuelle du requérant rendra plus difficile, en pratique, le développement d’une vie familiale en Equateur, pays dont le requérant est ressortissant, où il a noué sa relation avec son actuelle épouse, qui y était domiciliée, et d’où tant cette dernière que le requérant parlent la langue. Il s’ensuit que ce grief doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

  Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

      Michael O’Boyle Nicolas Bratza 

 Greffier Président