DEUXIÈME SECTION 
 
 
 
 
 
 

AFFAIRE SOMOGYI c. ITALIE 
 

(Requête no 67972/01) 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

  ARRÊT 
 
 
 

  STRASBOURG 
 

  18 mai 2004 
 
 
 

  Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
 

En l’affaire Somogyi c. Italie,

  La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

      MM. J.-P. Costa, président
  L. Loucaides, 
  C. Bîrsan, 
  K. Jungwiert, 
  V. Butkevych, 
  V. Zagrebelsky, 
 Mme A. Mularoni, juges
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

  Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 juin 2003 et 27 avril 2004,

  Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

 
PROCÉDURE

  1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 67972/01) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant hongrois, M. Tamas Somogyi (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 mars 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

  2.  Le requérant est représenté par Me M. Scaringella, avocat à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I.M. Braguglia, et par son co-agent, M. F. Crisafulli.

  3.  Le requérant alléguait avoir été condamné par défaut sans avoir eu la possibilité de se défendre devant les tribunaux italiens.

  4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

  5.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

  6.  Par une décision du 24 juin 2003, la chambre a déclaré la requête recevable.

  7.  Le Gouvernement a déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire, mais non le requérant (article 59 § 1 du règlement). Des observations ont également été reçues du gouvernement hongrois, qui avait exercé son droit d’intervenir (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 b) du règlement). Le gouvernement défendeur a répondu à ces commentaires (article 44 § 5 du règlement).

 
EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

  8.  Le requérant est né en 1951 et est actuellement détenu à la prison de Tolmezzo (Udine).

A.  Le procès à l’encontre de M. Thamas Somogyi

  9.  Dans le cadre d’une procédure pour trafic d’armes, le juge des investigations préliminaires (ci-après, le « GIP ») de Rimini fixa la date de l’audience préliminaire au 23 avril 1998.

  10.  Le 30 octobre 1997, il ordonna que l’avis de fixation de ladite audience, traduit en hongrois et accompagné de l’invitation à nommer un conseil légal, fût notifié par courrier à l’accusé, un ressortissant hongrois résidant en Hongrie, dénommé Thamas Somogyi et né à Miskolc le 23 octobre 1953. L’accusé de réception dudit avis retourna au greffe du tribunal avec une signature qui, selon les dires du requérant, ne serait pas la sienne. Selon la thèse de l’intéressé, il y aurait une différence entre cette signature et celle figurant sur son passeport. Par ailleurs, le prénom du signataire était « Thamas » et non « Tamas ».

  11.  Ne s’étant pas présenté à l’audience préliminaire, l’accusé fut déclaré contumax (contumace) et fut assisté par un avocat nommé d’office, Me G., auquel à partir de ce moment furent notifiés tous les actes de la procédure.

  12.  Me G. ne présenta pas d’exception concernant la nullité de la notification de l’avis de fixation de l’audience préliminaire. Thamas Somogyi fut ensuite renvoyé en jugement.

  13.  Par un jugement du 22 juin 1999, le tribunal de Rimini condamna l’accusé à une peine de huit ans d’emprisonnement et à 2 000 000 lires (environ 1 032 euros) d’amende.

  14.  Cette décision était arrêtée sur la base des déclarations de certaines personnes accusées dans des procédures connexes, notamment une certaine Mme M. et les frères S., corroborées par d’autres éléments. Il ne ressort pas du texte du jugement si les personnes en question avaient reconnu le requérant en photographie ou si leurs déclarations l’identifiaient uniquement sur la base de son nom ou de ses données personnelles. Le tribunal de Rimini se borna à indiquer que le requérant avait été « reconnu et identifié ». Il observa en outre que compte tenu de la gravité des infractions qui lui étaient reprochées ainsi que du fait qu’il s’était constamment refusé à donner sa version des faits, aucune circonstance atténuante ne pouvait être accordée au requérant.

  15.  Le jugement du 22 juin 1999 fut notifié à Me G.

B.  L’arrestation du requérant et les recours tentés par ce dernier

  16.  Le 30 octobre 1999, le tribunal de Rimini, ayant relevé que la condamnation prononcée le 22 juin 1999 avait acquis l’autorité de la chose jugée, ordonna l’arrestation de M. Thamas Somogyi.

  17.  Le 15 août 2000, la police autrichienne arrêta le requérant (Tamas Somogyi, né à Budapest le 19 octobre 1951) et en informa les autorités italiennes.

  18.  Ces dernières ouvrirent une enquête à l’issue de laquelle elles conclurent que la personne condamnée le 22 juin 1999 était en réalité le requérant.

  19.  Par une décision du 17 août 2000, le tribunal de Rimini ordonna que le jugement du 22 juin 1999 fût rectifié et que le prénom, la date et le lieu de naissance du requérant fussent indiqués à la place des données initialement retenues. Cette décision fut notifiée à MG.

  20.  Le requérant fut ensuite extradé de l’Autriche vers l’Italie, où il fut privé de sa liberté en exécution du jugement du 22 juin 1999.

  21.  A une date non précisée, le requérant introduisit devant le tribunal de Rimini une demande en relèvement de forclusion (istanza di rimessione in termini) aux termes de l’article 175 du code de procédure pénale (ci-après, le « CPP »). Il observa que le jugement du 22 juin 1999 était invalide au motif que la convocation en justice de l’accusé était nulle. Le requérant releva en particulier :

  a)  que l’identité du condamné n’avait pas été établie avec certitude, et que par conséquent la procédure en rectification d’erreur n’aurait pas pu être adoptée ;

  b)  qu’il n’avait pas eu connaissance des poursuites à son encontre, et que la signature sur l’enveloppe contenant l’avis de fixation de l’audience préliminaire n’était pas la sienne. A cet égard, le requérant demanda, le cas échéant, l’accomplissement d’une expertise graphologique pour déterminer l’authenticité de la signature, « déclarant proposer, si nécessaire, une plainte pour faux (querela di falso) » ;

  c)  que la notification dudit avis était invalide pour non-respect de la Convention italo-hongroise signée le 26 mai 1977 (et ratifiée par la loi italienne no 511 du 23 juillet 1980), aux termes de laquelle toute communication judiciaire provenant de l’un des deux pays signataires et adressée à des particuliers résidant dans l’autre pays devait être faite au moyen d’une commission rogatoire. Le requérant releva également que la notification en question était de toute manière incompatible avec les dispositions pertinentes de la loi hongroise concernant les communications judiciaires par courrier.

  22.  Par une ordonnance du 24 octobre 2000, le tribunal de Rimini rejeta la demande du requérant.

  23.  Il observa tout d’abord que le juge de l’exécution ne pouvait pas se pencher sur des nullités ayant eu lieu au cours du procès sur le bien-fondé de l’accusation. Ces nullités avaient été de toute manière purgées (sanate) au moment où le jugement du 22 juin 1999 était devenu définitif.

  24.  Par ailleurs, l’identité du condamné avait été établie grâce à une enquête menée par la Préfecture de Rimini en collaboration avec le bureau Interpol de Rome. De plus, une simple imprécision concernant la date de naissance d’un accusé n’entraînait pas l’invalidité d’un jugement, et pouvait à bon droit être corrigée dans le cadre d’une procédure de rectification.

  25.  Enfin, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une demande en relèvement de forclusion pouvait être acceptée seulement si un accusé alléguait qu’il n’avait pas pu avoir connaissance d’une condamnation pour cas de force majeure. Cette demande était par contre irrecevable si l’intéressé se plaignait de la nullité d’une notification. Dans ce dernier cas, la personne condamnée en première instance avait la faculté d’interjeter un « appel tardif », soutenant que les délais pour attaquer la décision litigieuse n’avaient pas commencé à courir.

  26.  Le 27 novembre 2000, le requérant interjeta appel devant la cour d’appel de Bologne contre le jugement du 22 juin 1999, soutenant que ce dernier, basé sur des actes invalides, n’avait pas pu acquérir l’autorité de la chose jugée. Il réitéra sa demande visant à obtenir une expertise graphologique et sa déclaration de proposition d’une plainte pour faux.

  27.  Par un arrêt du 24 mai 2001, dont le texte fut déposé au greffe le 3 juillet 2001, la cour d’appel de Bologne déclara l’appel du requérant irrecevable. Elle observa notamment que les accusations portées contre le requérant étaient confirmées par deux personnes accusées dans des procédures connexes, qui avaient déclaré que les armes en question, de provenance hongroise et ensuite utilisées pour commettre un vol à main armée, un meurtre et une tentative d’homicide, avaient été achetés chez le requérant. Celui-ci avait ensuite amené en Hongrie une voiture Fiat Uno que l’un des coïnculpés lui avait vendue. Par ailleurs, le tribunal avait correctement identifié le requérant comme étant M. Tamas Somogyi, ressortissant hongrois résidant à Szigethalom, Erdo u. 16, déjà condamné pour viol, vol à main armée et actes de vandalisme. De plus, le 27 janvier 1995 la section italienne d’Interpol avait précisé que le requérant était le fils d’une certaine Maria Jobbik (ce qui avait été confirmé aussi par son avocat), qu’il était né le 19 octobre 1951 à Budapest et résidait au « 26 (...) Erdo Str. Szigethalom/Hongrie ». L’adresse du requérant avait été confirmée également par une personne coïnculpée. Dans ces conditions, la cour d’appel estima qu’aucun doute n’aurait su se poser quant au fait que le requérant était effectivement la personne que les autorités italiennes recherchaient.

  28.  La cour d’appel nota ensuite qu’une information concernant les accusations avait été notifiée au requérant. Un accusé de réception daté du 16 janvier 1998 et apparemment signé par le destinataire démontrait que cette information avait bien été reçue. L’adresse auquel la notification avait eu lieu était pour l’essentiel précis, les seules erreurs étant un « h » de trop et l’absence d’un tréma dans le nom de la localité (« Szigethalhom » au lieu de « Szigethalom » et « Erdo » au lieu de « Ërdo »). Par conséquent, il ne s’imposait pas de comparer les signatures apposées par le requérant sur son passeport et sur certains actes de sociétés avec celle figurant sur l’accusé de réception litigieux.

  29.  Pour ce qui était du non-respect, invoqué par le requérant, de la Convention italo-hongroise, la cour d’appel observa que la notification à l’accusé avait à bon droit été faite conformément aux dispositions internes pertinentes. En effet, l’assistance entre Etats prévue par ladite Convention était obligatoire seulement si l’une des Hautes Parties contractantes la demandait. Faute, comme dans la présente espèce, de demande explicite dans ce sens, il fallait appliquer le droit national. De plus, il était vrai que la loi hongroise prévoyait que celui qui recevait une lettre recommandée devait être préalablement autorisé et identifié ; cependant, il était évident que ces règles s’appliquaient uniquement lorsque, à la différence de ce qui s’était passé dans l’affaire du requérant, la personne qui recevait le pli n’était pas son destinataire.

  30.  Partant, la cour d’appel estima que, contrairement à ce que le requérant affirmait, le jugement de première instance n’était pas invalide. Par conséquent, l’appel interjeté par l’accusé était tardif, et donc irrecevable aux termes de l’article 591 § 1 c) du CPP.

  31.  Le 30 juillet 2001, le requérant se pourvut en cassation. Il réitéra sa demande visant à obtenir une expertise graphologique et sa déclaration de dépôt d’une plainte pour faux.

  32.  Par un arrêt du 23 avril 2002, dont le texte fut déposé au greffe le 23 mai 2002, la Cour de cassation, estimant que la cour d’appel avait motivé de façon logique et correcte tous les points controversés, débouta le requérant de son pourvoi. Elle observa notamment que malgré de petites imprécisions dans l’indication de l’adresse, la communication du GIP de Rimini était de toute évidence parvenue à son destinataire. En effet, aucun élément ne démontrait que la communication en question avait été reçue par un homonyme du requérant, résidant à une adresse analogue ou presque identique à celle de l’intéressé.

  33.  Le 11 décembre 2001, le requérant introduisit un recours en révision, alléguant que des éléments nouveaux démontraient qu’il aurait dû être relaxé. En particulier, un journaliste et écrivain hongrois, M. P., avait contacté l’avocat du requérant, l’informant qu’au cours d’une émission télévisée deux coïnculpés auraient fait des affirmations qui innocentaient son client. M. P. avait en outre affirmé qu’à son avis les services secrets italien et hongrois étaient intervenus dans l’affaire du requérant et qu’un certain colonel K. du service pour la lutte à la criminalité connaissait l’innocence du condamné.

  34.  Par une ordonnance du 18 juillet 2002, la cour d’appel d’Ancône déclara le recours du requérant irrecevable. Elle observa qu’aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation les déclarations faites par des coïnculpés ne justifiaient pas la réouverture du procès ; par ailleurs, les témoignages de ces personnes avaient déjà été examinés par les juridictions du fond. De plus, les opinions exprimées par M. P. quant à l’innocence du requérant étaient tout à fait subjectives et manquaient de tout élément de preuve à leur appui.

C.  Les actes identifiant le requérant comme la personne condamnée par le tribunal de Rimini

  35.  Selon les informations fournies par le Gouvernement, l’identification du requérant comme trafiquant d’armes se fonde sur les éléments suivants :

  -  un interrogatoire de Mme M., en date du 20 janvier 1995, au cours duquel celle-ci avait déclaré qu’un certain Tamas Somogyi souhaitait participer aux actions criminelles des frères S. et qu’il leur avait fourni des armes ;

  -  une note manuscrite de Mme M. indiquant le nom et l’adresse du requérant ;

  -  une lettre de l’un des frères S. envoyée à Mme M. – et régulièrement reçue par cette dernière – à l’adresse du requérant ;

  -  un reçu pour la somme de 20 000 mark allemands délivré par M. Somogyi à Mme M. ;

  -  une interview télévisée recueillie le 16 février 1995 par un journaliste italien au domicile du requérant, pendant laquelle ce dernier montrait des photographies de Mme M. et de l’un des frères S. ;

  -  le fait que Mme M. avait reconnu la physionomie du requérant dans la vidéo de l’interview ; et

  -  le fait que l’identité du requérant avait été contrôlée par les polices italienne et autrichienne lors de son extradition sur la base d’une photographie extraite de l’interview télévisée du 16 février 1995.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

A.  La demande en relèvement de forclusion

  36.  Dans ses parties pertinentes, l’article 175 §§ 2 et 3 du CPP se lit comme suit :

 « En cas de condamnation par défaut (...), l’accusé peut demander la réouverture du délai d’appel contre le jugement, lorsqu’il peut établir qu’il n’a pas eu connaissance [du jugement] (...) sans qu’il y ait eu faute de sa part ou, si le jugement prononcé par défaut a été notifié (...) à son avocat (...), lorsqu’il peut établir qu’il n’a pas volontairement refusé de prendre connaissance des actes de la procédure.

 La demande de réouverture du délai doit être introduite, sous peine d’irrecevabilité, dans les dix jours qui suivent la date (...) à laquelle l’accusé a eu connaissance [du jugement] ».

B.  La procédure de rectification d’erreur

  37.  Aux termes de l’article 130 du CPP

 « La rectification des jugements et des ordonnances affectés par des erreurs ou des omissions qui n’entraînent aucune nullité, et dont l’élimination ne donne pas lieu à une modification substantielle de l’acte, est ordonnée, même d’office, par le juge ayant émis la décision (...) »

  38.  L’article 546 du CPP indique les éléments qu’un jugement doit contenir. L’alinéa b) de cette disposition fait référence, notamment, aux données personnelles de l’accusé ou aux autres indications pouvant l’identifier. L’article 547 du CPP prévoit que, lorsque l’un des éléments indiqués à l’article 546 manque ou est incomplet, on procède, même d’office, à la rectification du jugement aux termes de l’article 130.

  39.  L’article 552 § 1 du CPP prévoit aussi que l’ordonnance de citation à comparaître doit indiquer les données personnelles de l’accusé ou les autres éléments pouvant servir à l’identifier. Le paragraphe 2 de cette même disposition ajoute que l’ordonnance en question est nulle si l’accusé n’est pas identifié avec certitude.

 
EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

  40.  Le requérant considère que la procédure pénale à son encontre n’a pas été équitable. Il invoque l’article 6 de la Convention. Cette disposition se lit comme suit :

 « 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

 2.  Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

 3.  Tout accusé a droit notamment à :

 a)  être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

 b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

 c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

 d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

 e)  se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

A.  Les arguments des parties

1. Le requérant

  41.  Le requérant allègue avoir été condamné par défaut sans avoir eu la possibilité de se défendre devant les tribunaux italiens. Il souligne n’avoir reçu aucune information quant à l’ouverture des poursuites à son encontre, l’avis de fixation de l’audience préliminaire ne lui ayant jamais été communiqué. A cet égard, il soutient que la signature figurant sur l’accusé de réception de la communication du GIP de Rimini n’était pas la sienne.

  42.  Le requérant rappelle que le tribunal de Rimini a indiqué de façon erronée ses prénom, nom de famille, lieu de naissance et adresse, ce qui aurait créée une situation d’incertitude quant à son identité et l’aurait empêché d’exercer son droit de se défendre. A cet égard, le requérant se réfère aux différences d’orthographe qu’il a invoquées devant les juridictions italiennes.

  43.  De plus, un doute raisonnable existant quant à l’authenticité de la signature figurant sur l’accusé de réception de la communication du GIP de Rimini, les juridictions italiennes auraient dû ordonner une expertise graphologique pour vérifier si la personne accusée avait eu connaissance des poursuites. De toute manière, la notification dudit avis n’a pas eu lieu selon les modalités prévues par la Convention italo-hongroise de 1977, qui devrait être obligatoirement appliquée à toute notification entre les Etats signataires ; elle devrait partant être considérée comme nulle et non avenue. De plus, à supposer même que le choix des autorités italiennes de notifier l’avis par la poste puisse être accepté, il y aurait de toute manière eu méconnaissance des règles fixées par la loi hongroise, qui impose d’indiquer exactement le nom de la personne qui reçoit le pli recommandé avec mention d’une pièce d’identité.

  44.  Le requérant conteste également la décision du 17 août 2000, et allègue que la procédure de rectification d’erreur serait inapplicable à son cas, où plusieurs éléments identifiant le condamné étaient incompatibles avec les données personnelles de la personne arrêtée.

  45.  Il rappelle en outre que tous les appels qu’il a pu présenter une fois extradé en Italie ont été rejetés pour tardiveté. La présence d’un défenseur d’office devant le tribunal de Rimini n’aurait pas garanti un procès équitable, le droit à la défense consistant notamment dans la possibilité de choisir son propre avocat et de discuter avec lui la ligne de défense à suivre. Cette situation aurait été aggravée par le fait que le tribunal de Rimini a appliqué une peine particulièrement sévère en évaluant négativement la circonstance que l’accusé ne s’était pas présenté aux débats.

  46.  Dans l’un de ses mémoires, le requérant a relevé n’avoir jamais soutenu avoir été victime d’une erreur de personne. Cette affirmation semble toutefois démentie par certains passages de ses observations ultérieures.

2. Le Gouvernement

  47.  Le Gouvernement s’oppose aux thèses du requérant et observe que celui-ci a pu bénéficier de toutes les garanties prévues par le système juridique italien, compte tenu notamment des nombreux appels que, par le biais de son conseil, il a pu interjeter contre sa condamnation. Il souligne également que devant le tribunal de Rimini, le requérant a été déclaré contumax et assisté par un avocat d’office, qui a participé aux débats et demandé l’acquittement de son client.

  48.  Le Gouvernement relève en outre que certaines des affirmations du requérant sont contradictoires. En particulier, ce dernier déclare d’un côté ne pas être la personne reconnue coupable par le tribunal de Rimini, et, de l’autre, ne pas avoir été informé de la procédure contre lui. Or, si la première affirmation était vraie, aucune question ne saurait se poser quant à l’équité de la procédure diligentée contre l’autre personne, le seul point à trancher étant l’éventuelle illégitimité de l’arrestation du requérant, contraint de purger une peine infligée à autrui.

  49.  Cependant, selon le Gouvernement, la première affirmation du requérant est manifestement dépourvue de fondement, son identification comme le coupable ayant été prouvée au delà de tout doute raisonnable par des éléments précis et nombreux.

  50.  Par ailleurs, tout au long de la procédure devant la Cour le requérant a parfois affirmé ne pas être la personne poursuivie et condamnée par le tribunal de Rimini, parfois admis son identité avec la personne en question, se plaignant uniquement d’un défaut de notification. Cette ambiguïté s’expliquerait par le fait que tant au niveau interne, quant au niveau européen, le requérant visait à être innocenté et à éviter de purger la peine qui lui a été infligée. Une décision sur ce point, cependant, sortirait de la compétence de la Cour.

  51.  Le Gouvernement relève une différence entre la thèse du requérant - selon laquelle il aurait fallu appliquer la Convention italo-hongroise de 1977 – et celle du gouvernement hongrois – selon laquelle le traité applicable en l’espèce était la Convention européenne d’assistance légale mutuelle en matière pénale du 20 avril 1959. Les autorités italiennes n’ont cependant appliqué aucune de ces conventions, se bornant à notifier, sur la base de la législation nationale italienne, la citation à comparaître par la voie postale. De l’avis du Gouvernement, cette démarche serait parfaitement légitime et ne serait entachée par aucune illégalité. Il note, sur ce point, que la cour d’appel de Bologne et la Cour de cassation ont rejeté toutes les allégations du requérant, observant notamment que faute de demande de la part de l’une des Hautes Parties contractantes, l’application de la Convention italo-hongroise de 1977 n’était pas obligatoire, chaque Etat étant libre de procéder aux notifications selon les voies ordinaires. De plus, l’obligation, établie par la loi hongroise, d’indiquer exactement le nom de la personne qui reçoit le pli recommandé avec mention d’une pièce d’identité, s’appliquerait uniquement lorsque, contrairement à ce qui serait arrivé dans la présente espèce, le pli en question est reçu par une personne différente de son destinataire.

  52.  Pour ce qui est des arguments du tiers intervenant, le Gouvernement observe que le principe de la souveraineté nationale interdit d’accomplir en territoire étranger seuls les actes qui impliquent l’exercice de la puissance publique et de la « juridiction », tels qu’une arrestation, un interrogatoire, une perquisition. Il en irait autrement, par contre, en ce qui concerne la signification d’un document ou d’un acte, qui n’emporte aucune conséquence dans l’ordre juridique de l’Etat de résidence du destinataire du document. De plus, la notification n’aurait pas eu lieu en territoire étranger, mais sur le territoire italien, où le pli a été envoyé. Enfin, la déclaration faite par le gouvernement de la Hongrie aux termes de l’article 15 de la Convention européenne d’assistance légale mutuelle en matière pénale ne s’appliquerait pas à la remise des actes. Enfin, ladite convention, correctement interprétée, permettrait aux parties de demander l’assistance d’un autre Etat en matière de notification des actes, mais n’imposerait aucune obligation dans ce sens, les autorités nationales étant toujours libres de choisir, si elles le souhaitent, la forme de transmission ordinaire.

  53.  En tout état de cause, la question de l’applicabilité des conventions invoquées par le requérant et le tiers intervenant aurait peu d’importance, le point essentiel à trancher dans la présente espèce étant de savoir si l’avis de fixation d’audience est parvenu au requérant et si la présomption légale de connaissance était suffisamment étayée pour justifier le refus de rouvrir le délai pour interjeter appel.

  54.  A cet égard, le Gouvernement rappelle que la cour d’appel de Bologne a exclu l’existence de doutes légitimes quant à l’identité du requérant, identifié, au delà de certaines petites fautes de plume dans l’écriture de son nom, par son lieu de résidence et par le nom de sa mère. Quant à l’authenticité de la signature figurant sur l’accusé de réception de la communication du GIP de Rimini, le Gouvernement estime ne pas être en mesure de se pencher sur cette question. D’autre part, la Cour elle-même ne serait pas un tribunal d’instance chargé de mener une enquête pour vérifier l’éventuelle falsification d’une signature.

  55.  Estimant devoir s’en tenir aux faits, tels que résultant du dossier, le Gouvernement relève que l’avis de fixation de l’audience préliminaire à été notifié en mains propres à une adresse correspondante à celle qui avait été notée par Mme M., et à laquelle cette dernière avait reçu une lettre de l’un des frères S. Par ailleurs, cette adresse ne différerait guère de celle qui a été indiquée par le requérant dans sa requête à la Cour. De toute manière, l’adresse et le nom du requérant étaient exacts, sinon dans l’original, au moins dans la traduction hongroise de l’acte. De plus, soit la poste était en mesure de comprendre l’erreur (qui selon le Gouvernement serait minime) et de délivrer le pli à son destinataire, soit elle aurait dû restituer la lettre à son expéditeur. Il serait contraire au bon sens de penser que le facteur hongrois ait pu délivrer la communication du GIP de Rimini à une personne différente du requérant – mais dont le nom serait étonnamment proche de celui de M. Somogyi – et à une adresse qui, selon les allégations de la partie requérante elle-même, n’existerait pas. Selon le Gouvernement, la thèse du requérant serait un échafaudage peu ingénieux et passablement confus, fondé sur un fait réel (les fautes dans l’adresse), pour essayer de sortir d’une très fâcheuse passe.

  56.  Le Gouvernement relève en outre qu’en 1995 le requérant a été interviewé par un journaliste italien. Ce dernier a probablement dit quelque chose au requérant pour justifier sa visite, décelant ainsi l’existence de soupçons et d’une procédure judiciaire pendante. Bien que de telles informations ne puissent pas remplacer la notification de l’avis d’audience, il serait difficile de croire que le requérant se soit, malgré la situation très grave à laquelle il allait faire face, totalement désintéressé de l’affaire. Notamment, le requérant aurait pu charger un avocat de suivre le déroulement de la procédure italienne. Par ailleurs, compte tenu de la grande médiatisation de l’affaire, la presse hongroise a dû donner des nouvelles quant à l’impasse dans laquelle se trouvait un compatriote, ce qui rend peu crédible le requérant lorsqu’il affirme n’avoir jamais rien su de la procédure pénale le concernant. Pareillement il serait très curieux que la personne ayant reçu la lettre adressée au requérant n’ait pas pris le soin de manifester aux autorités italiennes sa position.

  57.  Le Gouvernement en déduit que le requérant a eu connaissance en temps voulu de la procédure diligentée à son encontre, ayant, partant, la possibilité de participer à son procès et de s’y faire représenter par un avocat de son choix, possibilité à laquelle il aurait volontairement renoncé.

  58.  Le Gouvernement admet enfin que les autorités nationales sont tenues d’exercer un contrôle attentif pour s’assurer qu’aucun doute sérieux n’existe quant à l’équité d’une procédure pénale. Cependant, cette obligation n’irait pas jusqu’à imposer une réouverture de la procédure ou l’accomplissement de vérifications longues et difficiles lorsque, comme dans la présente espèce, les allégations du condamné sont peu vraisemblables et l’intéressé ne s’est pas soucié de déposer une plainte pour faux, se bornant à manifester sa disponibilité dans ce sens.

3. Le tiers intervenant

  59.  Le gouvernement hongrois observe que le principe de souveraineté implique qu’un Etat peut accomplir des activités judiciaires en dehors de son territoire par rapport à des citoyens d’un autre Etat seulement sur la base de traités bilatéraux ou multilatéraux ou bien en cas de réciprocité. Or, la coopération judiciaire entre la Hongrie et l’Italie serait gouvernée par la Convention européenne d’assistance légale mutuelle en matière pénale depuis le 11 octobre 1993, date de l’accession de la Hongrie à ladite convention. En effet, aux termes de son article 26 § 1, cette dernière a remplacé tout traité, convention ou accord bilatéral existant entre deux parties contractantes. Par conséquent, à l’époque où la notification au requérant a eu lieu, la Convention italo-hongroise ne pouvait plus être appliquée.

  60.  Aux termes de l’article 15 de la Convention européenne d’assistance légale mutuelle en matière pénale, le gouvernement de la Hongrie a déclaré que toute demande d’assistance judiciaire doit être envoyée au ministère de la Justice, excluant ainsi l’utilisation de toute autre voie de communication. Le ministère doit ensuite procéder à notifier tout acte provenant des autorités italiennes dans le respect des règles fixées par le droit hongrois. Comme les autorités italiennes ne se sont pas adressées au ministère de la Justice hongrois, la notification au requérant n’a pas été faite selon les voies légales.

B.  L’appréciation de la Cour

1.  L’objet du litige

  61.  La Cour observe d’emblée que les parties ont longuement traité la question de savoir si la notification de l’avis de la fixation d’audience au requérant pouvait être faite par la poste, selon les dispositions pertinentes de la loi italienne, ou bien si les autorités de l’Etat défendeur auraient dû faire usage des instruments prévus par la Convention italo-hongroise de 1977 ou par la Convention européenne d’assistance légale mutuelle en matière pénale. Selon le gouvernement de l’Italie, l’application de ces deux traités était, en l’espèce, facultative, alors que de l’avis du requérant et du tiers intervenant elle était obligatoire. Le requérant a également contesté la légitimité de l’adoption de la procédure de rectification d’erreur pour remédier aux imprécisions concernant ses données personnelles contenues dans le jugement de condamnation.

  62.  La Cour n’estime cependant pas nécessaire de se pencher sur ces questions. Elle rappelle qu’elle est compétente uniquement pour appliquer la Convention européenne des Droits de l’Homme, et que sa tâche n’est pas celle d’interpréter ou de surveiller le respect d’autres conventions internationales en tant que telles (voir Di Giovine c. Portugal (déc.), no 39912/98, 31 août 1999, et Hermida Paz c. Espagne (déc.), no 4160/02, 28 janvier 2003 ; voir également Di Lazzaro c. Italie, no 31924/96, décision de la Commission du 10 juillet 1997, Décisions et Rapports (DR) 90, pp. 134, 139). Au demeurant, il n’appartient pas à la Cour de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, ECHR 1999-I).

  63.  Il convient également d’observer que dans ses premières communications à la Cour, le requérant se plaignait, pour l’essentiel, d’avoir été victime d’une erreur de personne. Il alléguait, en particulier, qu’il n’était pas l’individu condamné par le tribunal de Rimini sur la base des témoignages des coïnculpés, et qu’il avait été arrêté à la place du vrai coupable. Cependant, dans l’un de ses mémoires, le requérant a modifié sa position, admettant, en substance, être la personne reconnue par les témoins. Bien que certaines affirmations contenues dans des lettres postérieures soient susceptibles d’évoquer à nouveau la position initiale du requérant, la Cour estime ne pas être appelée à se prononcer quant à l’exactitude de l’identification physique du condamné, une question que les autorités judiciaires italiennes ont tranchée faisant usage de leur droit incontesté d’apprécier les éléments de preuve qui leur ont été soumis.

  64.  La Cour se bornera donc à rechercher si, dans son ensemble, la procédure pénale menée contre le requérant a revêtu un caractère équitable (voir, parmi beaucoup d’autres, Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, p. 711, § 50), examinant si la condamnation par contumace de l’intéressé a porté atteinte aux principes consacrés à l’article 6 de la Convention.

2.  Le fond de l’affaire

  65.  La Cour rappelle que quoique non mentionnée en termes exprès au paragraphe 1 de l’article 6, la faculté pour l’« accusé » de prendre part à l’audience découle de l’objet et du but de l’ensemble de l’article. Du reste, les alinéas c), d) et e) du paragraphe 3 reconnaissent à « tout accusé » le droit à « se défendre lui-même », « interroger ou faire interroger les témoins » et « se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience », ce qui ne se conçoit guère sans sa présence (voir Colozza c. Italie, arrêt du 12 février 1985, série A no 89, p. 14, § 27 ; T. c. Italie, arrêt du 12 octobre 1992, série A no 245-C, p. 41, § 26 ; F.C.B. c. Italie, arrêt du 28 août 1991, série A no 208-B, p. 21, § 33 ; voir également Belziuk c. Pologne, arrêt du 25 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 570, § 37).

  66.  Si une procédure se déroulant en l’absence du prévenu n’est pas en soi incompatible avec l’article 6 de la Convention, il en demeure néanmoins qu’un déni de justice est constitué lorsqu’un individu condamné in absentia ne peut obtenir ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien-fondé de l’accusation en fait comme en droit, alors qu’il n’est pas établi de manière non équivoque qu’il a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre (Colozza c. Italie, arrêt précité, p. 15, § 29, et Einhorn c. France (déc.), no 71555/01, § 33, CEDH 2001-XI).

  67.  La Convention laisse aux Etats contractants une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leurs systèmes judiciaires de répondre aux exigences de l’article 6 tout en préservant leur efficacité. Il appartient toutefois à la Cour de rechercher si le résultat voulu par celle-ci se trouve atteint. En particulier, il faut que les ressources offertes par le droit interne se révèlent effectives si l’accusé n’a ni renoncé à comparaître et à se défendre ni eu l’intention de se soustraire à la justice (Medenica c. Suisse, no 20491/92, § 55, CEDH 2001-VI).

  68.  Dans les circonstances de la présente espèce, les autorités italiennes ont estimé, en substance, que le requérant avait renoncé à son droit à comparaître à l’audience car, bien qu’informé par courrier recommandé des accusations portées à son encontre et de la date de l’audience préliminaire, il ne s’était soucié ni de se présenter devant le GIP de Rimini, ni de nommer un conseil légal. L’intéressé conteste cette version des faits affirmant ne jamais avoir reçu la lettre recommandée incriminée, au motif que l’adresse était indiquée de manière erronée.

  69.  Les circonstances qui entourent la délivrance de la communication du GIP de Rimini du 30 octobre 1997 demeurent incertaines. Sur la base des éléments produits devant elle, la Cour n’est pas en mesure de déterminer si ladite communication a été reçue par le requérant.

  70.  Aux fins de la présente affaire, la Cour se borne à observer que le requérant a à plusieurs reprises contesté l’authenticité de la signature qu’on lui attribuait et qui constituait le seul élément susceptible de prouver que l’accusé avait été informé de l’ouverture des poursuites. On ne saurait considérer que les allégations du requérant étaient de prime abord dénuées de fondement, compte tenu, notamment, de la différence entre les signatures produites par le requérant et celle figurant sur l’accusé de réception, ainsi que de la différence existante entre le prénom du requérant (Tamas) et celui du signataire (Thamas). De plus, les imprécisions dans l’indication de l’adresse du destinataire étaient de nature à soulever des doutes sérieux quant à l’endroit auquel la lettre avait été délivrée.

  71.  Face aux allégations de l’intéressé, les juridictions italiennes ont rejeté tout recours interne et refusé de rouvrir le procès ou le délai pour interjeter appel sans examiner l’élément qui, aux yeux de la Cour, était au cœur de l’affaire, à savoir la paternité de la signature figurant sur l’accusé de réception. En particulier, aucune enquête n’a été ordonnée pour vérifier le fait litigieux, et, malgré les demandes réitérées de l’intéressé, aucune expertise graphologique n’a été accomplie pour comparer les signatures.

  72.  La Cour considère que, eu égard à la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique (voir, parmi beaucoup d’autres, Delcourt c. Belgique, arrêt du 17 janvier 1970, série A no 11, pp. 14-15, § 25 in fine), l’article 6 de la Convention implique pour toute juridiction nationale l’obligation de vérifier si l’accusé a eu la possibilité d’avoir connaissance des poursuites à son encontre lorsque, comme en l’espèce, surgit sur ce point une contestation qui n’apparaît pas d’emblée manifestement dépourvue de sérieux (voir, mutatis mutandis et en relation à l’obligation de vérifier si le tribunal était « impartial », Remli c. France, arrêt du 23 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 574, §§ 47-48). Ce principe est d’ailleurs en substance accepté par le Gouvernement (voir paragraphe 58 ci-dessus).

  73.  Or, dans la présente affaire, la cour d’appel de Bologne et la Cour de cassation n’ont pas procédé à une telle vérification, privant le requérant de la possibilité de remédier, le cas échéant, à une situation contraire aux exigences de la Convention. Ainsi, aucun contrôle scrupuleux n’a été accompli pour déterminer, au-delà de tout doute raisonnable, si la renonciation à comparaître du condamné était non équivoque.

  74.  Il s’ensuit qu’en l’espèce les moyens mis en place par les autorités nationales n’ont pas permis d’atteindre le résultat voulu par l’article 6 de la Convention.

  75.  En ce qui concerne, enfin, l’affirmation du Gouvernement selon laquelle le requérant aurait de toute manière eu connaissance des poursuites par le biais du journaliste l’ayant interviewé ou de la presse locale, la Cour rappelle qu’aviser quelqu’un des poursuites intentées à sa charge constitue un acte juridique d’une telle importance qu’il doit répondre à des conditions de forme et de fond propres à garantir l’exercice effectif des droits de l’accusé ; cela ressort, du reste, de l’article 6 § 3 a) de la Convention. Une connaissance vague et non officielle ne saurait suffire (T. c. Italie, arrêt précité, p. 42, § 28).

  76.  Il y a donc eu violation de l’article 6 de la Convention.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

  77.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

 « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

  78.  Le requérant sollicite l’octroi de 102 270 euros (EUR) à titre de dommage matériel, somme calculée sur la base de 35 EUR pour chaque jour de privation de liberté déjà soufferte ou à purger avant l’expiration de sa sentence. Il allègue qu’avant son arrestation il s’occupait de l’achat et de la vente de voitures et possédait une société. A cause de sa détention, ses affaires ont été interrompues, et le requérant ne réalise, à l’état actuel, aucun profit.

  79.  Sous l’angle du dommage moral, le requérant allègue avoir été impliqué dans l’un des crimes les plus horribles du siècle, ce qui a eu un impact destructeur sur ses relations sociales et sur sa santé mentale et physique. Il demande de ce chef 300 000 EUR.

  80.  Le Gouvernement note que le requérant n’a pas prouvé l’existence d’un lien de causalité entre la violation de la Convention et le préjudice qu’il allègue. En particulier, il n’a soumis aucun élément permettant d’établir le chiffre d’affaire de son commerce et ses revenus annuels ; de plus, il n’a pas démontré que son entreprise a dû fermer du fait de son absence. Quant au dommage moral, le constat d’une violation fournirait en soi une satisfaction équitable suffisante.

  81.  La Cour rappelle qu’elle sera en mesure d’octroyer de sommes au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41 lorsque la perte ou les dommages réclamés ont été causés par la violation constatée, l’Etat n’étant par contre pas censé verser de l’argent pour les dommages qui ne lui sont pas imputables (Perote Pellon c. Espagne, no 45238/99, § 57, 25 juillet 2002).

  82.  En l’espèce, la Cour a constaté une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dans la mesure où les autorités italiennes n’ont pas entamé les démarches nécessaires pour s’assurer que le droit du requérant à participer à son procès avait été respecté. Cette constatation n’implique pas nécessairement que la condamnation du requérant ait été mal fondée.

  83.  La Cour ne considère pas approprié d’octroyer une compensation au requérant pour les pertes alléguées. Aucun lien de causalité ne se trouve en effet établi entre la violation constatée et les répercussions négatives que la condamnation aurait eues sur les activités commerciales et sur les relations sociales de l’intéressé.

  84.  Dans la mesure où le requérant demande l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de sa détention, la Cour fait remarquer qu’elle n’a pas constaté que la privation de liberté en question était constitutive en l’espèce d’une violation de la Convention. En conséquence, aucune satisfaction équitable ne saurait être accordée à ce titre.

  85.  Quant au préjudice moral, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante (voir Brozicek c. Italie, arrêt du 19 décembre 1989, série A no 167, p. 20, § 48 ; F.C.B. c. Italie, arrêt précité, p. 22, § 38 ; T. c. Italie, arrêt précité, p. 43, § 32).

  86.  La Cour rappelle sa jurisprudence bien établie selon laquelle en cas de violation de l’article 6 § 1 de la Convention il faut placer le requérant, le plus possible, dans une situation équivalant à celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de cette disposition (Piersack c. Belgique (article 50), arrêt du 26 octobre 1984, série A no 85, p. 16, § 12). La Cour estime que lorsqu’elle conclut que la condamnation d’un requérant a été prononcée malgré l’existence d’une atteinte potentielle à son droit à participer à son procès le redressement le plus approprié serait en principe de faire rejuger l’intéressé ou de rouvrir la procédure en temps utile et dans le respect des exigences de l’article 6 de la Convention (voir, mutatis mutandis et en matière de manque d’indépendance et impartialité de la juridiction de jugement, Gençel c. Turquie, n53431/99, § 27, 23 octobre 2003, et Tahir Duran c. Turquie, no 40997/98, § 23, 29 janvier 2004).

B.  Frais et dépens

  87.  Le requérant sollicite le remboursement des frais et dépenses encourues pour remédier à la violation de la Convention, qui s’élèveraient à 9 523,62 EUR.

  88.  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour, tout en soulignant que pourront être remboursées seules les dépenses encourues pour faire valoir les droits garantis par la Convention, dans la mesure où elles ont été nécessaires et raisonnables.

  89.  La Cour relève que le requérant, avant de s’adresser aux organes de la Convention, a épuisé les voies de recours qui lui étaient ouvertes en droit italien, soulevant la question de l’irrégularité de la notification de l’avis de fixation d’audience devant les compétentes juridictions italiennes. La Cour accepte par conséquent que l’intéressé a encouru des dépenses pour faire corriger la violation de la Convention tant dans l’ordre juridique interne qu’au niveau européen (voir, mutatis mutandis, Rojas Morales c. Italie, no 39676/98, § 42, 16 novembre 2000). Elle trouve cependant excessifs les frais totaux revendiqués à ce titre. La Cour considère dès lors qu’il n’y a lieu de rembourser qu’en partie les frais exposés par le requérant devant elle et devant les juridictions nationales (voir, mutatis mutandis, Sakkopoulos c. Grèce, no 61828/00, § 59, 15 janvier 2004). Compte tenu des éléments en sa possession et de sa pratique en la matière, elle considère raisonnable de lui accorder la somme globale de 4 500 EUR.

C.  Intérêts moratoires

  90.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

 
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ; 
 

2.  Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ; 
 

3.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ; 
 

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

  Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 mai 2004 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 
 
      S. Dollé J.-P. Costa 
 Greffière Président