TROISIÈME SECTION 
 
 
 
 
 
 

AFFAIRE VOISINE c. FRANCE 
 

(Requête n° 27362/95) 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

ARRÊT 
 
 

STRASBOURG 
 

8 février 2000 
 
 

 
 

  

  En l’affaire Voisine c. France,

  La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

      Sir Nicolas Bratza, président
 MM. J.-P. Costa, 
  L. Loucaides, 
  P. Kūris, 
 Mme F. Tulkens, 
 M. K. Jungwiert, 
 Mme H.S. Greve, juges
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

  Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 14 septembre 1999 et 25 janvier 2000,

  Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

 
PROCÉDURE

  1.  L’affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement français (« le Gouvernement ») par une lettre adressée le 15 février 1999, dans le délai de trois mois qu’ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), et enregistrée au greffe le 25 février 1999. A son origine se trouve une requête (n° 27362/95) dirigée contre la France et dont un ressortissant français, M. Rémy Voisine (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 3 avril 1995 en vertu de l’ancien article 25.

  2.  A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l’article 5 § 4 dudit Protocole, lu en combinaison avec les articles 100 § 1 et 24 § 6 du règlement de la Cour (« le règlement »), un collège de la Grande Chambre a décidé, le 31 mars 1999, que l’affaire serait examinée par une chambre constituée au sein de l’une des sections de la Cour.

  3.  Le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a ensuite attribué l’affaire à la troisième section. La chambre constituée au sein de ladite section comprenait de plein droit M. J.-P. Costa, juge élu au titre de la France (articles 27 § 2 de la Convention et 26 § 1 a) du règlement), et Sir Nicolas Bratza, président de la section (article 26 § 1 a) du règlement). Les autres membres désignés par ce dernier pour compléter la chambre étaient M. L. Loucaides, M. P. Kūris, Mme F. Tulkens, M. K. Jungwiert et Mme H.S. Greve (article 26 § 1 b) du règlement).

  4.  Le 15 juin 1999, après avoir consulté l’agent du Gouvernement et le conseil du requérant, la chambre a décidé de tenir une audience (article 59 § 2 du règlement).

  5.  La greffière a reçu le mémoire du requérant et ses annexes les 5 mai et 24 juin 1999 et le mémoire du Gouvernement le 5 juillet 1999. Le 10 août 1999, le requérant a présenté un mémoire en réplique.

  6.  L’audience s’est déroulée en public le 14 septembre 1999, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. 
 

  Ont comparu :

– pour le Gouvernement 
MM. J.-F. Dobelle, directeur adjoint des affaires juridiques, 
  ministère des Affaires étrangères, agent
  B. Cotte, avocat général à la Cour de cassation, 
  P. Boussaroque, magistrat détaché 
  à la direction des affaires juridiques, 
  ministère des Affaires étrangères, conseils ;

– pour le requérant 
Me   Yannick Rio, avocat au barreau de Rouen conseil.
 
 

  La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, Me Rio et M. Dobelle.

 
EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

  7.  Par un jugement du tribunal de police de Beaune du 14 janvier 1994, le requérant fut reconnu coupable d’une contravention pour excès de vitesse d’au moins 30 km/h pour avoir circulé à 166 km/h au lieu des 130 km/h autorisés. Il fut condamné à 1 500 francs d’amende et à sept jours de suspension du permis de conduire.

  8.  Par un arrêt du 25 mai 1994, la cour d’appel de Dijon confirma la culpabilité du requérant et réforma la peine en fixant l’amende à 3 000 francs et la suspension du permis de conduire à un mois.

  9.  Le requérant forma un pourvoi en cassation et déposa un mémoire personnel.

  10.  Par un arrêt du 4 janvier 1995, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle s’exprima notamment comme suit :

 « Attendu qu’aux termes de l’article 585-1 du Code de procédure pénale, le mémoire du demandeur condamné pénalement doit parvenir au greffe de la Cour de cassation un mois au plus tard après la date du pourvoi, sauf dérogation accordée par le président de la chambre criminelle ;

 Attendu que le requérant, qui s’est pourvu le 27 mai 1994, a adressé, le 5 juillet 1994, son mémoire parvenu au greffe de la Cour de cassation le 6 juillet 1994, sans justifier avoir obtenu la dérogation prévue au texte précité ; D’où il suit que le mémoire n’est pas recevable et ne peut saisir la Cour de cassation des moyens qu’il pourrait contenir ;

 Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme et que les faits souverainement constatés justifient la qualification et la peine. »

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

  11.  Les avocats à la Cour de cassation bénéficient d’un monopole de représentation et d’assistance des parties devant la Cour de cassation.

  12.  Le demandeur condamné pénalement est recevable à présenter au soutien de son pourvoi en cassation, sans le ministère d’un avocat à la Cour de cassation, un mémoire personnel signé par lui, dans les conditions prévues par les articles 584 et suivants du code de procédure pénale.

  13.  Il peut formuler une requête en vue de sa comparution personnelle devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. Il appartient à la Cour d’y faire droit ou non, suivant les circonstances (Cass. crim. 3 mai 1990, Bull. 166). Ainsi que le Gouvernement le souligne, cette faculté n’est que rarement consentie ; le principe étant celui du monopole de parole des avocats à la Cour de cassation.

  14.  De nos jours, l’avocat général informe avant le jour de l’audience les conseils des parties du sens de ses propres conclusions et, lorsque, à la demande desdits conseils, l’affaire est plaidée, ces derniers ont la possibilité de répliquer aux conclusions en question oralement ou par une note en délibéré (arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 666, § 106).

  15.  Selon le droit applicable en matière d’aide juridictionnelle (loi du  
10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et son décret d’application du  
19 décembre 1991), « les personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice peuvent bénéficier d’une aide juridictionnelle. Cette aide est totale ou partielle. » (article 2 de la loi).

  16.  Dans les cas d’urgence, ou lorsque la procédure met en péril les conditions essentielles de vie du requérant, l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée par le président du bureau d’aide juridictionnelle ou par la juridiction compétente (articles 20 de la loi et 62 et suivants du décret).

 
ProcÉdure devant la commission

  17.  M. Voisine a saisi la Commission le 3 avril 1995. Il alléguait notamment la méconnaissance du droit à un procès équitable (article 6 § 1 de la Convention) en raison de l’absence de communication des conclusions de l’avocat général près la Cour de cassation et de l’impossibilité de pouvoir y répondre, n’étant pas informé de la date d’audience.

  18.  Le 14 janvier 1998, la Commission a retenu la requête (no 27362/95) quant à ces griefs et l’a rejetée pour le surplus. Dans son rapport1 du 21 octobre 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut à l’unanimité à la violation de l’article 6 § 1.

 
EN DROIT

I. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention

  19.  Le requérant se plaint de ce que – dans le cadre de son pourvoi en cassation devant la chambre criminelle de la Cour de cassation – il n’a pu avoir communication des conclusions de l’avocat général, et n’a pas pu y répondre, n’étant du reste pas informé de la date d’audience. Il invoque la méconnaissance du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente se lit ainsi :

 « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »

1. Thèses des comparants

a) Le requérant

  20.  Le requérant souligne avoir choisi de ne pas se faire représenter par un avocat à la Cour de cassation, ainsi que le droit interne l’y autorise. Il se réfère également à l’article 6 § 3 c) de la Convention. Dans un tel cas, il pouvait présenter un mémoire personnel au soutien de son pourvoi avec l’assistance d’un avocat devant les juges du fond. Ce faisant, il devait bénéficier des garanties du droit à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1. Or il n’a pu bénéficier de la possibilité de répliquer aux conclusions de l’avocat général offerte au conseil des parties par la pratique qui existait à l’époque des faits (voir droit interne pertinent, paragraphe 14) et qui a été jugée conforme aux garanties de l’article 6 § 1 dans l’arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd précité. Du reste, selon une jurisprudence désormais bien établie de la chambre criminelle de la Cour de cassation, une requête aux fins de sa comparution personnelle aurait été rejetée (voir droit interne pertinent, paragraphe 13).

b) Le Gouvernement

  21.  Le Gouvernement considère que le requérant aurait pu bénéficier de la pratique qui existait au moment des faits et que la Cour a jugé compatible avec les exigences de l’article 6 § 1 dans son arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd précité (p. 666, § 106), s’il s’était fait représenter par un conseil, soit un avocat spécialisé.

  22.  A cette fin, il aurait pu demander l’aide juridictionnelle, dont l’admission provisoire est systématiquement accordée en matière pénale aux demandeurs qui forment un pourvoi afin de leur permettre de bénéficier effectivement d’une assistance juridique, compte tenu du haut degré de technicité du recours en cassation et de la brièveté des délais de procédure.

  23.  Faute d’avoir ainsi procédé, le requérant a choisi délibérément de renoncer à la pratique précitée et donc à des débats oraux à l’audience de nature à satisfaire aux exigences du droit à un procès équitable dans le respect de l’égalité des armes devant la Cour de cassation. Pareil renoncement s’est fait en toute connaissance de cause car le requérant était conseillé par un avocat devant les juges du fond, lequel était rompu aux arcanes de la procédure (arrêt Melin c. France du 22 juin 1993, série A n° 261-A, pp. 11-12, § 24). Ce dernier aurait également pu l’informer de la date d’audience devant la Cour de cassation.

  24.  Le Gouvernement rappelle la spécificité de la procédure devant la Cour de cassation. Celle-ci, écrite et technique, appelle l’intervention de praticiens de haut niveau. Il est donc légitime de réserver à des avocats spécialisés la prise de parole à l’audience. De plus, l’enjeu qui s’attache à la prise de parole du demandeur pénalement condamné, non juriste, est limité devant le juge de cassation qui assure le respect du droit. Cette prise de parole représente un enjeu bien plus important devant le juge du fond qui, chargé de statuer sur la culpabilité de l’intéressé, doit apprécier les faits et le bien-fondé de l’accusation. Pour ces raisons, dans les faits, les plaidoiries sont très rares devant la Cour de cassation et les demandes de comparution personnelle rejetées. Il n’en reste pas moins que le requérant, non représenté par un avocat à la Cour de cassation, peut présenter un mémoire en cassation par l’intermédiaire d’un avocat à la cour et assurer ainsi dans les meilleures conditions le respect du contradictoire.

  Subsidiairement, le Gouvernement indique qu’il convient de considérer la procédure dans son ensemble et qu’elle a revêtu, à cet égard, un caractère conforme aux exigences de l’article 6 § 1. Il renvoie sur ce point à l’arrêt K.D.B. c. Pays-Bas du 27 mars 1998 (Recueil 1998-II).

2. Appréciation de la Cour

  25.  La Cour entend rechercher si, considérée dans sa globalité, la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation revêtit en l’espèce un caractère « équitable » au sens de l’article 6 § 1.

  26.  Elle rappelle que le grief tiré de l’absence de communication des conclusions de l’avocat général au demandeur en cassation devant la chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà été examiné par la Cour dans son arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd précité. Dans cette affaire, la Cour a indiqué ce qui suit (p. 666, §§ 106-107) : 

 « L’absence de communication des conclusions de l’avocat général aux requérants est pareillement sujette à caution.

 De nos jours, certes, l’avocat général informe avant le jour de l’audience les conseils des parties du sens de ses propres conclusions et, lorsque, à la demande desdits conseils, l’affaire est plaidée, ces derniers ont la possibilité de répliquer aux conclusions en question oralement ou par une note en délibéré (paragraphe 79 ci-dessus). Eu égard au fait que seules des questions de pur droit sont discutées devant la Cour de cassation et que les parties y sont représentées par des avocats hautement spécialisés, une telle pratique est de nature à offrir à celles-ci la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes. Il n’est toutefois pas avéré qu’elle existât à l’époque des faits de la cause.

 Partant, eu égard aux circonstances susdécrites, il y a eu violation de l’article 6 § 1. »

  27.  A la différence de cette précédente affaire, le requérant a choisi, en l’espèce, de se défendre sans la représentation d’un avocat à la Cour de cassation, droit qui lui est expressément reconnu tant par la Convention (par exemple, arrêt Foucher c. France du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 465, § 35) que par le droit interne (voir droit interne pertinent, paragraphe 12).

  28.  Dans ce cas, le requérant n’a pas bénéficié de la pratique – réservée aux seuls avocats à la Cour de cassation – que la Cour a jugé « de nature à offrir [aux parties] la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes » (arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd précité, ibidem).

  29.  Il se conçoit légitimement, pour les raisons énoncées par le Gouvernement (paragraphe 22 ci-dessus), que pareille pratique puisse être réservée à des avocats spécialisés au vu de la spécificité de la procédure devant la Cour de cassation.

  30.  Il n’en demeure pas moins que le droit à une procédure contradictoire au sens de l’article 6 § 1, tel qu’interprété par la jurisprudence, « implique en principe le droit pour les parties à un procès de se voir communiquer et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision » (voir, en matière pénale, l’arrêt J.J. c. Pays-Bas du 27 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 613, § 43 in fine).

  31.  Or, dans la présente affaire, le requérant ne disposa pas de l’accès aux conclusions de l’avocat général. Dès lors, compte tenu de « l’enjeu pour l’intéressé dans la procédure et de la nature des conclusions de l’avocat général, l’impossibilité pour le requérant de répondre à celles-ci avant que la Cour de cassation ne [rejette son pourvoi] a méconnu son droit à une procédure contradictoire » (ibidem).

  32.  S’il est vrai que le requérant n’a pas demandé à bénéficier de l’aide juridictionnelle pour disposer d’une représentation par un avocat spécialisé, il n’en a pas pour autant renoncé au bénéfice des garanties d’une procédure contradictoire, contrairement au dire du Gouvernement. En effet, il ressort des termes constants de la jurisprudence que la renonciation à l’exercice d’un droit garanti par la Convention doit se trouver établie de manière non équivoque (arrêt Colozza c. Italie du 12 février 1985, série A n° 89, pp. 14-15, § 28).

  33.  Il est clair que la spécificité de la procédure devant la Cour de cassation peut justifier de réserver aux seuls avocats spécialisés le monopole de la prise de parole. Toutefois, cette spécificité ne peut justifier qu’il ne soit pas offert au demandeur en cassation, auquel il est reconnu en droit interne le droit de se défendre personnellement, des moyens de procédure qui lui assureront le droit à un procès équitable devant cette juridiction. La Cour rappelle en effet que selon la jurisprudence, un Etat qui se dote d’une Cour de cassation a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elle des garanties fondamentales de l’article 6 (arrêt Ekbatani c. Suède du 26 mai 1988, série A n° 134, p. 12, § 24).

  34.  Ainsi, faute d’avoir offert au requérant un examen équitable de sa cause devant la Cour de cassation dans le cadre d’un procès contradictoire, il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 6 § 1.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

  35.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

 « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

  36.  Devant la Cour, le requérant réclame, justificatifs à l’appui, le versement de la somme de 20 851,60 francs français (FRF) toutes taxes comprises (TTC) pour la procédure interne devant les trois degrés de juridictions. A cette somme s’ajoute celle de 24 120 FRF TTC, « à facturer au terme de la procédure », demandée, sans justificatif, au titre des honoraires pour sa représentation devant la Commission et la Cour.

  37.  Le Gouvernement considère qu’il ne convient d’allouer aucune somme à ce titre.

  38.  S’agissant de la procédure interne, la Cour relève que le grief qui a conduit au constat de violation concerne un point spécifique de la seule phase de la procédure devant la Cour de cassation. Or l’avocat n’a accompli aucune diligence en lien avec le grief en question. Aucune somme ne doit donc lui être allouée de ce chef.

  39.  S’agissant des frais et dépens devant la Commission puis la Cour, le requérant n’a certes pas fourni de pièce justificative, mais la Cour estime, au vu des diligences écrites et orales manifestement accomplies par son avocat, qu’il convient de lui allouer en équité la somme de 10 000 FRF.

 
par ces motifs, la cour

1.  Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2.  Dit, à l’unanimité, que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, la somme de 10 000 (dix mille) francs français pour frais et dépens, montant à majorer d’un intérêt simple de 3,47 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

3.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

  Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 février 2000 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement. 
 
 
 
 

      S.  Dollé  N. Bratza 
 Greffière  Président
 
 
 

  Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente commune à MM. Costa et Jungwiert. 
 
 

                        N.B. 
    S.D.

 
 

 

OPINION DISSIDENTE COMMUNE 
À MM. LES JUGES COSTA ET JUNGWIERT

  L’arrêt Reinhardt et Slimane Kaïd c. France (31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 641) est bien connu : l’absence de communication aux requérants des conclusions de l’avocat général près la Cour de cassation a été considérée par la Cour européenne des Droits de l’Homme comme ne s’accordant pas avec les exigences du procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

  Compte tenu de cet arrêt, la présente affaire semble simple : M. Voisine, auteur d’un pourvoi en cassation contre un arrêt de Cour d’appel le condamnant à une amende et à une suspension d’un mois de son permis de conduire, n’a pas reçu communication des conclusions de l’avocat général, et n’a donc pas pu y répliquer ; ergo, il n’a pas bénéficié, devant la chambre criminelle, d’un procès équitable.

  Mais il faut dépasser les apparences quand elles sont trompeuses, et se soumettre au principe de réalité. En quoi la communication souhaitée par le requérant aurait-elle pu rendre le procès plus équitable qu’il ne l’a été ? En rien. La Chambre criminelle a rejeté le pourvoi du requérant en quelques lignes, en se fondant sur l’article 585-1 du code de procédure pénale. Cette disposition est d’une clarté limpide :

 « Sauf dérogation accordée par le Président de la chambre criminelle, le mémoire du demandeur condamné pénalement doit parvenir au greffe de la Cour de cassation un mois au plus tard après la date du pourvoi.

 Il en est de même pour la déclaration de l’avocat qui se constitue au nom d’un demandeur au pourvoi. »

  En l’espèce, le requérant avait dépassé le délai d’un mois et n’avait pas obtenu la dérogation que le Président de la chambre criminelle a le pouvoir – discrétionnaire et sans recours possible – d’accorder ou de refuser. La Cour de cassation n’a pu que prendre acte de cette tardiveté imparable, et qu’en déduire que le mémoire de M. Voisine était irrecevable et ne pouvait saisir la Cour de cassation des moyens qu’il pourrait contenir (paragraphe 10 de l’arrêt).

  Même avec beaucoup d’imagination, on voit mal comment les conclusions de l’avocat général pouvaient ajouter ou retrancher quoi que ce soit à la constatation objective d’une forclusion entraînant une irrecevabilité automatique. On voit encore plus mal en quoi la communication de ces conclusions aurait pu permettre au requérant d’y répliquer utilement, et donc en quoi leur non-communication a pu porter atteinte à l’équité du procès.

  De même, le fait pour M. Voisine de n’avoir pas pu assister à l’audience devant la Cour de cassation (devant laquelle, au demeurant, sont discutées des questions de pur droit : Reinhardt et Slimane Kaïd, p. 666, § 106) n’a  
 

joué aucun rôle. Il ne conteste pas que son mémoire était bien tardif. Qu’aurait-il pu dire à la Cour, ou qu’aurait pu dire un avocat en son nom ? Le temps étant irréversible, nul ne pouvait faire qu’un délai dépassé redevienne un délai respecté.

  C’est pourquoi nous ne voyons dans cette affaire aucune iniquité procédurale. La Cour prend toujours soin d’examiner le respect des droits et libertés garantis par la Convention à la lumière des faits concrets et des circonstances de la cause ; elle s’interdit d’apprécier in abstracto la compatibilité à la Convention des textes et des pratiques (voir par exemple l’arrêt John Murray c. Royaume-Uni du 8 février 1996, Recueil 1996-I, pp. 48-49, § 44) ; et cela nous semble fort sage. Le requérant n’a concrètement souffert, à notre avis, d’aucune atteinte à son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement. Nous avons donc voté en faveur de la non-violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

1.  Note du greffe : le rapport est disponible au greffe.