DEUXIÈME SECTION 
 
 

AFFAIRE PEPE c. ITALIE 
 

(Requête n° 30132/96) 
 
 

ARRÊT 
 
 

STRASBOURG 
 

27 avril 2000 
 
 
 
 

DÉFINITIF 
 

27/07/2000 
 
 
 
 
 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le recueil officiel contenant un choix d’arrêts et de décisions de la Cour.

 
 

  

  En l’affaire Pepe c. Italie,

  La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

      MM. C.L. Rozakis, président
  M. Fischbach, 
  B. Conforti, 
  G. Bonello, 
 Mme V. Strážnická, 
 M. P. Lorenzen, 
 Mme M. Tsatsa-Nikolovska, juges,

et de  M. E. Fribergh, greffier de section,

  Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 avril 2000,

  Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

 
PROCÉDURE

  1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 30132/96) dirigée contre l’Italie et dont un resortissant italien, M. Umberto Pepe (« le requérant ») avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 5 octobre 1995 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention. La requête a été enregistrée le 7 février 1996 sous le numéro de dossier 30132/96. Le Gouvernement de l’Italie (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. U. Leanza, assisté de M. V. Esposito, co-agent.

  Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée d’une procédure pénale.

  2.  Par une décision du 4 juillet 1997, la Commission (première chambre) a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement, en l'invitant à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé du grief tiré de la durée de la procédure pénale.

  3.  A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l’article 5 § 2 de celui-ci, l’affaire est examinée par la Cour conformément aux dispositions dudit Protocole.

  4.  Conformément à l’article 52 § 1 du règlement de la Cour (« le règlement »), le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a attribué l’affaire à la deuxième section. La chambre constituée au sein de ladite section comprenait de plein droit M. B. Conforti, juge élu au titre de l’Italie (articles 27 § 2 de la Convention et 26 § 1 a) du règlement), et M. C.L. Rozakis, président de la section (article 26 § 1 a) du règlement). Les autres membres désignés par ce dernier pour compléter la chambre étaient M. M. Fischbach, M. G. Bonello, Mme V. Strážnická, M. P. Lorenzen et Mme M. Tsatsa-Nikolovska (article 26 § 1 b) du règlement).

  5.  Le Gouvernement a présenté ses observations le 3 juin 1998 et le requérant y a répondu le 24 juin 1998. Le 11 mai 1999, la Cour a déclaré la requête recevable.

 
EN FAIT

  6.  Ressortissant italien, le requérant est né en 1945 et réside à Frosinone, où il est employé auprès de la caisse de sécurité sociale ("Unità sanitaria locale", ci-après "USL").

  7.  Le 16 mai 1991, le requérant fut arrêté sous l'inculpation de concussion et d’abus de pouvoir. Il était en effet accusé d'avoir accepté des cadeaux de la part de fournisseurs de l'USL pour laquelle il travaillait. Une autre personne fut également mise en cause, en sa qualité de fournisseur. A cette même date, le requérant fut assigné à domicile.

  8.  Le 28 mai 1991, le requérant fut interrogé par le juge des investigations préliminaires près le tribunal de Frosinone. Le même jour, le requérant obtint sa mise en liberté, assortie cependant de la suspension de son poste. Cette mesure fut maintenue tout au long de la procédure. Par ailleurs, les poursuites engagées à l'encontre du requérant eurent des retentissements importants dans la presse locale. La photo du requérant fut ainsi publiée à plusieurs reprises.

  9.  Le 10 avril 1992, le requérant fut renvoyé en jugement et l’audience fut fixée au 11 mars 1993. A cette dernière date, après un exposé des faits et la présentation des moyens des preuves, une nouvelle audience fut fixée au 25 novembre 1993 en vue de l’audition des témoins.

  10.  Cette dernière audience fut reportée en raison du congé de maternité de l’une des juges du tribunal au 28 avril 1994. A cette dernière date, 14 témoins furent entendus et 15 autres à l’audience suivante du 3 mai 1994.

  11.  L’audience du 16 juin 1994 fut suspendue, les juges étant impliqués dans l’organisation des élections pour le Parlement européen. L’examen des preuves fut clos le 20 septembre 1994.

  12.  Par un jugement du 12 janvier 1995, devenu définitif le 17 juillet 1995, le parquet n'ayant pas interjeté appel, le tribunal de Frosinone acquitta le requérant au motif que les faits n'étaient pas constitués.

 
EN DROIT

i. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

  13.  Le requérant se plaint de la durée de la procédure pénale dirigée contre lui. Il allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, qui, dans ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

 « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »

 14.  Le Gouvernement conteste cette thèse en excipant de la complexité de l’affaire. Il invoque également la surcharge du rôle du tribunal et l’insuffisance de juges et de moyens.

A. Période à prendre en considération

  15.  La période à considérer a débuté 16 mai 1991, date à laquelle le requérant a été arrêté, et s’est terminée le 17 juillet 1995, le jour où le jugement du tribunal de Frosinone est devenu définitif.

  16.  Elle s’étend donc sur quatre ans, deux mois et un jour.

B.  Caractère raisonnable de la durée de la procédure

  17.  Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Pélissier et Sassi c. France du 25 mars 1999, à paraître dans Recueil des arrêts et décisions, § 67, et Philis c. Grèce (n° 2) du 27 juin 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, p. 1083, § 35).

  18.  La Cour a relevé des importantes périodes d’inactivité imputable aux autorités judiciaires nationales entre le 28 mai 1991 (date de l’arrestation du requérant) et le 11 mars 1993 (date de la première audience), et entre les audiences des 25 novembre 1993 et 28 avril 1994.

  19.  Or, l’affaire n’était pas complexe et aucune des autres raisons invoquées par le Gouvernement ne saurait justifier ces retards.

  20.  Compte tenu du comportement des autorités compétentes, la Cour estime que l’on ne saurait considérer comme « raisonnable » une durée globale de quatre ans, deux mois et un jour. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. sur l’application de l’article 41 de la Convention

  21.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

 « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

  22.  Le requérant réclame 28 807 776 lires italiennes (ITL) pour le dommage matériel (5 115 960 ITL à titre d’indemnité pour les primes non perçues, 23 091 500 ITL pour frais encourus devant les juridictions nationales et 600 316 ITL pour les intérêts payés sur le prêt bancaire contracté en vue du règlement des notes d’honoraires de son conseil). Il sollicite également le remboursement de 2 000 000 000 ITL à titre de préjudice moral.

  23.  Selon le Gouvernement, le requérant n’a pas prouvé l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice matériel et la durée de la procédure. Pour ce qui est du préjudice moral, il estime qu’un arrêt concluant à la violation de l’article 6 § 1 constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante.

  24.  La Cour observe que le dommage matériel allégué par le requérant (notamment la non-perception de l’indemnité pour les heures supplémentaires qu’il aurait pu faire en 1991) se réfère à une situation hypothétique et ne s’appuie donc sur aucun élément concret. En ce qui concerne les frais encourus devant les juridictions nationales, la Cour considère qu’il n’a pas été démontré que le requérant a engagé des frais spécifiques ou supplémentaires. Par conséquent, la Cour rejette ces demandes de même que les prétentions du requérant concernant les intérêts bancaires.

  25.  En revanche, elle considère que le requérant a subi un tort moral certain. A ce titre, et eu égard aux circonstances de la cause, elle décide de lui octroyer le montant de 12 000 000 ITL.  

B. Intérêts moratoires

  26.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en Italie à la date d’adoption du présent arrêt est de 2,5 % l’an.

 
 

 
par ces motifs, la cour, À l’unanimitÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2. Dit que

a) l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt est devenu définitif, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 12 000 000 (douze millions) lires italiennes pour dommage;

b) ce montant sera à majorer d’un intérêt simple de 2,5 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

  Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 avril 2000, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement. 
 
 

      Erik Fribergh  Christos rozakis 
 Greffier      Président