TROISIÈME SECTION 
 
 

AFFAIRE VAN PELT c. FRANCE 
 

(Requête n° 31070/96) 
 
 

ARRÊT 
 
 

STRASBOURG 
 

23 mai 2000 
 
 
 
 

DÉFINITIF 
 

23/08/2000 
 
 
 
 
 

 
 

  

  En l’affaire Van Pelt c. France,

  La Cour européenne des Droits de l’Homme(troisième section), siégeant en une chambre composée de :

      M. W. Fuhrmann, président
 M. J.-P. Costa, 
 M. L. Loucaides, 
 M. P. Kūris, 
 Mme F. Tulkens, 
 M. K. Jungwiert, 
 Sir Nicolas Bratza, juges
 et de Mme S. Dollé, greffière de section,

  Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 16 novembre 1999 et 4 mai 2000,

  Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

 
PROCÉDURE

  1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête dirigée contre la République française et dont un ressortissant néerlandais, M. Leonardus Van Pelt, avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 17 avril 1996 en vertu de l’ancien article 25. La requête a été enregistrée le 19 avril 1996 sous le numéro de dossier 31070/96. Le requérant est représenté par Me Claire Waquet, avocate au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français est représenté par son agent, Mme Michèle Dubrocard, sous-directrice de la sous-direction des Droits de l’Homme, à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.

  2.  Le 10 septembre 1997, la Commission a décidé de porter partiellement la requête à la connaissance du Gouvernement, en l’invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Elle l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Le Gouvernement a présenté ses observations le 19 janvier 1998, après prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le 14 avril 1998.

  3.  A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément aux clauses de l’article 5 § 2 de celui-ci, l’affaire est examinée par la Cour, conformément aux dispositions dudit Protocole.

  4.  Conformément à l’article 52 § 1 du règlement de la Cour (« le règlement »), le président de la Cour, M. Luzius Wildhaber, a attribué l’affaire à la troisième section.

  5.  Le 30 mars 1999, la chambre a déclaré le restant de la requête recevable et a décidé d’inviter les parties à lui présenter, au cours d’une audience, leurs observations sur le fond.

  6.  Une audience s’est déroulée en public le 16 novembre 1999 au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg.

  Ont comparu :

– pour le Gouvernement 
Mmes Michèle Dubrocard, sous-directrice de la sous-direction 
  des Droits de l’Homme, à la direction des 
  affaires juridiques du ministère 
  des Affaires étrangères, agent
 Claire d’Urso, magistrat au bureau des Droits de 
  l’Homme du Service des affaires européennes 
  et internationales, au ministère de la Justice, 
M. François Capin-Dulhoste, magistrat au bureau de la 
  justice pénale et des libertés individuelles, 
  à la Direction des affaires criminelles et 
  des grâces du ministère de la Justice, conseils ;

– pour le requérant 
Mes Claire Waquet, avocat au Conseil d’Etat 
  et à la Cour de cassation,  
 Jacoba de Jongh-Dunand, avocate au barreau de Paris, 
 P.A.M. Gruijthuissen, avocat 
  au barreau d’Eindhoven, conseils.
 
 

  La Cour a entendu en leurs déclarations, Mes Gruijthuissen, de Jong-Dunand et Waquet, et Mme Dubrocard.

 
EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

  7.  Le requérant, né en 1950 à Geldrop, est néerlandais et réside à Eindhoven.

  8.  Dans le cadre de l’enquête sur un trafic international de stupéfiants, un mandat d’arrêt fut délivré à l’encontre du requérant le 12 décembre 1986 et exécuté en Espagne le 30 janvier 1987, d’où le requérant fut extradé vers la France le 6 novembre 1987. Le 8 novembre 1987, il fut inculpé d’infraction à la législation sur les stupéfiants, de contrebande et d’intérêt à la fraude.

  9.  L’instruction concernait un groupe de personnes de nationalités et de pays de résidence différents, ayant des comptes en banque également dans plusieurs Etats, ainsi que des sociétés fictives situées pour la plupart en Espagne, mais également aux Etats-Unis, en Allemagne et à Jersey.

  10.  Ainsi, le juge d’instruction fut-il amené à délivrer treize commissions rogatoires internationales et quatre commissions rogatoires générales ou spéciales au plan national et à opérer deux transports sur les lieux, dont un en Espagne.

  11.  La traduction des documents recueillis grâce à ces commissions rogatoires ainsi que des courriers écrits en langues étrangères par le requérant et ses coïnculpés nécessita la délivrance de près de quarante ordonnances de commission d’experts traducteurs.

  12.  Au cours de l’instruction, le juge procéda à vingt-cinq interrogatoires au fond des différents inculpés. Il entendit le requérant les 17 décembre 1987, 27 juillet 1988, 28 juin, 28 juillet, 26 octobre et 27 novembre 1989. Il géra par ailleurs tout le contentieux relatif à la détention de six prévenus, y inclus le requérant.

  13.  Par ailleurs, trois personnes, dont le requérant, furent extradées vers la France suite à des procédures diligentées par le juge d’instruction.

  14.  Renvoyé devant le tribunal avec sept autres personnes le 11 janvier 1990, le requérant fut condamné le 22 février 1990 par le tribunal de grande instance de Bobigny à dix-huit ans d’emprisonnement et à l’interdiction définitive du territoire français pour entente en vue du trafic de stupéfiants par importation, exportation, fabrication ou production, contrebande de marchandise prohibée, trafic de stupéfiants par importation, exportation, fabrication ou production.

  15.  Le tribunal se fonda notamment sur le témoignage de D.S. qui, détenu aux Etats-Unis, avait été entendu sur commission rogatoire internationale le 24 octobre 1989 au centre pénitentiaire de Lafayette (Floride). Le tribunal estima que « le témoignage de M.E. et celui de M.S. établissent les faits reprochés à M. Van Pelt. » Il se référa également aux lettres écrites par le requérant à sa compagne lors de son incarcération en Espagne, aux objets trouvés lors de la perquisition de sa villa à Marbella, au fait qu’il avait été soupçonné d’être impliqué aux Pays-Bas en 1974 dans une vente d’opium, en 1983 dans une affaire de contrebande d’héroïne et en 1985 dans un trafic de cannabis.

  16.  De même, le tribunal releva que le requérant était mis en cause en Angleterre pour avoir été l’organisateur et le financier d’une importation de 200 kg de résine de cannabis.

  17.  Le tribunal se référa encore aux déclarations d’un autre témoin, au fait que le requérant avait toujours refusé de s’expliquer sur l’origine des ressources que supposait son train de vie et, qu’alors qu’il avait toujours soutenu n’être titulaire que d’un seul compte en banque, il s’était révélé en fin d’instruction qu’il avait ouvert un compte au Luxembourg à part égale avec son frère.

  18.  Il conclut que l’ensemble de ces éléments confortait les témoignages de M.E. et de M.S.

  19.  Par arrêt du 31 janvier 1991, la cour d’appel de Paris considéra que « s’il existe à l’encontre de Van Pelt les charges très lourdes de culpabilité relevées par le tribunal, il subsiste néanmoins un très léger doute, mais qui doit lui profiter et entraîner sa relaxe. »

  20.  Sur pourvoi du procureur général, la Cour de cassation cassa le 3 février 1992 l’arrêt de la cour d’appel en estimant que « si les juges apprécient librement la valeur des éléments de preuve qui leur sont soumis et se décident d’après leur intime conviction, ils ne sauraient sans se contredire ou mieux s’en expliquer, après avoir reconnu la réunion de charges lourdes de culpabilité, se borner, pour prononcer la relaxe, à affirmer l’existence d’un doute ».

  21.  L’affaire fut renvoyée devant la cour d’appel d’Amiens. Une première audience eut lieu le 25 mars 1993, qui fut renvoyée au 7 octobre 1993 aux fins notamment de citation du requérant et de signification à son profit de l’arrêt de la Cour de cassation.

  22.  A l’audience du 7 octobre 1993, le requérant comparut assisté de ses conseils et déposa des conclusions aux fins de l’audition de deux témoins et d’un complément d’information. En raison de problèmes nécessitant le remplacement de l’interprète, l’audience fut renvoyée au 16 décembre 1993.

  23.  Les 3 et 7 décembre 1993 respectivement, les deux avocats néerlandais du requérant demandèrent le report de l’audience pour préserver les droits de la défense.

  24.  A l’audience du 16 décembre 1993, les deux avocats français du requérant produisirent deux certificats médicaux datés du 15 décembre 1993 et indiquant que le requérant avait été hospitalisé la veille, et demandèrent le renvoi de l’audience. Après traduction de ces certificats, le substitut du procureur général et l’un des avocats du requérant plaidèrent sur la demande de renvoi puis la cour se retira pour délibérer.

  25.  A la reprise de l’audience après délibéré, furent entendus le président en son rapport et le substitut du procureur en ses réquisitions. Le président indiqua ensuite que l’arrêt serait rendu le 14 janvier 1994 et la cour se retira pour délibérer.

  26.  Il ne ressort pas de l’arrêt que les conseils du requérant aient pu plaider sur le fond de l’affaire.

  27.  Dans son arrêt contradictoire du 11 janvier 1994, la cour d’appel se prononça comme suit concernant la demande de renvoi :

 « Attendu que les conseils du prévenu ont sollicité le renvoi de l’affaire au motif que Leonardus Van Pelt était hospitalisé à la suite d’un accident ;

 Attendu qu’ils ont remis à la cour deux documents en langue néerlandaise que la cour a demandé aux deux interprètes, présents à l’audience, (...) de traduire ;

 Attendu que le premier document est un certificat médical délivré le 15 décembre 1993 par le médecin traitant du prévenu qui certifie qu’à la suite d’une chute sur la tête, l’hospitalisation de son patient au service EHBO (lit) premier secours lors de l’accident, est absolument nécessaire ;

 Attendu que le second document précise que M. Van Pelt a été hospitalisé le 15 décembre 1993 à 18 h par l’intermédiaire du EHBO, qu’il lui est impossible de se rendre à l’audience et que de plus amples renseignements peuvent être obtenus auprès de son neurologue traitant, le docteur Van Lieshout ;

 Mais attendu que le certificat médical du médecin traitant ne donne aucune précision sur la nature exacte de l’affection qu’aurait provoquée la chute dont aurait été victime Leonardus Van Pelt ;

 Attendu que le second document manuscrit, non signé, non délivré sur papier à entête, simplement revêtu de deux cachets, ne donne non plus aucune indication précise sur le motif exact de l’hospitalisation ;

 Attendu qu’il ne résulte pas de ces documents que Van Pelt est dans l’impossibilité de se présenter à l’audience ; qu’aussi bien, il échet de rejeter la demande de renvoi et d’examiner l’affaire ; (...) »

  28.  Sur le fond, la cour d’appel rejeta la demande d’audition du témoin D.S. au motif que la mesure sollicitée s’avérait impossible, qu’en effet D.S. étant incarcéré aux Etats-Unis, cette situation mettait obstacle à sa comparution en France.

  Elle reprit par ailleurs les motifs des premiers juges et ajouta que les accusations et témoignages étaient corroborés par des éléments objectifs du dossier : faux passeport utilisé par le requérant, possession d’une carte bancaire identique à celle de H., convoyeur de la drogue, numéro de téléphone du requérant possédé par M., organisateur de l’importation de la drogue, présence du requérant à Marbella jusqu’au 26 août 1986, époque où l’arrivée de la drogue dans cette ville était prévue, lettres écrites par le requérant à sa concubine alors qu’il était incarcéré en Espagne et desquelles il ressortait qu’il cherchait à savoir si un traître avait parlé, renseignements défavorables sur le requérant connu comme un trafiquant de drogue et ressources insuffisamment justifiées alors que le requérant se déclarait homme d’affaires opérant dans l’immobilier.

  29.  La cour d’appel confirma le jugement de première instance et délivra mandat d’arrêt à l’encontre du requérant.

  30.  Le pourvoi formé le 14 janvier 1994 contre cet arrêt par le requérant fut déclaré irrecevable le 19 octobre 1995. La Cour de cassation considéra en effet que le requérant, qui n’avait pas déféré au mandat d’arrêt décerné à son encontre, ne justifiait d’aucune circonstance l’ayant mis dans l’impossibilité absolue de se soumettre en temps utile à l’action de la justice.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

31.  Code de procédure pénale

Article 410

(Ordonnance n° 60-529 du 4 juin 1960, Journal officiel du 8 juin 1960)

 « Le prévenu régulièrement cité à personne doit comparaître, à moins qu’il ne fournisse une excuse reconnue valable par la juridiction devant laquelle il est appelé. Le prévenu a la même obligation lorsqu’il est établi que, bien que n’ayant pas été cité à personne, il a eu connaissance de la citation régulière le concernant dans les cas prévus par les articles 557, 558 et 560.

 Si ces conditions sont remplies, le prévenu non comparant et non excusé est jugé contradictoirement. »

Article 411

 « Le prévenu cité pour une infraction passible d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement inférieure à deux années peut, par lettre adressée au président et qui sera jointe au dossier de la procédure, demander à être jugé en son absence.

 Dans ce cas, son défenseur est entendu.

 Toutefois, si le tribunal estime nécessaire la comparution du prévenu en personne, il est procédé à la réassignation du prévenu, à la diligence du ministère public, pour une audience dont la date est fixée par le tribunal.

 Le prévenu qui ne répondrait pas à cette invitation est jugé contradictoirement.

 Il est également jugé contradictoirement dans le cas prévu par le premier alinéa du présent article. »

Article 416

(Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 article 224, Journal officiel du 5 janvier 1993, en vigueur le 1er mars 1993)

 Si le prévenu ne peut, en raison de son état de santé, comparaître devant le tribunal et s’il existe des raisons graves de ne point différer le jugement de l’affaire, le tribunal ordonne, par décision spéciale et motivée, que le prévenu, éventuellement assisté de son avocat, sera entendu à son domicile ou à la maison d’arrêt dans laquelle il se trouve détenu, par un magistrat commis à cet effet, accompagné d’un greffier. Procès-verbal est dressé de cet interrogatoire. Le débat est repris après citation nouvelle du prévenu, et les dispositions de l’article 411, alinéas 1 et 2, sont applicables, quel que soit le taux de la peine encourue. Dans tous les cas, le prévenu est jugé contradictoirement. »

Article 417

 « Le prévenu qui comparaît a la faculté de se faire assister par un défenseur.

 S’il n’a pas fait choix d’un défenseur avant l’audience et s’il demande cependant à être assisté, le président en commet un d’office.

 Le défenseur ne peut être choisi ou désigné que parmi les avocats inscrits à un barreau, ou parmi les avoués admis à plaider devant le tribunal.

 L’assistance d’un défenseur est obligatoire quand le prévenu est atteint d’une infirmité de nature à compromettre sa défense, ou quand il encourt la peine de la tutelle pénale (la tutelle pénale a été supprimée par l’article 70 de la loi 81-82 du 2 février 1981, publiée au Journal officiel du 3 février 1981). »

 
EN DROIT

i. SUR LA VIOLATION ALLéGUéE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT A LA DURéE DE LA PROCéDURE

  32.  Le requérant se plaint de ne pas avoir été jugé dans un délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention qui se lit comme suit dans ses dispositions pertinentes :

 « 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal (…), qui décidera, (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) »

A. Période à prendre en considération

  33.  La période à considérer a débuté le 30 janvier 1987, date de l’arrestation du requérant (paragraphe 8 ci-dessus). Elle s’est achevée le 19 octobre 1995, date du prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation (paragraphe 30 ci-dessus).

  34.  La durée de la procédure est donc de huit ans, huit mois et 20 jours.

B. Caractère raisonnable de la durée de la procédure

  35.  Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Pélissier et Sassi c. France du 25 mars 1999, à paraître dans le recueil officiel de la Cour, § 67, et Philis c. Grèce (n° 2) du 27 juin 1997, Recueil 1997-IV, p. 1083, § 35).

  36.  Le requérant expose que la phase d’instruction, qui a duré trois ans, a été trop longue et que la procédure dans son ensemble a duré près de neuf ans. Il ajoute que l’exercice des voies de recours dont chacune a donné lieu à un délai supplémentaire d’au moins un an n’explique pas la durée de la procédure.

  37.  Le Gouvernement, qui fournit une chronologie détaillée de la procédure, souligne que l’affaire était complexe du fait de la diversité des lieux de commission de l’infraction, du nombre des personnes impliquées, du nombre de documents qui ont dû être traduits et du fait que de nombreux témoins résidaient à l’étranger.

  38.  Il ajoute que l’examen de la chronologie pendant l’instruction de l’affaire ne fait apparaître aucun temps mort et que les nombreux actes du juge d’instruction se sont succédés à un rythme soutenu. Quant à cette période, le Gouvernement souligne encore que les dénégations systématiques des prévenus et les nombreux recours formés par eux ont constitué un fait objectif non imputable aux autorités judiciaires et qui a allongé la durée de la procédure.

  39.  Quant aux différentes phases de jugement, le Gouvernement estime qu’elles ont toutes connu une durée raisonnable.

  40.  Le gouvernement défendeur en conclut que l’appréciation globale de cette procédure doit permettre de conclure que sa durée a été raisonnable.

  41.  La Cour constate tout d’abord que l’instruction de l’affaire présentait sans conteste un degré de complexité important. Celui-ci découlait du nombre de personnes impliquées, de l’organisation elle-même du trafic et du caractère international de celui-ci résultant du fait qu’une partie des infractions avait été commise à l’étranger et de ce que des sociétés fictives situées dans quatre pays étrangers étaient également concernées par l’instruction.

  42.  Elle note en outre que certaines des personnes impliquées résidaient elles-mêmes à l’étranger et qu’au cours de l’instruction, le juge a été amené à commettre de nombreux experts traducteurs, à émettre également de nombreuses commissions rogatoires internationales et à effectuer un transport sur les lieux en Espagne.

  43.  Pour ce qui est du comportement du requérant, la Cour ne relève aucun élément de nature à mettre en cause sa responsabilité dans la durée de la procédure.

  44.  En ce qui concerne le comportement des autorités compétentes, la Cour relève que la phase d’instruction pour le requérant a duré presque trois ans. Durant cette période, le juge d’instruction a diligenté de nombreux actes concernant sept prévenus, que ce soit dans le cadre de l’instruction elle-même ou à propos de leur détention provisoire. Ainsi le requérant fut-il entendu à six reprises par le magistrat instructeur.

  La phase de jugement s’étendit de janvier 1989 à octobre 1995.

  45.  La Cour relève d’emblée que l’affaire a été jugée par quatre instances différentes pendant ce laps de temps.

  46.  Elle note sur ce point que le tribunal correctionnel a statué le 22 février 1990, soit moins de deux mois après avoir été saisi, que la cour d’appel s’est prononcée le 31 janvier 1991, donc un peu moins d’un an après ce jugement et que la Cour de cassation a rendu son arrêt le 3 février 1992, soit environ un an après la décision de la cour d’appel. Devant la cour de renvoi, une première audience eut lieu le 25 mars 1993, au cours de laquelle l’affaire fut renvoyée aux fins notamment de citation du requérant. Reprise en octobre 1993, l’audience fut renvoyée en raison de problèmes d’interprètes, pour se tenir finalement le 16 décembre 1993.

  47.  Dès lors, la Cour ne relève, que ce soit lors de l’instruction de l’affaire ou dans la phase de jugement, et compte tenu de la complexité de l’affaire, aucun délai excessif imputable aux autorités judiciaires compétentes.

  48.  Eu égard à l’ensemble des éléments recueillis, la Cour estime qu’il n’y a pas eu dépassement du « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1.

  49.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant à la durée de la procédure.

II. SUR LA VIOLATION ALLéGUéE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 COMBINéS

  50.  Le requérant se plaint de ce que ses avocats n’ont pu plaider au fond devant la cour d’appel de renvoi, alors que lui-même était dans l’incapacité de comparaître en personne. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 combinés. Ce dernier paragraphe se lit comme suit dans ses dispositions pertinentes :

 « 3.  Tout accusé a droit notamment à : (…)

 c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix (…) »

  51.  Le requérant constate que dans ses observations, le Gouvernement, arguant de ce que le renvoi de l’audience avait été demandé précédemment, en déduit clairement que la cour d’appel a pu considérer que lui-même et ses conseils auraient été de mauvaise foi et que l’excuse médicale invoquée était fausse. Il en conclut que le refus de renvoi et la décision de procéder à l’audience sans qu’il soit présent et sans que ses avocats soient entendus repose uniquement sur une présomption de fraude ou de mauvaise foi, gratuite et contraire à la réalité des faits.

  52.  Il rappelle sur ce point qu’il était présent à la première audience devant la cour d’appel. Il produit ensuite une attestation d’hospitalisation et un bulletin d’hospitalisation et souligne qu’aucun effort n’a été fait par la cour d’appel pour apprécier la réalité de l’hospitalisation et la possibilité ou l’impossibilité dans laquelle il se trouvait de comparaître.

  Il ajoute que ce n’était pas à ses avocats de faire un incident à l’audience pour demander à pouvoir plaider sur le fond.

  53.  Se réfèrant aux arrêts Poitrimol c. France, Lala c. Pays-Bas, Pelladoah c. Pays-Bas et Van Geyseghem c. Belgique, le requérant rappelle que la Cour a déjà condamné le fait que des avocats ne puissent pas représenter un accusé, absent, en cause d’appel.

  54.  Sur ce point, le Gouvernement souligne que le requérant pouvait seulement se prévaloir des dispositions de l’article 410 du code de procédure pénale relatives à la production d’une excuse reconnue valable par la juridiction devant laquelle il était appelé.

  55.  Il fait observer que, de toute évidence, le refus des magistrats d’accorder une force probante aux documents produits par les avocats du requérant le 16 décembre 1993 a également été déterminé par les démarches accomplies quelques jours auparavant par ses deux nouveaux conseils afin d’obtenir un renvoi de l’affaire.

  Il ajoute qu’en tout état de cause, l’article 410 du code de procédure pénale laisse en la matière aux juges du fond un pouvoir souverain d’appréciation et qu’une telle décision n’est donc pas contraire à cette disposition.

  56.  Le Gouvernement expose encore que cette décision ne saurait davantage être considérée comme contraire aux dispositions de l’article 6 de la Convention, compte tenu de la jurisprudence constante des organes de la Convention sur la compétence de principe des juridictions internes pour apprécier les éléments de fait rassemblés par elles et la pertinence de ceux dont les accusés souhaitent la production, jurisprudence applicable mutatis mutandis, bien qu’en l’espèce l’appréciation ait porté sur la réalité de l’indisponibilité du requérant pour comparaître à l’audience.

  57.  Il fait encore observer que les avocats du requérant n’ont pas soulevé devant la cour d’appel le grief tiré de l’impossibilité pour eux de plaider sur le fond.

  58.  Dans ces conditions, le Gouvernement estime que le refus, par la cour d’appel, de renvoyer l’audience à une date ultérieure n’est pas contraire à l’article 6 de la Convention.

  59.  Il souligne que dans la présente affaire et en raison des faits qui lui étaient reprochés, le requérant ne pouvait se dispenser de comparaître, à moins de produire une excuse valable. Pour les mêmes raisons, il ne pouvait se faire représenter par un avocat en son absence.

  60.  Le Gouvernement attire l’attention sur les différences existant entre l’affaire Van Geyseghem et la présente espèce. Il expose en effet que, contrairement à l’affaire déjà tranchée par la Cour, l’intégralité des faits, et non une pure question de droit, devait être abordée par la cour d’appel et qu’au surplus celle-ci a pris en considération les conclusions que les avocats du requérant avaient déposées le 7 octobre 1993. Il conclut qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 de la Convention.

  61.  Compte tenu du fait que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 s’analysent en aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1, la Cour examinera le grief sous l’angle de ces deux textes combinés (voir dernièrement arrêt Van Geyseghem c. Belgique [ GC] n° 26103/95, § 27, CEDH 1999-I).

  62.  La Cour constate qu’en l’espèce le requérant avait été relaxé par la cour d’appel de Paris le 31 janvier 1991 et que, suite à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 3 février 1992 sur pourvoi du procureur général, l’affaire fut renvoyée devant la cour d’appel d’Amiens pour y être rejugée tant sur le fond que sur le droit.

  63.  La première audience fut ajournée le 25 mars 1993 pour permettre notamment la citation du requérant et la signification à son profit de l’arrêt de la Cour de cassation. Lors de la reprise de l’audience le 7 octobre 1993, le requérant était présent, assisté de ses conseils. L’audience fut à nouveau ajournée pour permettre le remplacement de l’interprète.

  C’est lors de la reprise de l’audience le 16 décembre 1993 que les avocats du requérant produisirent des certificats médicaux et demandèrent le renvoi de l’audience. Il ressort de l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens du 11 janvier 1994 qu’ils plaidèrent sur ce point uniquement. La cour d’appel rejeta ultérieurement cette demande dans son arrêt au fond en estimant qu’il ne résultait pas « de ces documents que Van Pelt [était] dans l’impossibilité de se présenter à l’audience ».

  64.  La Cour estime qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la manière dont la cour d’appel a apprécié les certificats médicaux produits à l’appui de la demande de renvoi. Elle considère qu’il s’agit là d’éléments de preuve relevant de l’appréciation souveraine des juges des juridictions internes.

  65.  Pour ce qui est de l’impossibilité, pour les avocats du requérant, de plaider en son absence, la Cour rappelle qu’elle a été amenée à se prononcer sur ce problème à plusieurs reprises.

  66.  Ainsi, dans l’affaire Poitrimol c. France, la Cour a estimé que la comparution d’un prévenu revêtait une importance capitale en raison tant du droit de celui-ci à être entendu que de la nécessité de contrôler l’exactitude de ses affirmations et de les confronter avec les dires de la victime, dont il y a lieu de protéger les intérêts, ainsi que des témoins. Dès lors, le législateur doit pouvoir décourager les abstentions injustifiées (arrêt du 23 novembre 1993, série A n° 277-A, p. 15, § 35). Dans ses arrêts Lala c. Pays-Bas et Pelladoah c. Pays-Bas, elle a toutefois précisé qu’il était aussi « d’une importance cruciale pour l’équité du système pénal que l’accusé soit adéquatement défendu tant en première instance qu’en appel, a fortiori lorsque, comme c’est le cas en droit néerlandais, les décisions rendues en appel ne sont pas susceptibles d’opposition » (arrêts du 22 septembre 1994, série A n° 297-A et 297-B, respectivement p. 13, § 33, et pp. 34-35, § 40). Elle a ajouté que c’est ce dernier intérêt qui prévalait et que, par conséquent, le fait que l’accusé, bien que dûment assigné, ne comparaisse pas ne saurait – même à défaut d’excuse – justifier qu’il soit privé du droit à l’assistance d’un défenseur que lui reconnaît l’article 6 § 3 de la Convention (ibidem). Pour la Cour, il appartient aux juridictions d’assurer le caractère équitable d’un procès et de veiller par conséquent à ce qu’un avocat qui, à l’évidence y assiste pour défendre son client en l’absence de celui-ci, se voie donner l’occasion de le faire (ibidem, p. 14, § 34, et p. 35, § 41).

  67.  Dans son arrêt Van Geyseghem c. Belgique, la Cour a en outre précisé que « c’est de manière surabondante que la proposition commençant par la locution adverbiale ‘a fortiori’ … a été introduite. La Cour a au contraire affirmé que l’intérêt d’être adéquatement défendu prévalait. Le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable. Un accusé n’en perd pas le bénéfice du seul fait de son absence aux débats. Même si le législateur doit pouvoir décourager les abstentions injustifiées, il ne peut les sanctionner en dérogeant au droit à l’assistance d’un défenseur. Les exigences légitimes de la présence des accusés aux débats peuvent être assurées par d’autres moyens que la perte du droit à la défense. » (arrêt précité, § 34).

  68.  La Cour ne peut que constater que, dans la présente affaire, les avocats du requérant n’ont eu la possibilité de plaider que sur la demande de renvoi de l’affaire et non sur le fond.

  69.  Elle ne voit dans les faits de la présente espèce aucun motif de s’écarter de la jurisprudence précitée.

  70.  En conclusion, il y a eu violation de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 c) de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLéGUéE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT à L’IRRECEVABILITé DU POURVOI EN CASSATION

  71.  Le requérant se plaint du fait que son pourvoi en cassation a été déclaré irrecevable car il n’avait pas déféré au mandat d’arrêt délivré contre lui. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention. Il expose sur ce point qu’il a allégué dans son pourvoi que le mandat d’arrêt était irrégulier et donc nul en tant que titre de détention, et que la Cour de cassation aurait donc dû faire une exception et examiner son pourvoi.

  72.  A l’audience, le Gouvernement a exposé que, compte tenu du fait que, dans son arrêt Rebboah, rendu le 30 juin 1999, la Cour de cassation a abandonné la jurisprudence sur le fondement de laquelle le pourvoi du requérant, notamment, avait été déclaré irrecevable, il estimait qu’il n’y avait plus matière à discussion sur ce point.

  73.  La Cour rappelle qu’elle a estimé en dernier lieu dans son arrêt Guérin c. France que « l’irrecevabilité d’un pourvoi en cassation, fondée uniquement, comme en l’espèce, sur le fait que le demandeur ne s’est pas constitué prisonnier en exécution de la décision de justice faisant l’objet du pourvoi, contraint l’intéressé à s’infliger d’ores et déjà à lui-même la privation de liberté résultant de la décision attaquée, alors que cette décision ne peut être considérée comme définitive aussi longtemps qu’il n’a pas été statué sur le pourvoi ou que le délai de recours ne s’est pas écoulé.

  On porte ainsi atteinte à la substance même du droit de recours, en imposant au demandeur une charge disproportionnée, rompant le juste équilibre qui doit exister entre, d’une part, le souci légitime d’assurer l’exécution des décisions de justice et, d’autre part, le droit d’accès au juge de cassation et l’exercice des droits de la défense. » (arrêt du 29 juillet 1998, Recueil 1998-V. Voir également Khalfaoui c. France, no 34791/97, CEDH 1999-IX).

  74.  Eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, la Cour estime que le requérant a subi une entrave excessive à son droit d’accès à un tribunal et, donc, à son droit à un procès équitable.

  75.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 de la convention

76.  Selon l’article 41 de la Convention,

 « Si la Cour déclare quil y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet deffacer quimparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, sil y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

  77.  Le requérant expose qu’en droit néerlandais, des dommages-intérêts sont prévus à raison de la détention irrégulière ou illégitime. Il réclame de ce fait 438 000 NLG.

  78.  Le Gouvernement rappelle que la somme qui peut être allouée au titre de la satisfaction équitable est destinée à réparer le seul préjudice subi en raison de la violation de la Convention. Il ajoute que la peine d’emprisonnement que le requérant a effectuée de 1987 à 1991 n’a aucun lien avec l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens que le requérant conteste dans la présente procédure. Par ailleurs, le Gouvernement estime qu’il n’est pas possible de préjuger la décision qu’aurait prise la cour d’appel d’Amiens si elle avait autorisé le requérant à se faire représenter et qu’il ne saurait donc lui être alloué une somme pour préjudice moral.

  79.  La Cour constate qu’elle n’a pas été appelée à se prononcer sur la légalité de la détention du requérant. Par ailleurs, elle considère qu’elle ne saurait spéculer sur la conclusion à laquelle la cour d’appel aurait abouti si elle avait autorisé le requérant à se faire représenter.

  80.  Dès lors la Cour n’estime pas devoir allouer un dédommagement à ce titre au requérant.

B. Frais et dépens

  81.  Le requérant demande le remboursement de tous les frais qu’il a exposés devant les juridictions internes, soit 177 235,50 FRF pour un avocat néerlandais, 60 300 FRF pour l’avocat qui l’a représenté dans la procédure en cause, 40 738 FRF pour l’avocat qui a présenté son pourvoi en cassation et la requête devant les organes de la Convention. Il demande également le remboursement de 32 345,30 NLG et de 22 853,75 NLG pour deux autres avocats néerlandais.

  82.  Le Gouvernement estime que seuls les frais engagés dans le cadre de la présentation des griefs invoqués devant la Cour pourront faire éventuellement l’objet d’un dédommagement et que donc, seule la procédure qui s’est déroulée devant la cour d’appel d’Amiens et devant la Cour de cassation pourra être prise en considération. Il souligne encore que les notes d’honoraires présentées ne font pas la distinction entre les différents frais engagés et ajoute que le Gouvernement ne saurait supporter le choix fait par le requérant d’être assisté de cinq avocats différents.

  83.  Statuant en équité, la Cour estime qu’il y a lieu de rembourser au requérant une partie des frais exposés devant la cour d’appel, et l’intégralité de ceux engagés pour le pourvoi en cassation et pour la requête devant les organes de la Convention.

  Du chef de ces procédures, la Cour alloue donc au requérant la somme de 70 388 FRF.

C. Intérêts moratoires

  84.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en France à la date d’adoption du présent arrêt était de 2,74 % l’an.

 
par ces motifs, la cour

1. Dit, par 5 voix contre 2, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la durée de la procédure ; 
 

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention combinés pour ce qui est de la procédure devant la cour d’appel de renvoi ; 
 

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention pour ce qui est de l’irrecevabilité du pourvoi en cassation du requérant ; 
 

4. Dit, à l’unanimité,

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt est devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 70 388 FRF (Soixante dix mille trois cent quatre vingt-huit francs français) pour frais et dépens,

b) que ce montant sera à majorer d’un intérêt simple de 2, 74 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ; 
 

5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus. 
 

  Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 mai 2000, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement. 
 
 
 

      S. Dollé W. Fuhrmann 
 Greffière de section Président de section
 
 
 
 

  Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement de la Cour, l’exposé des opinions séparée de M. le juge Loucaides et partiellement dissidente commune aux juges Tulkens et Sir Bratza. 
 

        W. F.

        S. D. 
 

 
 

 

OPINION séparée du JUGE L. LOUCAIDES

(Traduction)

  J’approuve le raisonnement et les conclusions tels qu’exposés aux paragraphes 41-49 et 61-70 du jugement. 
 

  J’éprouve des difficultés à estimer qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention concernant l’irrecevabilité du pourvoi en cassation du requérant, car je partage toujours les idées que j’ai exprimées dans mon opinion dissidente dans l’arrêt Khalfaoui c. France (n° 34791/97, CEDH 1999-IX). Néanmoins, par respect de la jurisprudence constante de la Cour, j’ai décidé finalement de me rallier à la majorité.

 
 

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE 
AUX JUGES FRANÇOISE TULKENS 
ET SIR NICOLAS BRATZA

  Nous regrettons de ne pouvoir partager l’avis de la majorité selon lequel il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la durée de la procédure. 
 

  Le requérant a été arrêté le 30 janvier 1987 et la procédure s’est achevée par l’arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 1995. Elle a donc duré plus de huit ans et huit mois. 
 

  Tout en reconnaissant la complexité de l’affaire qui concernait un trafic international de drogue, nous estimons que la procédure, dans son ensemble, en ce qui concerne le requérant, a dépassé le délai raisonnable. 
 

  Pendant l’instruction qui a duré près de trois ans, celui-ci n’a pas été entendu entre le 11 février 1988 et le 3 novembre 1988 et la plupart des actes le concernant, accomplis entre-temps, étaient des commissions d’experts en vue de la traduction de lettres écrites par le requérant ou étaient relatifs à la détention provisoire. Il en va de même entre le 16 décembre 1988 et le 28 juin 1989 et entre le 28 juillet 1989 et le 27 novembre 1989. Ensuite, dans le déroulement des différentes instances du procès, liées notamment à l’exercice des voie de recours, nous observons notamment une période de latence entre le 14 janvier 1994 et le 19 octobre 1995.  
 

  Nous ne trouvons pas, dans le dossier, suffisamment d’éléments qui permettent d’expliquer les délais constatés, au regard notamment des exigences de la manifestation de la vérité. Par ailleurs, l’instruction ne saurait être prolongée en raison du fait que le requérant est en détention. Enfin, les nécessités de recourir à des interprètes ne suffisent pas, à elles seules, à justifier le dépassement du délai raisonnable.