DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n°
33050/96
présentée par Arman HASER
contre la Suisse
La Cour
européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 27 avril 2000
en une chambre composée de
M. C.L. Rozakis, président,
M. M. Fischbach,
M. L. Wildhaber,
M. G. Bonello,
Mme V. Strážnická,
M. P. Lorenzen,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Vu la requête
susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme
le 2 août 1996 et enregistrée le 20 septembre 1996,
Vu l’article 5 §
2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence
pour examiner la requête,
Vu les
observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en
réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, de
nationalités turque et canadienne, né en 1938, réside à Toronto au Canada. Il
est représenté devant la Cour par Me Marco Broggini, avocat au
barreau de Locarno, en Suisse.
A. Les circonstances
de l’espèce
Les faits de la
cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme
suit.
Par un jugement
rendu par défaut le 8 mai 1995, la cour d’assises de Bellinzona condamna le
requérant à trois ans d’emprisonnement et à l’expulsion du territoire suisse
durant dix ans pour escroquerie, faux et usage de faux. En application des
articles 59 § 2 et 60 du Code pénal, elle lui ordonna en outre de restituer au
lésé, en l’occurrence la société M. Ltd. à Lusaka, en Zambie, un montant de près
de 6 400 000 dollars américains (ci-après US$) et alloua, pour garantir
l’exécution de ce remboursement, la somme de 4 000 000 US$ séquestrée au cours
de la procédure.
Le requérant fut
représenté par son avocat durant les débats.
Le 16 juin 1995, le
requérant, par l’intermédiaire de son avocat, adressa quatre recours à diverses
autorités judiciaires.
Le requérant
recourut devant la cour d’appel civile du canton du Tessin contre l’ordre de
restitution prononcé en application des articles 59 et 60 du Code pénal. A cette
occasion, il contesta la qualité de partie civile de M. Ltd., au motif que son
prétendu dommage n’avait pas été prouvé, et la validité des pouvoirs de
représentation de l’avocat de cette société.
Le requérant
recourut en outre auprès de la cour de cassation du canton du Tessin contre la
condamnation du 8 mai 1995, se plaignant de ce que ses droits de la défense
avaient été méconnus, d’une part, et de ce que les faits avaient été
arbitrairement appréciés et le droit faussement appliqué, d’autre part.
Le requérant
adressa également un recours de droit public et un pourvoi en nullité au
Tribunal fédéral.
Par deux arrêts du
21 juillet 1995, le Tribunal fédéral déclara irrecevables le recours de droit
public et le pourvoi en nullité du requérant, au motif que les voies de recours
cantonales n’avaient pas été épuisées. Il rappela d’abord que la personne
condamnée par défaut devait faire opposition devant l’autorité cantonale
compétente, être jugée contradictoirement puis, le cas échéant, saisir les
instances de recours cantonales avant de s’adresser au Tribunal fédéral. Il
releva ensuite que dans le canton du Tessin, l’opposition (istanza di revoca)
était régie par l’article 264 du Code de procédure pénale et que le requérant
avait omis de faire usage de cette voie de droit.
Le 1er septembre 1995, la cour de cassation du canton du Tessin déclara irrecevable le pourvoi déposé par le requérant le 16 juin 1995, au motif qu’une condamnation par défaut devait être contestée par la voie de l’opposition conformément à l’article 264 du Code de procédure pénale du canton du Tessin.
Le 6 octobre 1995,
le requérant, représenté par deux avocats, adressa un recours de droit public au
Tribunal fédéral contre ce jugement, se plaignant de ce que l’obligation de
relever le défaut était contraire aux articles 6 de la Convention et 2 du
Protocole N° 7 à la Convention. A cette occasion, il allégua que la procédure
d’opposition était fondée sur le principe qu’un accusé ne devait pas être
condamné s’il n’avait pu faire valoir ses moyens de défense ; or dans la mesure
où son conseil avait pris part aux débats devant la cour d’assises de
Bellinzona, son droit d’être entendu avait été respecté et il convenait en
conséquence de lui reconnaître la faculté de se pourvoir en cassation sans
devoir au préalable relever le défaut. Il déclara également que l’opposition
était une voie de droit à la disposition du défaillant et qu’il renonçait
irrévocablement à s’en prévaloir.
Par un arrêt du 6
février, notifié le 13 février 1996, le Tribunal fédéral rejeta pour défaut de
fondement le recours de droit public du requérant. Il rappela d’abord qu’une
procédure par défaut n’était pas en soi contraire à la Convention si la personne
condamnée disposait par la suite de la possibilité de faire réexaminer, en fait
et en droit, après avoir été entendue, le bien-fondé des accusations dirigées
contre elle. Il souligna aussi que la Convention laissait aux Etats contractants
une large marge de manœuvre en la matière.
Le Tribunal fédéral
releva ensuite que la procédure devant les autorités judiciaires du canton du
Tessin avait satisfait aux garanties de procédure minimales prévues par
l’article 6 de la Convention, en l’occurrence le droit de bénéficier d’une
défense effective et de faire opposition à la condamnation par défaut, ce que le
requérant ne contestait pas. Il estima également que l’obligation imposée à une
personne condamnée par contumace de solliciter la révocation du jugement rendu
par défaut préalablement à tout recours n’était pas une limitation contraire à
l’article 2 du Protocole N° 7 à la Convention, cette disposition n’exigeant pas
d’accorder au condamné par défaut, en plus du droit de faire opposition, la
faculté de recourir directement devant l’instance supérieure. A cet égard, il
souligna que l’opposition permettait à la personne condamnée par contumace non
seulement d’obtenir qu’une juridiction statuât à nouveau, selon une procédure
ordinaire, sur le bien-fondé des accusations mais encore, de recourir contre le
jugement prononcé dans le cadre de cette seconde procédure et de faire ainsi
réexaminer sa condamnation par l’autorité supérieure, conformément à l’article 2
du Protocole N° 7 à la Convention.
Le 4 avril 1996, la
cour d’appel civile du canton du Tessin déclara irrecevable l’appel déposé par
le requérant le 16 juin 1995, motif pris de ce que les prestations fondées sur
les articles 58, 59 et 60 du Code pénal ne relevaient pas du droit privé mais du
droit public et que les contestations y relatives devaient en conséquence être
portées devant la cour de cassation, et non devant le tribunal civil.
Les 8 et 10 mai
1996, le requérant, représenté par son avocat, adressa au Tribunal fédéral un
recours de droit public et un recours en réforme contre ce jugement.
Par un arrêt du 24
juin 1996, la chambre civile du Tribunal fédéral déclara irrecevable le recours
en réforme du requérant, aux motifs que seules les décisions portant sur des
contestations civiles pouvaient être attaquées par cette voie de droit et que
selon sa jurisprudence constante, les réclamations fondées sur l’article 60 du
Code pénal ne constituaient pas des prétentions civiles.
Par un arrêt du 8
juillet 1996, la cour de droit public du Tribunal fédéral rejeta le recours de
droit public du requérant. En particulier, les juges écartèrent pour défaut de
fondement l’argument du requérant selon lequel il n’avait plus la possibilité de
contester l’obligation de restituer 6 400 000 US$ à M. Ltd. ordonnée en
application des articles 59 § 2 et 60 du Code pénal, aux motifs qu’il lui était
loisible, dans les limites de la prescription de l’action pénale, de demander la
révocation de la condamnation par défaut et d’engager une procédure ordinaire
conformément à l’article 264 du Code de procédure pénale du canton du Tessin.
B. Le droit interne
pertinent
Les dispositions
pertinentes du Code pénal suisse prévoient :
Article 58bis
« 1. Lorsqu’un tiers
peut faire valoir un droit de propriété sur les objets ou valeurs à confisquer
ou que, sans avoir eu connaissance de l’infraction, il a acquis le droit d’en
devenir propriétaire, les objets ou valeurs lui seront remis (…) »
Article 59
« 1. Les dons et autres
avantages qui ont servi ou qui devaient servir à décider ou à récompenser
l’auteur d’une infraction sont acquis à l’Etat (…)
2. L’article 58bis est
applicable par analogie.
(…) »
Article 60
« 1. Si, par suite d’un
crime ou d’un délit, une personne a subi un dommage et s’il est à prévoir que le
délinquant ne le réparera pas, le juge pourra allouer au lésé, jusqu’à
concurrence du dommage constaté judiciairement ou par accord avec le lésé, les
objets et valeurs confisqués, les dons et autres avantages acquis à l’Etat ou le
produit de leur réalisation, sous déduction des frais, ainsi que le montant du
cautionnement préventif.
(…) »
Article 365
« 1. La procédure
devant les autorités cantonales sera fixée par les cantons. »
Les dispositions
pertinentes du Code de procédure pénale du canton du Tessin en vigueur à
l’époque des faits disposaient :
Traduction
Article 258
« Si l’accusé ne comparaît pas, la cour d’assises vérifie la régularité de la citation puis procède au jugement en audience publique, sur la base du dossier de l’instruction, après avoir entendu le procureur et la partie civile.
Si elle trouve dans le
dossier des preuves suffisantes de culpabilité, la cour prononce un jugement de
condamnation. Dans le cas contraire, la procédure est prorogée. »
Article 264
« Lorsque le condamné par contumace est arrêté ou se présente spontanément avant que la peine à laquelle il a été condamné soit prescrite, il peut faire opposition au jugement rendu par contumace et demander qu’il soit procédé selon la procédure ordinaire et que des débats publics aient lieu.
La requête est adressée au président de la Chambre criminelle (…)
Si le condamné est en
état d’arrestation, le président doit l’aviser de son droit de faire opposition
à la condamnation prononcée par contumace. »
Selon le Code de
procédure pénale du canton du Tessin, l’opposition est adressée au tribunal
ayant prononcé le jugement par contumace ; dans le cadre de cette procédure, les
mêmes juges se prononcent sur les questions de fait et de droit. Le relief peut
être demandé indépendamment d’une faute de l’intéressé. La personne condamnée
par contumace doit faire opposition avant de se pourvoir en cassation. Le
pourvoi en cassation est adressé à la juridiction supérieure ; celle-ci se
prononce avec un plein pouvoir d’examen sur les moyens de droit invoqués par le
recourant mais ne revoit les faits que sous l’angle restreint de l’arbitraire.
GRIEFS
1. Le requérant
soutient que l’obligation de faire opposition devant la cour d’assises à un
jugement rendu par défaut avant de se pourvoir en cassation est contraire au
droit d’accès à un tribunal et au principe d’équité garantis par l’article 6 §§
1 et 3 c) de la Convention. Il souligne en particulier que dans la mesure où il
a été représenté par l’avocat de son choix devant les autorités cantonales et a
expressément et irrévocablement renoncé dans son recours adressé au Tribunal
fédéral le 6 octobre 1995 à relever le défaut, lui imposer cette voie de recours
méconnaît ses droits de la défense. Il conteste un système qui, selon lui, veut
contraindre le justiciable à comparaître pour l’arrêter.
2. Le requérant se
plaint également de ce que l’impossibilité, pour la personne condamnée par
défaut, de se pourvoir en cassation, directement et par l’intermédiaire de son
avocat, méconnaît l’article 2 du Protocole N° 7 à la Convention.
3. Enfin, le requérant
affirme que la distinction établie par le Code de procédure pénale du canton du
Tessin quant aux voies de recours pour le justiciable condamné par défaut, d’une
part, ou selon une procédure contradictoire, d’autre part, méconnaît l’article
14 de la Convention combiné avec les articles 6 de la Convention et 2 du
Protocole N° 7 à la Convention. A cet égard, il souligne en outre que dans
d’autres cantons, le condamné par contumace peut se pourvoir en cassation sans
devoir préalablement relever le défaut.
EN DROIT
1. Le requérant se
plaint de ce que l’obligation imposée à une personne condamnée par contumace de
faire opposition devant l’autorité de jugement avant de pouvoir recourir devant
l’autorité supérieure est contraire au droit d’accès à un tribunal et au
principe d’équité garantis par l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention lorsque
l’intéressé a été représenté par l’avocat de son choix lors des débats puis a
expressément renoncé à relever le défaut.
Les passages
pertinents de l’article 6 de la Convention disposent :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…)
(…)
3. Tout accusé a droit notamment à :
(…)
c. se défendre lui-même
ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix (…) »
Le gouvernement
défendeur soutient que cette partie de la requête est manifestement mal fondée.
Il rappelle d’abord la jurisprudence de la Cour selon laquelle les juges qui
réexaminent en présence de l’accusé une affaire qu’ils ont dû d’abord juger par
défaut ne sont pas, de ce seul fait, partiaux (arrêt Thomann c. Suisse du 10
juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, pp. 815 et 816, §§
30 à 37). Il rappelle ensuite que le droit d’accès à un tribunal n’est pas
absolu et peut se prêter à des limitations, notamment en ce qui concerne les
conditions de recevabilité d’un recours (arrêt Omar c. France du 29 juillet
1998, Recueil 1998-V, p. 1840, § 34), et que la Cour a répété à maintes
reprises qu’il ne lui appartenait pas de se substituer aux autorités nationales
pour déterminer la meilleure politique pour réglementer l’accès à l’autorité de
recours (arrêt Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni du 13 juillet 1995, série A n°
316-B, pp. 78 et 79, § 59).
Il observe par
ailleurs que la Cour a laissé ouverte la question de savoir si et à quelles
conditions un prévenu peut renoncer à comparaître en personne devant le tribunal
(arrêts Colozza et Rubinat c. Italie du 12 février 1985, série A n° 89, p. 14, §
28 et Poitrimol c. France du 23 novembre 1993, série A n° 277-A, p. 13, § 31).
Selon lui, toutefois, cette question n’est pas décisive en l’espèce. De
surcroît, il est d’avis qu’à supposer même qu’une telle possibilité existe, le
juge n’aurait pas l’obligation d’y faire droit dans tous les cas ; il mentionne
à titre d’exemple l’article 6 § 3 c) de la Convention, lequel ne s’oppose pas à
ce qu’une juridiction passe outre la renonciation d’un accusé à bénéficier de
l’assistance d’un défenseur d’office s’il existe des motifs pertinents et
suffisants de juger que les intérêts de la justice le commandent (arrêt
Croissant c. Allemagne du 25 septembre 1992, série A n° 237-B, p. 33, § 30).
Le Gouvernement
précise qu’en Suisse, le Tessin et Neuchâtel sont les seuls cantons dans
lesquels, en matière pénale, le recours « ordinaire » contre les jugements de
première instance n’est pas l’appel mais le pourvoi, c’est-à-dire un recours qui
ne permet de revoir les faits que sous l’angle - très restreint - de
l’arbitraire. L’unique moyen d’obtenir qu’une juridiction statue à nouveau,
après avoir entendu l’intéressé, sur le bien-fondé des accusations portées
contre lui est donc la procédure de relief. A cet égard, il indique que le
requérant a bel et bien voulu contester la façon dont la cour d’assises avait
établi et apprécié les faits puisqu’il a fait valoir longuement (pp. 11 à 29)
dans son pourvoi du 16 juin 1995 l’évaluation arbitraire des preuves et la
constatation manifestement fausse des faits.
Il affirme que la
comparution du requérant revêtait une importance capitale en raison tant du
droit à être entendu que de la nécessité de contrôler l’exactitude de ses
affirmations et de les confronter avec les dires de la victime (arrêts Poitrimol
précité, p. 15, § 35 et Lala c. Pays-Bas du 22 septembre 1994, série A n° 297-A,
p. 13, § 33). En outre, le législateur doit pouvoir non seulement décourager les
abstentions injustifiées (arrêt Poitrimol précité, p. 15, § 35) mais encore
exiger l’achèvement de la procédure ordinaire avant le dépôt d’un recours de par
sa nature incomplet. Cette conclusion est corroborée par le fait que dans le
canton du Tessin, la procédure ordinaire devant l’autorité de première instance
est régie de façon très stricte par le principe de l’immédiateté des débats : en
particulier, l’inculpé a l’obligation d’être présent à l’audience ; le tribunal
doit procéder à son audition, à celle des témoins et des experts ; des
exceptions ne sont admises qu’en cas de décès, de maladie mentale ou lorsque des
personnes sont introuvables.
Le Gouvernement ne
conteste pas, pour le requérant, le droit de faire usage au mieux des garanties
de l’article 6 de la Convention. Toutefois, il est d’avis que le requérant ne
saurait réclamer un « Etat de droit à la carte » ni prétendre à un droit de
l’accusé de ne pas participer aux débats. Selon lui, le risque d’être placé en
détention ne constitue pas une atteinte aux droits de la défense et l’exigence
de l’article 264 CPP, en l’occurrence la possibilité pour le condamné arrêté ou
se présentant spontanément de demander le relief, s’explique par la nature même
des choses ; en d’autres termes, le relief d’un jugement par défaut qui
aboutirait à un second jugement par défaut serait dénué de sens.
Il soutient que
l’obligation de relever le défaut avant de se pourvoir en cassation vise non
seulement à la recherche de la vérité mais aussi au respect de l’égalité de
traitement et de la sécurité juridique. A cet égard, il mentionne que le fait
d’accorder à la personne condamnée par contumace un libre choix quant au recours
risquerait d’entraîner la succession d’une multitude de recours. En effet, cette
personne pourrait changer d’avis et demander le relief devant la première
instance en cas d’issue défavorable du pourvoi, puis déposer un pourvoi contre
le jugement rendu selon la procédure ordinaire ; par ailleurs, en cas
d’admission du recours par le Tribunal fédéral et de renvoi du dossier devant
l’autorité cantonale, celle-ci devrait se prononcer à nouveau, le cas échéant
une seconde fois par défaut, et le condamné pourrait ensuite demander le relief
puis derechef déposer un pourvoi.
Enfin, le
Gouvernement rappelle que la Cour a déjà jugé contraire à l’article 6 de la
Convention une décision d’irrecevabilité d’un pourvoi fondée sur l’absence des
condamnés (arrêts Omar et Poitrimol précités). Cependant, il souligne que la
présente requête diffère de l’arrêt Omar puisque la seule charge imposée au
requérant consistait en l’obligation de faire précéder la procédure de recours
de la procédure de relief ; or seule cette dernière conférait la faculté au juge
pénal d’examiner librement les faits et le droit, et au requérant de faire
valoir de manière efficace ses droits de la défense. De même, l’arrêt Poitrimol
ne saurait être comparé au cas d’espèce puisque le pourvoi adressé à la Cour de
cassation constituait la seule possibilité de faire réexaminer un jugement rendu
par défaut, lequel ne pouvait pas faire l’objet d’un relief.
Le requérant marque
son désaccord. Il mentionne d’abord quelques particularités des jugements rendus
par défaut dans le canton du Tessin. En particulier, un jugement d’acquittement
par défaut est exclu (article 258 CPP) et une demande de relief est subordonnée
à la condition que la personne condamnée par défaut soit arrêtée par l’autorité
ou se présente spontanément (article 264 CPP). Par ailleurs, il affirme que la
voie de l’opposition n’est pas obligatoire ; il s’agit seulement d’une
possibilité, et plus précisément d’un droit accordé à la personne condamnée par
défaut.
Il rappelle également que suite à sa condamnation à trois ans d’emprisonnement par la cour d’assises de Bellinzona le 8 mai 1995, il devait se constituer prisonnier afin de pouvoir présenter une demande de relief et aurait ensuite été détenu, pour le moins, jusqu’au nouveau procès.
Se référant aux
arrêts rendus par la Cour dans les affaires Poitrimol, Lala et Omar ainsi que
Khalfaoui c. France (14 décembre 1999 ; troisième section), le requérant est
d’avis que son droit d’accès à la cour de cassation a été limité d’une manière
et à un point tels qu’il s’en trouve atteint dans sa substance même ; selon lui,
cette limitation ne poursuit aucun but légitime et il n’existe aucun rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
Il soutient que
la décision déclarant irrecevable son pourvoi en cassation déposé le 16 juin
1995 est totalement contraire à l’article 6 de la Convention en raison, d’une
part, de l’absence de l’institution de l’appel en matière pénale dans le canton
du Tessin et, d’autre part, du déroulement de la procédure devant la cour de
cassation. A cet égard, il indique notamment que la procédure devant cette
juridiction est en principe écrite, que les audiences sont facultatives, que
l’accusé n’a pas l’obligation de comparaître et que la cour statue sur la base
du dossier. Il souligne en outre que les griefs qu’il avait invoqués dans son
pourvoi concernaient principalement l’application erronée du droit.
Selon le requérant,
le principe de l’immédiateté devant l’autorité de première instance a perdu de
son importance en raison de la portée croissante attribuée à la phase de
l’enquête préliminaire.
Enfin, à l’argument
du Gouvernement selon lequel la législation contestée vise au respect de la
sécurité juridique, de l’égalité de traitement et à la recherche de la vérité,
le requérant rétorque qu’il avait irrévocablement renoncé à faire opposition,
que la partie lésée et l’accusateur ont la faculté de déposer un pourvoi contre
le jugement par défaut, que la cour d’assises de Bellinzona n’a pas tenu compte
des éléments de preuve qui lui étaient favorables et a mené contre lui un procès
à charge.
La Cour rappelle
que le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu mais peut donner lieu à des
limitations, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un
recours. Ces limitations ne sauraient toutefois restreindre l’exercice de ce
droit d’une manière ou à un point tel qu’il s’en trouverait atteint dans sa
substance. De surcroît, elles ne se concilient avec l’article 6 de la Convention
que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable
de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Lors de l’examen
de la compatibilité des limitations prévues par le droit interne avec les
exigences de l’article 6, il convient de prendre en compte aussi bien les
particularités de la procédure en cause que l’ensemble du procès mené dans
l’ordre juridique interne (arrêts Omar précité, p. 1840, § 34 et Khalfaoui
précité, §§ 35 à 37).
Elle rappelle aussi
que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les Etats contractants à créer
des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins, un Etat qui se dote de
juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables
jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de cette disposition (arrêt
Omar précité, p. 1841, § 41).
La Cour a déjà eu
l’occasion de préciser que la comparution d’un prévenu revêt une importance
capitale en raison tant du droit de celui-ci à être entendu que de la nécessité
de contrôler l’exactitude de ses affirmations et de les confronter avec les
dires de la victime, dont il y a lieu de protéger les intérêts, ainsi que des
témoins ; dès lors, le législateur doit pouvoir décourager les absences
injustifiées aux audiences (arrêt Poitrimol précité, p. 15, § 35). Toutefois,
une procédure se déroulant en l’absence du prévenu n’est pas en soi incompatible
avec l’article 6 de la Convention s’il peut obtenir ultérieurement qu’une
juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien-fondé des
accusations en fait comme en droit (arrêt Poitrimol précité, p. 13, § 31).
Sous réserve des
principes susmentionnés, les Etats contractants disposent d’une certaine marge
d’appréciation en matière de réglementation des voies de recours ; en
particulier, l’article 6 de la Convention ne garantit pas à un accusé le droit
de décider lui-même de quelle manière sa défense sera assurée (arrêt Tolstoy
Miloslavsky précité, p. 78, § 59 et Comm. eur. D.H., n° 16598/90, décision du 11
décembre 1990, D.R. n° 66, p. 260).
En l’espèce, la
Cour souligne d’emblée qu’à la différence des affaires Poitrimol, Omar et
Khalfaoui précitées, dans lesquelles l’irrecevabilité des pourvois était fondée
sur l’absence des justiciables, la cour de cassation du canton du Tessin, dans
son jugement du 1er septembre 1995, n’est pas entrée en matière sur le pourvoi
du requérant au motif qu’une condamnation par défaut devait être contestée par
la voie de l’opposition conformément à l’article 264 CPP. De surcroît, alors que
les requêtes dirigées contre la France concernaient des pourvois adressés à la
Cour de cassation, à savoir la plus haute autorité judiciaire nationale, et que
les décisions entreprises avaient eu pour conséquence de priver les recourants
de ce degré de juridiction, dans la présente cause, le pourvoi du 16 juin 1995
était adressé à un tribunal cantonal dont la décision ne mettait pas un terme à
la procédure au plan interne ; le requérant, en effet, conservait la possibilité
- jusqu’à la prescription de la peine, conformément à l’article 264 CPP -, de
faire opposition devant la cour d’assises de Bellinzona puis, le cas échéant, de
déposer un pourvoi devant la cour de cassation cantonale et enfin de recourir au
Tribunal fédéral.
La Cour relève en
outre que le requérant, absent lors des débats devant la cour d’assises de
Bellinzona, a vu sa défense assurée par l’avocat de son choix. C’est donc à
juste titre qu’il n’allègue pas que, devant cette juridiction, la garantie
d’équité ou le droit d’accès au tribunal aurait été méconnu. Par ailleurs, aux
termes du Code de procédure pénale du canton du Tessin, un condamné défaillant
devant la cour d’assises a la possibilité, par la voie de l’opposition,
d’obtenir de cette autorité qu’elle statue à nouveau en fait et en droit, après
l’avoir entendu, sur les accusations portées à son encontre. Or cette
réglementation est conforme à l’article 6 de la Convention.
La Cour estime
qu’il en va de même d’une législation imposant à un accusé condamné par
contumace de relever le défaut avant de se pourvoir en cassation ou, en d’autres
termes, de faire réexaminer la cause entièrement, tant en ce qui concerne les
points de fait que de droit, avant de faire usage d’une voie de recours ne
portant que sur l’application du droit. Il est vrai que selon l’article 264 CPP,
le condamné par contumace ne peut relever le défaut qu’à la condition d’être
arrêté ou de se présenter, au risque d’être arrêté lorsque, comme en l’espèce,
une peine de trois ans d’emprisonnement a été prononcée. De l’avis de la Cour,
toutefois, l’intérêt à un débat contradictoire devant un tribunal pénal de
première instance dont le jugement ne peut pas faire l’objet d’un appel, mais
seulement d’un pourvoi, prévaut sur celui du condamné par contumace par ce
tribunal à être dispensé de relever le défaut afin de ne pas encourir le risque
d’être arrêté. Dans un tel cas, en effet, la comparution du condamné revêt une
importance capitale au regard de l’exigence du procès pénal équitable et juste,
mené dans le respect des droits de la défense. La décision par laquelle le
pourvoi du requérant fut déclaré irrecevable ne saurait dès lors être considérée
comme une « sanction disproportionnée » ayant porté atteinte à son droit d’accès
au tribunal ou à son droit à un procès équitable.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
2. Le requérant se
plaint aussi de ce que l’impossibilité, pour la personne condamnée par défaut,
de se pourvoir en cassation, directement et par l’intermédiaire de son avocat,
méconnaît l’article 2 du Protocole N° 7 à la Convention, dont les passages
pertinents sont rédigés comme suit :
« 1. Toute personne
déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire
examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la
condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut
être exercé, sont régis par la loi. »
La Cour rappelle
que les Etats contractants disposent en principe d’un pouvoir discrétionnaire
pour décider des modalités d’exercice du droit prévu par l’article 2 du
Protocole N° 7 à la Convention. Ainsi, l’examen d’une déclaration de culpabilité
ou d’une condamnation par une juridiction supérieure peut porter tant sur des
questions de fait que de droit ou se limiter aux points de droit ; par ailleurs,
dans certains pays, le justiciable désireux de saisir l’autorité de recours doit
dans certains cas solliciter une autorisation à cette fin. Toutefois, les
limitations apportées par les législations internes au droit de recours
mentionné par cette disposition doivent, par analogie avec le droit d’accès au
tribunal consacré par l’article 6 de la Convention, poursuivre un but légitime
et ne pas porter atteinte à la substance même de ce droit (Comm. eur. D.H., n°
20087/92, décision du 26.10.95, D.R. n° 83-B, p. 5).
En l’espèce, la
Cour relève que le requérant avait la possibilité de contester sa condamnation
prononcée par contumace en faisant opposition devant la cour d’assises de
Bellinzona, avant de saisir la cour de cassation du canton du Tessin d’un
pourvoi et enfin de recourir devant le Tribunal fédéral par la voie du recours
de droit public et du pourvoi en nullité. Elle estime que l’obligation imposée à
un accusé condamné par défaut de faire opposition avant de se pourvoir en
cassation poursuit un but légitime dans la mesure où elle permet le réexamen de
la cause dans son intégralité et en présence de l’intéressé ; une telle
obligation ne saurait en outre être considérée comme portant atteinte à la
substance même du droit de recours.
Il s’ensuit que
cette partie de la requête est manifestement mal fondée, au sens de l’article 35
§ 3 de la Convention, et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de
la Convention.
3. Enfin, invoquant
l’article 14 combiné avec l’article 6 de la Convention, d’une part, et avec
l’article 2 du Protocole N° 7 à la Convention, d’autre part, le requérant se
plaint de ce que le Code de procédure pénale du canton du Tessin établit une
distinction injustifiée entre la personne condamnée par contumace, qui doit
préalablement relever le défaut, et la personne condamnée selon une procédure
contradictoire, qui peut directement se pourvoir en cassation. Il souligne en
outre que dans certains cantons, un prévenu jugé par défaut n’a pas l’obligation
de faire opposition avant de se pourvoir en cassation.
Aux termes de
l’article 14 de la Convention :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
La Cour rappelle
que cette disposition interdit de traiter de manière différente, sauf
justification objective et raisonnable, des personnes placées dans une situation
comparable (arrêt Fredin c. Suède du 18 février 1991, série A n° 192, p. 19, §
60).
Or en l’espèce, à
supposer même que ce grief ait été soulevé au plan interne, la Cour observe que
le requérant évoque des situations qui ne sont pas similaires. En effet, le cas
d’un prévenu condamné par contumace ne saurait être comparé à celui du prévenu
jugé contradictoirement. Par ailleurs, elle souligne qu’en Suisse, la procédure
devant les autorités cantonales est fixée par ces dernières (article 365 du Code
pénal) et varie en conséquence d’un canton à l’autre ; des accusés jugés dans
des cantons différents - à l’instar de prévenus condamnés dans des Etats
contractants différents - ne peuvent dès lors prétendre comparaître devant les
mêmes autorités ni disposer de voies de recours identiques. Dans ces
circonstances, elle estime que le requérant ne saurait se plaindre d’une
discrimination contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article
6 de la Convention ou avec l’article 2 du Protocole N° 7 à la Convention.
Il s’ensuit que
cette partie de la requête est manifestement mal fondée, au sens de l’article 35
§ 3 de la Convention, et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de
la Convention.
Par ces motifs,
la Cour, à l’unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE
IRRECEVABLE.
Erik Fribergh Christos Rozakis
Greffier Président