TROISIÈME SECTION 
 
 

AFFAIRE BERTIN-MOUROT c. FRANCE 
 

(Requête n° 36343/97) 
 
 

ARRÊT 
 
 

STRASBOURG 
 

2 août 2000 
 
 
 
 

DÉFINITIF 
 

02/11/2000 
 
 
 
 
 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive

 
 

  

  En l’affaire Philippe Bertin-Mourot c. France,

  La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

      M. W. Fuhrmann, président
 M. J.-P. Costa, 
 M.  L. Loucaides, 
 M. P. Kūris, 
 M. K. Jungwiert, 
 Sir Nicolas Bratza 
 Mme H.S. Greve, juges
 et de Mme S. Dollé, greffière de section,

  Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 septembre 1999 et le 11 juillet 2000,

  Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

 
PROCÉDURE

  1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 36343/97) dirigée contre la France et dont un ressortissant de cet Etat, M. Philippe Bertin-Mourot (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 13 mars 1996 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Le requérant est représenté par Me Pascal Alix, avocat au barreau de Paris.

  2.  Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaignait de la durée d’une procédure pénale. En outre, il  alléguait une violation de son droit à un procès équitable et de la présomption d’innocence. Le 1er juillet 1998, la Commission (Deuxième Chambre) a décidé de porter le grief tiré de la durée de la procédure à la connaissance du gouvernement français («le Gouvernement»), en l’invitant à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de celui-ci; elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus.

  3.  A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole N° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l’article 5 § 2 de celui-ci, l’affaire est examinée par la Cour.

  4.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

  5.  Le Gouvernement a présenté ses observations le 11 décembre 1998, et le requérant y a répondu le 27 février 1999.

  6.  Par une décision du 7 septembre 1999, la chambre a déclaré la requête recevable.

 
EN FAIT 
 

  7.  Le 30 novembre 1980, le requérant se vit remettre le tableau «La madone à l'escalier» dans le cadre d'une donation manuelle de l’œuvre par sa tante, T.B.M., dont il était l'héritier désigné depuis 1976. Deux versions de ce tableau existaient : la première version fut acquise par T.B.M. le 10 mai 1944 lors d'une vente à l'Hôtel Drouot, alors qu’elle était inscrite au catalogue comme étant «attribuée à Nicolas Poussin». Cette version avait été auparavant achetée par le peintre H.L. en 1909 comme un authentique Poussin, juste après son importation en France d'Angleterre. La seconde version fut vendue à la National Gallery of Art of Washington, en 1947, comme étant l’œuvre de Nicolas Poussin. Elle fut certifiée unique et authentique par A.B. la même année. De 1947 à 1980, cette dernière version fut présentée comme étant l'originale, unanimement acceptée par les spécialistes. La version du requérant restait une œuvre disputée et discutée, malgré les tentatives d'authentification du tableau.

  8.  En novembre 1980, le requérant contacta vingt-cinq prospects importants pour vendre le tableau. Le musée du Louvre ne fit aucune offre. Le requérant reçut néanmoins des réponses : celle du conservateur du musée de Winnipeg au Canada, Madame D., qui, tout en informant le requérant de ce que le musée n'avait pas les fonds nécessaires pour acquérir le tableau, lui proposa de l'exposer gratuitement ; celle du « Cleveland Art Museum », dont S.L. était le conservateur principal, et dont deux conservateurs se déplacèrent en France pour examiner le tableau. Le « Cleveland Art Museum » fit une offre écrite à 2 200 000 dollars sous réserve d'obtention de l'autorisation d'exporter.

  9.  Le requérant ne possédant pas une autorisation d'exporter, il consulta un juriste spécialiste en la matière, P., conseiller d'Etat, afin d'obtenir des informations sur les règles d'exportation des œuvres d'art. La consultation indiqua au requérant que la loi du 23 juin 1941 imposait un certificat du Louvre pour les œuvres d'art dont l'authenticité n'était pas contestée. Pour les autres œuvres, comme en l'espèce, aucune restriction à l'exportation n'existait, dès lors que l’œuvre avait été importée en France. Le tableau étant d'origine anglaise, aucune autorisation n'était exigée.

  10.  Le 11 janvier 1981, le requérant décida donc d'exporter son tableau et s'envola pour New-York. A la douane américaine, il déclara un tableau en transit et à valeur marchande zéro.

  11.  De retour en France, le requérant fut interrogé par l'administration des douanes au sujet de l'exportation du tableau. Le requérant expliqua qu'aucune infraction n'avait été commise, le tableau n'étant pas une marchandise prohibée soumise à autorisation du Louvre puisque son authenticité était niée dans le catalogue même de ce musée. Il ajouta que le tableau, importé de l'étranger, relevait de l'article 3 de la loi du 23 juin 1941, ce qui dispensait l'exportateur d'obtenir une autorisation de sortie délivrée par le Louvre. Un procès-verbal fut dressé le 18 mars 1981.

  12.  Le 29 avril 1981, la vente du tableau du requérant fut conclue avec le musée de Cleveland pour un montant de deux millions deux cent mille dollars. Auparavant, le conservateur S.L. consulta ses juristes, lesquels lui confirmèrent l'analyse de P. sur l'inutilité d'un certificat du Louvre dans le cas d'espèce.

  13.  Le 5 juin 1981, P.R. et M.L., conservateurs au Louvre, envoyèrent un télégramme au musée de Cleveland, en indiquant notamment : « apprenons Poussin frauduleusement exporté de France (...) ».

  14.  Sur dénonciation de P.R., le service des douanes porta plainte contre le requérant pour exportation sans déclaration de marchandises prohibées et pour non rapatriement du produit de l'exportation le 3 mai 1982.

  15.  Le 12 mai 1982, le procureur prit un réquisitoire introductif d’instance contre le requérant, sa tante et L.S., des chefs d’exportation sans déclaration de marchandises prohibées, infraction à la législation des relation financières avec l’étranger en omettant de procéder au rapatriement des produits encaissés à l’étranger, complicité et participation en tant qu’intéressés à la fraude.

  16.  Le 14 mai 1982, un juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Paris fut désigné pour suivre l'affaire.

  17.  En mai 1982, le requérant envoya au juge d’instruction son projet de réponse au journal Le Monde, ce dernier ayant publié un article intitulé « Poussin exporté frauduleusement ». Ce projet comportait de nombreuses références, notamment les imprimés des musées nationaux et le catalogue de l'exposition Poussin à Rome de 1978, présentant le tableau du requérant comme une copie.

  18.  Suite à une lettre de l’avocat du requérant qui demandait l’annulation de la convocation de son client devant le juge d’instruction en raison de son absence de France, un procès-verbal de non comparution fut établi le 4 juin 1982.

  19.  Le 26 juin 1982, le requérant adressa une copie de la consultation de P. ainsi qu'un rapport complet de la situation au juge d’instruction.

  20.  Le 14 octobre 1982, T.B.M. remit au juge les ouvrages contestant l'authenticité du tableau du requérant ou qui en ignoraient jusqu'à l'existence. Un procès-verbal de première comparution fut dressé.

  21.  En novembre 1982, A.B., le spécialiste qui avait certifié authentique la version de la National Gallery of Art of Washington, écrivit dans le Burlington Magazine : « Le tableau [du requérant] est sans l'ombre d'un doute de la main propre de Poussin ».

  22.  Le 24 novembre 1982, sur commission rogatoire du 24 mai 1982, un inspecteur de la police nationale détaché au ministère du budget entendit P.R.

  23.  Le 30 novembre 1982, le juge d'instruction adressa une commission rogatoire internationale aux autorités américaines afin de diligenter une enquête sur les conditions d'entrée du tableau sur le territoire américain.

  24.  Par mandat du 13 décembre 1982, le requérant fut appelé à comparaître. Un procès-verbal de comparution du requérant fut dressé le 29 décembre 1982.

  25.  En 1983, les autorités américaines ouvrirent des poursuites contre le requérant pour fausse déclaration d'importation, lui reprochant d'avoir déclaré le tableau de valeur nulle, et lancèrent un mandat d'arrêt à son encontre.

  26.  Le 18 octobre 1983, le juge d’instruction chargea la brigade financière de poursuivre l’exécution de la commission rogatoire internationale du 30 novembre 1982 par le biais d’Interpol. En janvier 1984, les autorités françaises se rendirent aux États-Unis pour participer à l'exécution de la commission rogatoire internationale.

  27.  Le 25 avril 1984, le juge d'instruction adressa une commission rogatoire aux autorités canadiennes aux fins de recherche du nouveau domicile du requérant, ce dernier ayant quitté la France, et de l'usage fait du produit de la vente du tableau. Les autorités françaises se déplacèrent aux États-Unis une seconde fois en mai 1984, afin de s'informer sur les possibilités de saisie du tableau et sur la position des autorités américaines quant à l'éventuelle responsabilité du musée de Cleveland dans l'importation sans déclaration du tableau. Dans un procès-verbal de transport du 4 juin 1984, le juge d’instruction indiqua qu'au cours de son déplacement sur le territoire canadien, les autorités locales l'avaient informé des difficultés existantes pour extrader un étranger et pour l'expulser. Il indiqua également avoir rencontré Madame D., laquelle avait nié avoir jamais proposé au requérant d'exposer gratuitement son tableau faute de pouvoir l'acheter.

  28.  Le 4 juin 1984, le procureur prit un réquisitoire supplétif.

  29.  Le 20 juin 1984, le juge d’instruction lança un mandat d'arrêt international contre le requérant, alors résident au Canada.

  30.  Le 30 octobre 1984, les autorités américaines prononcèrent un non-lieu et levèrent le mandat d'arrêt lancé contre le requérant.

  31.  Le 25 mars 1985, le requérant et L.S. furent cités à comparaître.

  32.  Le 28 juin 1985, le procureur prit un réquisitoire définitif.

  33.  Le 5 juillet 1985, le juge clôtura l'instruction et renvoya le requérant devant le tribunal correctionnel pour délit de contrebande par aéronef en exportation sans déclaration de marchandise et infraction à la législation et à la réglementation des relations financières avec l'étranger. T.B.M. et L.S. furent renvoyés des chefs de participation en tant qu’intéressés à la fraude au délit de contrebande. L’audience du 20 septembre 1985 devant le tribunal correctionnel de Paris fut reportée au motif que les prévenus étaient absents.

  34.  Le 30 septembre 1985, les prévenus furent cités à comparaître pour l’audience du 7 février 1986. Ce jour là, l’avocat du requérant demanda un renvoi de l’audience, laquelle fut fixée au 6 juin 1986.

  35.  Le 15 avril 1986, T.B.M. fut interrogée à son domicile en raison de son état de santé.

  36.  Le 6 juin 1986, l’audience fut à nouveau reportée au 7 novembre 1986.

  37.  Le 7 novembre 1986, l’audience fut reportée au motif que des pourparlers de transaction avec l’administration des douanes étaient en cours. En effet, par une lettre du 28 septembre 1987, l'administration des douanes avait proposé au requérant une transaction comportant le paiement d'une amende de 4 600 000 francs. Les négociations douanières perdurèrent sans jamais aboutir.

  38.  Par jugement du 27 mars 1987, le tribunal rendit un arrêt de disjonction déclarant l’action publique et fiscale éteinte à l’égard de T.B.M., décédée, et de L.S., après transaction avec les douanes.

  39.  Les audiences des 25 septembre 1987, 18 mars 1988 et 28 avril 1989 devant le tribunal furent également reportées pour le même motif que celle du 7 novembre 1986.

  40.  Le 13 janvier 1989, le mandat d'arrêt international lancé par les autorités françaises fut levé.

  41.  Le 25 avril 1989, l’avocat du requérant demanda un report de l’audience fixée au 28. Le 16 juin 1989, l’audience fut à nouveau renvoyée au 20 octobre 1989.

  42.  Par jugement du 24 novembre 1989, le tribunal correctionnel de Paris condamna le requérant à deux mois de prison avec sursis, 200 000 francs d'amende, 200 000 francs de confiscation pour la marchandise, 200 000 francs au titre de la législation sur les changes et 200 000 francs de confiscation au titre des changes. Le tribunal reconnut que le tableau était d'origine anglaise, mais il considéra que l'article 3 de la loi du 23 juin 1941 était abrogé. Il appliqua donc au requérant le cas général de délit de contrebande portant sur une marchandise prohibée. Le requérant interjeta appel du jugement le 7 décembre 1989.

  43.  Les débats devant la cour d’appel de Paris se déroulèrent les 17 mai et 25 octobre 1990, ainsi que les 14 février, 23 mai et 17 octobre 1991. Les audiences se succédèrent ainsi compte tenu, à chaque fois, de la longueur des débats. Au cours de cette dernière audience, le président de la cour avertit les parties que l’arrêt serait prononcé le 30 janvier 1992. Le délibéré fut cependant prolongé jusqu’au mois de mars 1992.

  44.  Par arrêt du 19 mars 1992, la cour d'appel de Paris releva tout d'abord que les actions publique et fiscale étaient éteintes concernant l'infraction à la législation et à la réglementation des relations financières avec l'étranger, la loi ayant été abrogée. Pour le reste, la cour d'appel disqualifia le délit en contravention douanière de troisième classe d'exportation sans déclaration d'une marchandise ni prohibée ni taxée à sa sortie. Elle condamna le requérant à 2 000 francs d'amende, ainsi qu'à 5 000 000 de francs au titre de confiscation pour la marchandise. Le requérant forma un pourvoi en cassation le 20 mars 1992.

  45.  Par arrêt du 28 février 1994, la Cour de cassation cassa partiellement l'arrêt, dans la limite de la décision de condamnation de la cour d'appel de Paris. Elle renvoya l'affaire devant la cour d'appel de Versailles.

  46.  Les audiences devant la cour d’appel se déroulèrent les 24 novembre 1994 et 16 mars 1995.

  47.  Par un arrêt du 18 mai 1995, la cour d'appel de Versailles fixa le quantum des condamnations à 1 500 francs d'amende et, la valeur du tableau ayant été fixée à 60 000 francs par référence au prix de ce tableau au cours du marché intérieur avant son exportation en tant que copie d'une œuvre originale de Poussin, fixa le montant des confiscations à 20 000 francs.

  48.  Les 23 et 24 mai 1995, le requérant et l’administration des douanes formèrent un pourvoi en cassation.

  49.  Par un arrêt du 14 novembre 1996, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. 
 

 
EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION 
 

A. Période à prendre en considération

  50.  Le requérant situe le point de départ de la procédure en 1982.

  51.  Le Gouvernement soutient que la procédure a débuté en 1989, lorsque le mandat d’arrêt international lancé contre le requérant par les autorités françaises fut levé. Il affirme à cet égard que le requérant s’est dérobé jusqu’à cette date à toute investigation ou convocation et que, dès lors, les mesures prises contre lui n’ont pas eu de répercussions importantes sur sa situation.

  52.  La Cour rappelle que la période à prendre en considération au regard de l’article 6 § 1 débute dès qu’une personne est formellement accusée ou lorsque les soupçons dont elle est l’objet ont des répercussions importantes sur sa situation, en raison des mesures prises par les autorités de poursuite (arrêt Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 33, § 73). Ainsi, « il peut s’agir d’une date antérieure à la saisine de la juridiction de jugement, celle notamment (...) de l’arrestation, de l’inculpation ou de l’ouverture des enquêtes préliminaires (...). Si l’accusation au sens de l’article 6 § 1 peut en général se définir comme la notification officielle, émanant de l'autorité compétente, du reproche d'avoir accompli une infraction pénale, elle peut dans certains cas revêtir la forme d'autres mesures impliquant un tel reproche et entraînant elle aussi des répercussions importantes sur la situation du suspect. » (arrêt Corigliano c. Italie du 10 décembre 1982, série A n° 57, p. 13, § 34).

  53.  En l’espèce, la Cour relève que, dès le 18 mars 1981, les inspecteurs de la direction nationale des enquêtes douanières ont interrogé le requérant sur l’exportation du tableau. Plus tard, la plainte des douanes en date du 3 mai 1982 entraîna l’ouverture de l’instruction et, le 12 mai 1982, l’adoption par le procureur d’un réquisitoire introductif d’instance. L’action publique ayant été mise en mouvement à cette dernière date, il appartenait au juge d’instruction de mettre en examen le requérant. Certes, la Cour ne dispose pas de la date exacte à laquelle l’intéressé a eu officiellement connaissance de l’ouverture de l’information mais elle note que, dès le 3 juin 1982, l’avocat du requérant a demandé le report de la comparution de son client compte tenu de son absence de France. Le fait que le requérant se trouvait hors de France ne signifiait pas l’absence de « répercussions importantes sur sa situation », comme le prouvent les contacts pris dès le mois de mai 1982 par le requérant avec le juge d’instruction et toutes les mesures ultérieures des autorités de poursuite.

  La Cour considère dès lors que le point de départ de la période à considérer se situe au plus tard le 12 mai 1982 lorsque le procureur a demandé l’ouverture d’une information contre le requérant et qu’il l’a donc « accusé » d’une infraction pénale au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. La procédure a pris fin le 14 novembre 1996 ; elle a donc duré quatorze ans, six mois et deux jours.

B. Caractère raisonnable de la durée de la procédure

  54.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Pélissier et Sassi c. France du 25 mars 1999, à paraître dans le Recueil des arrêts et décisions 1999, § 67).

  55.  Le Gouvernement soutient essentiellement que la durée de la procédure s’explique par le comportement du requérant qui se serait de nombreuses fois dérobé à la justice.

  56.  La Cour relève que les faits de l’affaire présentait une certaine complexité liée aux enjeux financiers et culturels de l’affaire. Toutefois, eu égard à la durée globale de la procédure, et nonobstant le comportement du requérant qui ne peut expliquer de manière décisive un tel délai, la Cour est d’avis que la procédure litigieuse n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable » garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

  Partant, il y a eu violation dudit article.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

  57.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

 « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

  58.  Le requérant réclame 1 000 000 de francs français (FRF) au titre du préjudice moral.

  59.  La Cour juge que le requérant a subi un tort moral certain du fait de la durée de la procédure litigieuse. Compte tenu des circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l’article 41, elle lui octroie 60 000 FRF à ce titre.

B. Frais et dépens

  60.  L’intéressé réclame 1 007 795 FRF pour frais et dépens, dont 678 352 francs pour les besoins de la procédure en France, 222 175 francs pour l’assistance à l’étranger et 28 854 francs au titre de la procédure devant la Cour européenne.

  61.  La Cour estime qu’il n’y a pas lieu de rembourser les frais engagés pour la procédure interne, ceux-ci n’ayant pas été exposés pour remédier à la violation constatée. En revanche, la Cour estime raisonnable la somme exposée pour la procédure devant la Cour et accorde au requérant 28 854 FRF à ce titre.  
 

C. Intérêts moratoires

  62.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en France à la date d’adoption du présent arrêt était de 2,47 % l’an.

 
par ces motifs, la cour, À l’unanimitÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article  6 § 1 de la Convention ; 
 

2. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 60 000 (soixante mille) francs français pour dommage moral et 28 854 (vingt-huit mille huit cent cinquante quatre) francs français pour frais et dépens ;

b) que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 2,47 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ; 
 

3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

  Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 août 2000 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour. 
 
 
 
 
 
 
 

      S. Dollé W. FUHRMANN 
 Greffière Président