TROISIÈME SECTION 
 

DÉCISION 
 

SUR LA RECEVABILITÉ 
 

de la requête n° 38642/97 
présentée par Paul SERVES 
contre la France
 
 

      La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 4 mai 2000 en une chambre composée de 
 

      M. W. Fuhrmann, président
 M. J.-P. Costa, 
 M. P. Kūris, 
 Mme F. Tulkens, 
 M. K. Jungwiert, 
 Sir Nicolas Bratza, 
 M. K. Traja, juges
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
 
 

      Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 22 octobre 1997 et enregistrée le 17 novembre 1997, 
 

      Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête, 
 

      Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant, 
 

      Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

 
 

EN FAIT 
 

1.   Le requérant est un ressortissant français né en 1955. Officier de carrière dans l’armée française, il réside à Seillons (département du Var). Il a déposé deux autres requêtes devant la Commission européenne des Droits de l’Homme : la requête n° 20225/92, qui a fait l’objet d’un arrêt de la Cour du 20 octobre 1997 (arrêt Serves c. France, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, p. 2159) et la requête n° 36535/97 qui a été déclarée irrecevable par la Cour le 27 avril 1999. 
 

      Il est représenté par Me S. Degrâces, avocat au barreau de Paris. 
 

      Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. 
 

2.   A l'époque des faits, le requérant avait le grade de capitaine et commandait la première compagnie (la « compagnie ») du deuxième régiment étranger de parachutistes (« 2e REP »), basée en République Centrafricaine.  
 

1. La genèse de l'affaire 
 

3.   Le 5 avril 1988, la compagnie partit en « tournée de province » dans la région d'Awajaba, au nord de la République Centrafricaine.  
 

      Le 11 avril 1988, le requérant réunit ses chefs de section, les informa que des braconniers lui avaient été signalés dans la réserve présidentielle et le parc national du Bamingui-Bangoran et qu'ils allaient accomplir une mission « non officielle » d'investigation. Deux zones furent définies : une première section de la compagnie, commandée par le requérant, fut chargée d'enquêter dans l'une, et une deuxième section, commandée par le lieutenant C., dans l'autre. Une troisième section devait relever la deuxième au bout de quarante-huit heures. Le requérant précisa qu'il y avait lieu d'intercepter les braconniers éventuellement rencontrés et, en cas de fuite de ceux-ci, si nécessaire, d'ouvrir le feu après sommation. Les opérations débutèrent le 13 avril au matin. 
 

      Le 14 avril 1988, une patrouille de la deuxième section, commandée par le sergent-chef B., surprit deux autochtones qui s'enfuirent à sa vue. Le sergent-chef B. tira deux coups de feu, blessant l'un des fuyards à la jambe. Informé par ledit sergent-chef, le lieutenant C. se rendit sur les lieux accompagné de l'infirmier de la section, le caporal J. Des soins furent prodigués au blessé qui fut ensuite transporté au bivouac où le lieutenant C. ordonna au caporal-chef D. de faire creuser une fosse. Une heure après l'accomplissement de cette besogne, le captif ayant été interrogé, il fut, sur l'ordre du lieutenant C., achevé à l'aide de cinq balles tirées par le caporal-chef D., puis enterré.  
 

4.   Informé de cette affaire le 15 ou le 16 avril 1988, le requérant ordonna à ses hommes de faire silence. Ils rejoignirent leur cantonnement à Bouar le 21 avril. Dans son rapport sur la « tournée de province », le requérant ne fit état d'aucun incident.

 
 

2. Les enquêtes de commandement 
 

5.   Interrogés le 22 avril 1988 par le lieutenant-colonel Champy, commandant le détachement des éléments français d'assistance opérationnelle (« EFAO ») à Bouar, qui avait eu vent d'un incident durant ladite tournée, le requérant et le lieutenant C. déclarèrent avoir découvert le corps d'un indigène, l'avoir fait enterrer et ne pas en avoir rendu compte par souci de discrétion. Ils rédigèrent des comptes rendus relatant cette version des faits. Les autorités centrafricaines en furent averties le 23 avril et l'enquête ne fut pas poursuivie plus avant. 
 

6.   Le 13 mai 1988, le colonel Larrière, commandant les EFAO en République Centrafricaine, fut informé que des témoignages portés devant la gendarmerie centrafricaine mettaient ses militaires en cause. Il décida en conséquence de reprendre l'enquête et, le 15 mai, interrogea personnellement le requérant, le lieutenant C., le sergent-chef B. et le caporal J. Les deux premiers confirmèrent le contenu de leurs comptes rendus initiaux. Les déclarations de chacun divergeant toutefois sur certains points, le colonel Larrière entendit une seconde fois le lieutenant C. Ce dernier reconnut alors que le sergent-chef B. avait ouvert le feu sur le braconnier, que celui-ci avait été blessé à la jambe et que des soins lui avaient été prodigués sur place. Il ajouta que le prisonnier était décédé de sa blessure peu de temps après son transport au bivouac et que lui-même avait ordonné qu'il fût immédiatement enterré.  
 

7.   De retour à Bangui accompagné du requérant et du lieutenant C., le colonel Larrière fit informer le chef d'état-major des armées. Le 17 mai 1988, celui-ci fit savoir audit colonel qu'il avait pris contact avec le commissaire du Gouvernement près le tribunal des forces armées de Paris, qu'il y avait lieu de saisir la prévôté - détachement de gendarmerie affecté, en opérations, à une grande unité ou à une base, et chargé des missions de police générale et judiciaire - des EFAO et que la compagnie serait relevée aussitôt que possible.  
 

8.   Dans son rapport de commandement du 20 mai 1988, le colonel Larrière se dit convaincu par les dernières déclarations du lieutenant C. sur les circonstances de la mort du braconnier. Pour le reste, il exposa les faits ci-dessus décrits (paragraphes 2–6), conclut à la responsabilité « totale » du requérant et demanda des sanctions disciplinaires à son encontre (la relève de l'intéressé à la tête de son unité et le blâme du ministre de la Défense) ainsi qu'à celle du lieutenant C. (quarante jours d'arrêts). Ledit rapport précise notamment que « des éléments obtenus au cours de cette enquête, on peut conclure que la responsabilité du capitaine Serves (…) est totale. Il est sorti du cadre de sa mission, a enfreint les directives et a donné des ordres contraires à ceux qu’il avait reçus concernant l’emploi des armes et munitions. (...) Commandant une unité de légion étrangère, il savait, en donnant de tels ordres, qu’il serait obéi aveuglément. De surcroît, au courant des événements, il n’a pas rendu compte et a cherché à dissimuler les faits, exigeant de ses cadres un mutisme total ».  
 

9.   Les militaires impliqués dans l'affaire furent rapatriés en France le 21 mai 1988. Le requérant, le lieutenant C., le sergent-chef B. et le caporal J. furent retenus au fort de Nogent, dans le Val de Marne. Ces derniers, ainsi que les deux autres chefs de section de l'unité furent interrogés les 22, 23 et 24 mai 1988 par le général Guignon, commandant la onzième division parachutiste et la quarante-quatrième division militaire territoriale. Son rapport de commandement au chef d'état-major de l'armée de terre daté du 25 mai 1988 fait état d'une rumeur selon laquelle le braconnier avait été « achevé » par le caporal-chef D. et conclut à la  
responsabilité du lieutenant C. et à celle, « écrasante », du requérant ; il souligne qu’« en lançant sa compagnie dans cette aventure stupide de « chasse au braconnier », [le requérant avait pris] le risque énorme d’une « bavure » de ce type » et qu’en « travestissant ensuite la vérité, en imposant à toute son unité de se taire ou de mentir, il [avait] très fortement aggravé son cas », et ajoute que « la justice établira le degré exact de culpabilité ; du point de vue du commandement, il ne mérite aucune indulgence ».
 
 

      Le 30 mai 1988, le général Guignon interrogea une nouvelle fois le requérant, le sergent-chef B., le caporal J. et le lieutenant C., lequel reconnut que le caporal-chef D. avait, sur son ordre, tiré sur le blessé afin « de mettre un terme aux souffrances d'un moribond », ce qui fut par la suite confirmé par ledit caporal-chef. Un rapport de commandement du 1er juin relate ceci et conclut comme il suit : « Les faits que j’ai rapportés me semblent actuellement vraisemblables. En tous cas, il m’apparaît difficile de poursuivre mes investigations alors que la plupart des protagonistes sont désormais entre les mains de la justice. M’en tenant à dessein au cadre strict de l’enquête de commandement, je confirme que les responsabilités majeures se situent, comme je l’ai écrit, au niveau des deux officiers en cause ». 
 

3. L'enquête préliminaire 
 

10.   Le 18 mai 1988, le colonel Larrière avait informé le commandant du détachement prévôtal de Bangui des données de l'affaire. Ce dernier avait ouvert une enquête préliminaire et, le même jour ainsi que le 20 mai, adressé des messages au commissaire du Gouvernement près le tribunal des forces armées de Paris, lesquels se lisent respectivement ainsi : 
 

 « Primo : enquête dirigée par chef de détachement prévôtal Bangui (RCA) assisté personnel prévôté Bangui et Bouar [;] procédure en cours ne nécessite pas maintenir sur place militaires concernés compte tenu position arrêtée par le chef de l'Etat centrafricain. 
 

 Secundo : tous les personnels impliqués auront effectué déposition avant retour sur la France. 
 

 Tertio : personnels concernés seront mis en route avec leur unité le samedi 21 mai 1988 pour Bastia (...) » 
 

et 
 

 « Suite communication téléphonique de ce jour 20 mai 1988 vous informe identités des militaires concernés par l'affaire :

 1) Serves, Paul, capitaine.

 2) [C.], lieutenant.

 3) [B.], sergent-chef.

 4) [J.], caporal. 
 

 Impossibilité actuelle vous faire relation circonstanciée des faits. Recherche renseignements en cours.  
 

 Vous prie demander au CEMA de prendre dispositions auprès EFAO Bangui pour faire acheminer militaires intéressés sur Paris. Sollicite message confirmant vos instructions téléphoniques et éventuellement nouvelles directives - même voix immédiat. » 
 

11.   Le 21 mai 1988, le commandant du détachement prévôtal avait procédé à l'audition du colonel Larrière qui lui avait remis une copie de son rapport du 20 mai. Un procès-verbal du même jour - auquel étaient annexés ledit document et le procès-verbal de l'audition du colonel Larrière - avait clôturé l'enquête.  
 

 
 

4. Les poursuites pénales  
 

a) L'information 
 

      i) La première information 
 

12.   Sur réquisitoire introductif du commissaire du Gouvernement près le tribunal des forces armées de Paris du 20 mai 1988, une information fut ouverte contre le requérant, le lieutenant C., le sergent-chef B. et le caporal J. 
 

      Le 24 mai 1988, le requérant fut inculpé de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner puis, en substitution, le 23 juin 1988, d'assassinat. Il fit l'objet d'une détention provisoire du 24 mai au 21 juillet 1988.  
 

      Le lieutenant C. et le caporal-chef D. furent également inculpés d'assassinat, et trois autres légionnaires, membres de la deuxième section de la compagnie, de complicité d'assassinat ; le caporal J. fut inculpé de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et le sergent-chef B., de coups, violences ou voies de fait volontaires ayant ou non entraîné une incapacité totale de travail n'excédant pas huit jours, commis avec une arme. 
 

13.   Le 9 octobre 1989, saisie par le commissaire du Gouvernement, la première chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, exerçant les attributions de la chambre de contrôle de l'instruction du tribunal des forces armées, rendit l'arrêt suivant : 
 

 « (...) La chambre de contrôle de l'instruction, (...) 
 

 Constate que l'information a été ouverte par réquisitoire du 20 mai 1988 sans qu'ait été préalablement sollicité, comme le prescrit l'article 97 du code de procédure pénale militaire, l'avis du ministre chargé de la Défense ou de l'autorité prévue par l'article 4 du code de procédure pénale militaire.  
 

 Dit que cette irrégularité, compte tenu de l'absence de flagrance, a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts des personnes mises en cause, en ne leur garantissant pas, par ailleurs, un procès équitable, certaines pièces de l'enquête préliminaire n'ayant pas été versées au dossier. 
 

 Annule en conséquence le réquisitoire introductif du 20 mai 1988 et les actes de procédure ultérieurs. 
 

 Dit que l'annulation ne s'appliquera pas à l'enquête préliminaire ni aux messages des [18] et 20 mai 1988. (...) » 
 

      ii) La seconde information 
 

14.   Répondant à la demande du commissaire du Gouvernement du 21 octobre 1989, le ministre de la Défense rendit, le 10 novembre 1989, l'avis que les faits paraissaient susceptibles d'une qualification criminelle et qu'il y avait lieu à poursuites. 
 

15.   Sur réquisitoire du commissaire du Gouvernement du 13 mars 1990 - ledit réquisitoire visait le procès-verbal du 21 mai 1988, les messages des 18 et 20 mai 1988, les rapports de commandement du général Guignon des 25 mai et 1er juin 1988 et l'avis du ministre de la Défense, une instruction préparatoire fut ouverte à l'encontre des seuls lieutenant C. et caporal-chef D., du chef d'assassinat. Ceux-ci furent inculpés le 19 avril 1990. 
 

16.   Dans le cadre de cette information, le juge d’instruction des forces armées recueillit notamment le témoignage du colonel Larrière, du lieutenant-colonel Champy et du sergent-chef B. 
 

      Le requérant fut lui aussi, les 12, 19 et 26 septembre 1990, assigné à comparaître comme témoin ; chaque fois, il comparut mais refusa de prêter serment et de déposer. Par des ordonnances des mêmes jours, ledit juge le condamna en conséquence à des amendes de 500 francs français (FRF), 2 000 FRF et 4 000 FRF. Le requérant fit appel de ces ordonnances devant la première chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris ; il soutenait essentiellement que l'arrêt du 9 octobre 1989 ayant expressément maintenu l'enquête préliminaire et les messages des 18 et 20 mai 1988 qui avaient servi de base à son inculpation en 1988, il existait contre lui des charges permettant son inculpation de telle sorte qu'il ne pouvait être entendu comme témoin sauf à faire échec à ses droits de la défense et à méconnaître les articles 6 de la Convention et 105 du code de procédure pénale. Ladite juridiction confirma les ordonnances litigieuses par un arrêt du 29 octobre 1990. Par un arrêt du 23 octobre 1991, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant. 
 

17.   Le 6 mai 1992, le requérant fut de nouveau inculpé d'assassinat et, le 28 février 1994, la première chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris prononça la mise en accusation du caporal-chef D. pour assassinat, ainsi que du lieutenant C. et du requérant pour complicité d'assassinat. 
 

b) Le jugement du tribunal des forces armées de Paris 
 

18.   L’audience devant le tribunal des forces armées de Paris eut lieu les 10 et 11 mai 1994. Après avoir entendu de nombreux témoignages dont ceux du colonel Larrière et du général Guignon, ledit tribunal, par un jugement du 11 mai 1994, condamna le caporal-chef D. à un an d'emprisonnement avec sursis, le lieutenant C. à trois ans d'emprisonnement dont un avec sursis, et le requérant, pour complicité d’assassinat, à quatre ans d'emprisonnement dont un avec sursis.  
 

c) L’arrêt de la Cour de cassation 
 

19.   Le requérant et le lieutenant C. se pourvurent en cassation contre les arrêts des 28 février 1994 et le jugement du 11 mai 1994. 
 

      Dans son mémoire sommaire en demande du 25 mai 1994, le requérant invoquait notamment l’article 6 de la Convention, alléguant une atteinte à ses droits de la défense résultant du versement des rapports du général Guignon au dossier pénal ainsi que le défaut d’équité de la procédure dans son ensemble. 
 

Le 29 avril 1997, la Cour de cassation rendit l’arrêt de rejet suivant : 
 

 « (…) Attendu que, pour rejeter l’exception de nullité du réquisitoire introductif du 13 mars 1990, soulevée au motif que cet acte faisait état de deux rapports d’enquêtes fondés sur des déclarations des personnes mises en cause recueillies en violation des règles de la procédure pénale et des droits de la défense, l’arrêt attaqué énonce que « le versement au dossier de l'enquête de commandement, effectuée dans le cadre d’une procédure administrative distincte, pour être soumise à la libre discussion des parties, ne saurait vicier la procédure judiciaire qui seule est soumise aux règles du code de justice militaire et du code de procédure pénale’ et ‘que le réquisitoire, qui se fonde en partie sur l'enquête de commandement, ne saurait être annulé » ; 
 

 Attendu qu’en se prononçant ainsi, la chambre de contrôle de l’instruction n’a pas méconnu les textes visés au moyen [dont l’article 6 § 1 de la Convention] ; 
 

 D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ; (…) 
 

 Attendu que, pour rejeter l’exception de nullité de la procédure soulevée aux motifs que, d’une part, le juge d’instruction n’aurait pas dû convoquer le demandeur comme témoin, ni entendre le caporal [J.] et le sergent-chef [B.] en cette qualité, car ils se trouvaient tous mis en accusation par l’enquête de commandement, et que, d’autre part, certaines énonciations de l’ordonnance de transmission de la procédure relatives à la durée de la détention subie par les inculpés étaient erronées et avaient été puisées dans des pièces de la procédure annulée, les juges relèvent, en premier lieu, qu’en l’état de l’information, à la date de sa convocation devant le juge d’instruction, le rôle de Paul Serves apparaissait encore mal défini et que c’est seulement en mai 1992, à la suite des nombreux témoignages recueillis et des déclarations [du lieutenant C.] mettant en cause Paul Serves, que le magistrat avait estimé qu’il existait des indices graves et concordants de culpabilité justifiant son inculpation ; 
 

 Qu’ils ajoutent que les auditions en qualité de témoins du caporal [J.] et du sergent-chef [B.] n’ont pu vicier la procédure dès lors qu’aucune inculpation n’a été prononcée contre ces militaires ; 
 

 Qu’enfin ils relèvent que les énonciations de l’ordonnance du juge d’instruction sur la détention provisoire ne résultent pas de renseignements puisés dans les pièces de procédure annulées mais sont empruntées à l’arrêt d’annulation et que Paul Serves ne saurait se prévaloir d’inexactitudes concernant la situation des autres inculpés ; 
 

 Qu’en l’état des énonciations, la chambre de contrôle de l’instruction a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen, lequel ne peut, dès lors, qu’être écarté ; (…) » 
 

d) La perte de grade et la radiation des cadres  
 

20.   Le 16 juin 1997, le directeur du personnel militaire de l’armée de terre rendit un « avis de constatation de perte de grade » ainsi libellé : 
 

 « Attendu que par jugement rendu le 11 mai 1994, le tribunal des forces armées (…) a condamné le chef de bataillon d’infanterie Serves Paul (…), actuellement affecté au centre d’instruction et de préparation militaire de Marseille, à la peine de quatre ans d’emprisonnement dont un an avec sursis pour complicité d’assassinat (…) 
 

 Attendu que le pourvoi formé (…) a été rejeté par (…) un arrêt du 29 avril 1997. 
 

 Attendu que le jugement rendu le 11 mai 1994 (…) est définitif à compter du 29 avril 1997. 
 

 Constate : 
 

 Article 1 : cette condamnation entraîne d’office : la perte de grade en application de l’article 389 du code de justice militaire ; la radiation des cadres en application de l’article 79 de la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972, modifiée, portant statut général des militaires. 
 

 La perte du grade et la radiation des cadres de l’armée active prennent effet à compter du 29 avril 1997, date à laquelle le jugement est devenu définitif. 
 

 Article 2 : l’intéressé est admis à faire valoir ses droits à pension de retraite dans les conditions fixées par le code des pensions civiles et militaires, notamment son article L. 25. (…) » 
 

 
 

GRIEFS 
 

21.   Le requérant souligne qu’il fut interrogé par le général Guignon les 22 et 23 mai 1988 alors qu’il était nommément visé par le réquisitoire introductif du 20 mai et qu’il n’avait pas encore comparu devant le juge d’instruction. L’utilisation dans le cadre de la procédure pénale des rapports de commandement des 24 mai et 1er juin, élaborés à la suite de ces interrogatoires (ils auraient servi de base à la reprise des poursuites après l’annulation du premier réquisitoire introductif), s’analyserait en une violation de son droit à être « aussitôt traduit devant un juge », lequel exclurait tout interrogatoire intermédiaire, en particulier par une autorité administrative non tenue au respect des droits de la défense. Il allègue à cet égard une méconnaissance de l’article 5 § 3 de la Convention. 
 

      Le requérant affirme aussi, sans plus de précision, que l’utilisation par le commissaire du Gouvernement des rapports de commandement des 25 mai et 1er juin qui reprendraient des déclarations faites quarante-huit heures avant son inculpation et donc avant qu’il eût reçu notification des chefs de celle-ci, s’analyserait en une violation de l’article 6 § 3 a) de la Convention. 
 

      Il soutient en outre qu’il n’était pas assisté d’un avocat lorsqu’il fut interrogé par le général Guignon les 22, 23 et 30 mai 1988 et en déduit que l’utilisation dans la procédure pénale des rapports de commandement des 24 mai et 1er juin 1988 résulte en une violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention. 
 

     Il plaide par ailleurs que la procédure pénale diligentée contre lui ne revêtit pas le caractère équitable voulu par l’article 6 § 1 de la Convention. 
 

      Il se plaint également du fait qu’il résulte de l’article 164 du code de justice militaire que, contrairement aux décision des chambres d’accusation de droit commun, celles de la chambre de contrôle de l’instruction ne peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation, leur régularité n’étant susceptibles d’être examinée qu’à l’occasion du pourvoi sur le fond. Il y voit un traitement discriminatoire des militaires poursuivis en vertu dudit code et une méconnaissance de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 14 de la Convention. 
 

     Il ajoute qu’en application de l’article 389 du code de justice militaire, sa condamnation pour crime a automatiquement entraîné la perte de son grade. Or l’article 132-17 du code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994, soit avant le jugement du tribunal des forces armées, stipulerait qu’aucune peine ne peut être appliquée si la juridiction ne l’a expressément prononcée. L’article 7 de la Convention aurait en conséquence été méconnu en ce qu’il impliquerait le principe de l’application immédiate de la peine nouvelle « plus douce ».  
 

      Il soutient enfin que la perte automatique de grade étant spécifique aux militaires, elle s’analyse aussi en une violation des articles 7 et 14 de la Convention combinés. 
 

 
 

EN DROIT 
 

A. Article 5 § 3 de la Convention 
 

22.   Le requérant souligne qu’il fut interrogé par le général Guignon les 22 et 23 mai 1988 alors qu’il était nommément visé par le réquisitoire introductif du 20 mai et qu’il n’avait pas encore comparu devant le juge d’instruction. L’utilisation dans le cadre de la procédure pénale des rapports de commandement des 24 mai et 1er juin, élaborés à la suite de ces interrogatoires (ils auraient servi de base à la reprise des poursuites après l’annulation du premier réquisitoire introductif), s’analyserait en une violation de son droit à être « aussitôt traduit devant un juge », lequel exclurait tout interrogatoire intermédiaire, en particulier par une autorité administrative non tenue au respect des droits de la défense. Il allègue à cet égard une méconnaissance de l’article 5 § 3 de la Convention, aux termes duquel : 
 

 « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. » 
 

     La Cour constate que le requérant a omis de soumettre à la Cour de cassation un moyen tiré de la méconnaissance de son droit à être « aussitôt traduit devant un juge ». Il s’ensuit qu’il n’a pas épuisé les voies de recours internes quant à ce grief, et que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.  
 

B. Article 6 §§ 1 et 3 de la Convention 
 

23.   Le requérant affirme aussi, sans plus de précision, que l’utilisation par le commissaire du Gouvernement des rapports de commandement des 25 mai et 1er juin qui reprendraient des déclarations faites quarante-huit heures avant son inculpation et donc avant qu’il eût reçu notification des chefs de celle-ci, s’analyserait en une violation de l’article 6 § 3 a) de la Convention qui dispose que :  
 

 « Tout accusé a droit notamment à (…) être informé, dans le plus court délai, (…) d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui. » 
 

     Il soutient en outre qu’il n’était pas assisté d’un avocat lorsqu’il fut interrogé par le général Guignon les 22, 23 et 30 mai 1988 et en déduit que l’utilisation dans la procédure pénale des rapports de commandement des 24 mai et 1er juin 1988 résulte en une violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention, lequel se lit ainsi : 
 

 « Tout accusé a droit notamment à (…) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix (…) » 
 

     Il plaide par ailleurs que la procédure pénale diligentée contre lui ne revêtit pas un caractère équitable ; il invoque l’article 6 § 1 de la Convention dont il ressort que : 
 

 « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) » 
 

 
 

      A cet égard, il se plaint en premier lieu du fait que, les 12, 19 et 26 septembre 1990, il fut assigné à comparaître comme témoin devant le juge d’instruction alors qu’il existait contre lui des indices graves et concordants de culpabilité, puisque l’enquête préliminaire et les messages des 19 et 20 mai 1988 n’étaient pas concernés par l’annulation du réquisitoire introductif du 20 mai 1988 et des actes de procédure ultérieurs, prononcée le 9 octobre 1989 par la première chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris ; il en résulterait une méconnaissance de son droit, en tant qu’ « accusé », de se taire. Deuxièmement, l’annexion des rapports de commandement des 25 mai et 1er juin 1988 au réquisitoire introductif du 13 mars 1990 constituerait un « contournement » illégal de l’annulation du réquisitoire. Troisièmement, le général Guignon aurait mené son enquête de commandement en franchise des règles de procédure pénale, notamment en interrogeant le requérant les 22 et 23 mai alors que celui-ci n’était pas encore inculpé et n’avait donc pas été informé de manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui, et le 30 mai, soit après l’inculpation, alors qu’il n’était pas assisté d’un avocat ; les rapports des 25 mai et 1er juin 1988 rédigés à l’issue de cette enquête constitueraient ainsi des pièces à charge obtenues en méconnaissance des règles de l’article 6 § 1 de sorte que leur jonction à la procédure vicierait l’équité de celle-ci. Quatrièmement, par son arrêt du 26 février 1994, la chambre d’accusation le renvoya devant le tribunal des forces armées non pour meurtre mais pour complicité d’assassinat, lui imputant ainsi la complicité d’un acte prémédité et plus sévèrement réprimé, alors même qu’il n’était pas présent sur les lieux du crime ; cette qualification ne pouvant être modifiée par les juges du fond, elle entacherait d’iniquité la procédure. 
 

24.   Quant à l’utilisation des rapports de commandements dans la procédure pénale, le Gouvernement soutient que le versement de documents administratifs à une telle procédure est licite en droit français, sous réserve du respect du principe du contradictoire. Il souligne en outre qu’il ressort de l’arrêt de la chambre d’accusation du 9 octobre 1989 que ces rapports furent versés au dossier à la demande de l’un des inculpés, dans le but de garantir un procès équitable aux militaires en cause, et que l’annulation prononcée par l’arrêt ne concernait pas ces pièces. 
 

      Le Gouvernement ajoute que, dans le cadre de l’enquête de commandement, le requérant n’était pas juridiquement tenu de répondre aux questions de ses supérieurs, lesquels n’avaient aucun pouvoir légal de coercition. D’autre part, les déclarations de l’intéressé devant le général Guignon n’auraient porté que sur ses responsabilités en tant que supérieur hiérarchique des militaires mis en cause et non sur sa participation à des faits de nature criminelle, et les rapports litigieux ne comporteraient aucune appréciation de la responsabilité pénale de l’intéressé. En tout état de cause, le versement de ces rapports à la procédure pénale n’eut pas d’incidence significative sur le déroulement de la procédure : le fait que le requérant n’était pas visé par le réquisitoire introductif du 19 mars 1990 et ne fut inculpé que plusieurs années après démontrerait qu’ils ne constituèrent pas le fondement de son inculpation et que celle-ci résultait des éléments recueillis au cours de l’information ; l’arrêt de mise en accusation du 28 février 1994 ferait référence à de nombreux éléments ainsi recueillis à l’exclusion des rapports ; le procès verbal retraçant le déroulement des débats devant le tribunal des forces armées ne ferait pas mention d’une quelconque exploitation de ces rapports et montrerait que le général Guignon fut entendu en tant que témoin de sorte que le requérant eut la possibilité de l’interroger. Enfin, le tribunal des force armées aurait fondé sa conviction sur l’ensemble des pièces recueillis au cours de l’instruction, ainsi que sur les témoignages discutés contradictoirement en audience devant lui, assurant ainsi au requérant un procès équitable. 
 

25.   La Cour rappelle que le paragraphe 3 de l’article 6 revêt le caractère d’application particulière du principe général énoncé au paragraphe 1 (voir, par exemple, l’arrêt Colozza c. Italie du 12 février 1985, série A n° 89, p. 14, § 26, ainsi que la décision du 2 mars 2000 dans l’affaire Beljanski c. France, requête n° 44070/98) : les divers droits qu’il énumère constituent des éléments parmi d’autres de la notion de procès équitable en matière pénale. Dans certains cas, les griefs tirés de l’article 6 § 3 se trouvent ainsi absorbés par celui tiré de l’article 6 § 1 et relatif à l’équité de la procédure. Elle rappelle ensuite que l’équité d’une procédure s’apprécie au regard de la globalité de celle-ci (voir, par exemple, mutatis mutandis, l’arrêt Berberà, Messegué et Jabardo c. Espagne du 6 décembre 1988, série A n° 146, p. 31, § 68 et l’arrêt Stanford c. Royaume-Uni du 23 février 1994, série A n° 282-A, p. 10, § 24, ainsi que la décision Beljanski précitée). Elle estime en conséquence que la question soulevée devant elle est celle de savoir si, considérée dans son ensemble, la procédure conduite contre le requérant a revêtu le caractère équitable voulu par l’article 6 § 1. 
 

     La Cour observe en premier lieu que l’allégation du requérant selon laquelle son « droit de se taire » a été méconnu par les juridictions d’instruction est essentiellement la même que celle examinée dans le cadre de la requête n° 20225/92, qui a donné lieu à l’arrêt du 20 octobre 1997 (arrêt Serves c. France, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, p. 2159). L’article 35 § 2 b) fait en conséquence obstacle à ce que la Cour la prenne présentement en considération. 
 

     Quant aux griefs du requérant tirés de l’usage dans la procédure pénale litigieuse des rapports de commandement des 25 mai et 1er juin, la Cour rappelle que la Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel, qu’il s’agisse de leur admissibilité ou de leur appréciation, et qu’il revient aux juridictions internes d'apprécier les éléments obtenus par elles et la pertinence de ceux dont une partie souhaite la production (voir notamment l’arrêt Mantovanelli c. France du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 436, § 34, ainsi que l’arrêt Garcia Ruiz c. Espagne du 21 janvier 1999, à paraître dans le Recueil 1999, § 28). Il n’en reste pas moins qu’en matière pénale, l’usage, par l’accusation, d’éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’accusé, contrevient au droit de ce dernier de ne pas contribuer à sa propre incrimination et enfreint l’article 6 de la Convention (voir, notamment, l’arrêt Saunders c. Royaume-Uni, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, pp. 2064-2065, §§ 68-69). 
 

     En l’espèce, la Cour constate que les rapports dont il est question sont le fruit d’une enquête de commandement menée par un haut gradé de l’armée sur les mêmes faits que ceux dont le juge répressif fut ensuite saisi. Ils contiennent un exposé des faits, lequel repose pour beaucoup sur les réponses données par les protagonistes de l’affaire aux questions de leur supérieur. Elle estime vraisemblable la thèse du requérant selon laquelle il ne lui était pas possible de refuser de répondre aux questions qui lui étaient posées : s’il ne ressort pas expressément des textes auxquels se réfère le Gouvernement dans ses observations qu’un militaire interrogé dans le cadre d’une enquête de commandement se trouve obligé de répondre aux questions posées sous peines de sanctions, l’on ne saurait ignorer le fait qu’il se trouve ainsi dans la position d’un subordonné questionné par son supérieure hiérarchique dans un contexte disciplinaire. Autrement dit, les interrogatoires menés par le général Guignon tirent leur caractère coercitif de l’autorité hiérarchique de ce dernier et du fait qu’ils s’inscrivaient dans le cadre d’une procédure disciplinaire susceptible d’aboutir à de lourdes sanctions. Au demeurant, il ne ressort pas des rapports de commandement litigieux que le requérant eut ou prit la liberté de ne pas répondre aux questions qui lui étaient posées. 
 

     La Cour relève en outre que, si les rapports ne se prononcent pas sur la responsabilité pénale du requérant, ils concluent catégoriquement à sa responsabilité « disciplinaire ». Il est donc peu douteux que leur jonction à la procédure pénale vint en renfort de la thèse de l’accusation, d’autant moins que la qualité de leur auteur leur conférait une indéniable autorité. 
 

     Cela ne suffit toutefois pas à la Cour pour conclure à une méconnaissance de l’article 6 de la Convention : ce qui importe, c’est l’utilisation qui fut faite, au cours du procès pénal, des dépositions ainsi recueillies (arrêt Saunders précité, p. 2065, § 71). Or il ne transparaît pas de l’arrêt de la première chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris du 28 février 1994 que la mise en accusation du requérant reposa notablement sur les déclarations qu’il fit dans le cadre de l’enquête de commandement ; on y lit au contraire que la chambre fonda l’accusation sur les faits tels qu’ils furent établis au cours de l’instruction,  notamment par le biais de l’audition de nombreux témoins. Par ailleurs, aucune pièce du dossier n’établit que, devant le tribunal des forces armées de Paris, le ministère public usa des rapports de commandement litigieux au cours des débats nonobstant une objection du requérant, ou qu’il y fit référence dans ses réquisitoires. En outre, il ressort du procès verbal des débats que le tribunal entendit contradictoirement de nombreux témoins, de sorte qu’en tout état de cause, les rapports ne furent pas les seuls éléments soumis à son appréciation. La Cour relève d’ailleurs que parmi ces témoins figurait le général Guignon et que le requérant ne prétend pas ne pas avoir été en mesure d’interroger celui-ci ou d’exprimer son point de vue sur le contenu et les conclusions de ses rapports. 
 

     Enfin, la Cour ne voit aucun élément de nature à affecter l’équité de la procédure dans la circonstance que, bien qu’inculpé d’assassinat (le 6 mai 1992), le requérant fut ensuite mis en accusation (le 28 février 1994) du chef de complicité d'assassinat puis condamné en tant que complice. Elle constate en particulier que le requérant ne fut pas privé de la possibilité d’organiser sa défense au regard de cette qualification (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Pélissier et Sassi du 25 mars 1999, §§ 52 et suivants), l’audience de jugement ayant eu lieu les 10 et 11 mai 1994, soit près de deux mois et demi après le prononcé de l’arrêt de mise en accusation.  
 

     En conclusion, la Cour ne relève aucun manquement à l’article 6 de la Convention. Cette partie de la requête est donc manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. 
 

C. Articles 6 § 1 et 14 de la Convention combinés  
 

26.   Le requérant se plaint également du fait qu’il résulte de l’article 164 du code de justice militaire que, contrairement aux décisions des chambres d’accusation, celles de la chambre de contrôle de l’instruction ne peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation, leur régularité n’étant susceptible d’être examinée qu’à l’occasion du pourvoi sur le fond. Il y voit un traitement discriminatoire des militaires poursuivis en vertu de ce code et une méconnaissance de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 14 de la Convention aux termes duquel : 
 

 « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. » 
 

     La Cour observe que les poursuites à raison d’infractions commises par des membres des forces armées relèvent du code du justice militaire et non du code de procédure pénale et obéissent à des règles procédurales qui diffèrent sur certains points de celles du droit commun. Ainsi, le contrôle de l’instruction est assuré par des chambres spéciales des tribunaux aux armées (article 11 et suivants du code de justice militaire) et non par les chambres d’accusation des cours d’appel et, aux termes de l’article 164 du code de justice militaire, les décisions des premières, contrairement à celles des secondes, ne sont en principe pas susceptibles de pourvoi en cassation.  
 

     Elle constate toutefois que le même article 164 précise que la régularité des décisions des chambres de contrôle de l’instruction peut être examinée à l’occasion d’un pourvoi sur le fond. Il en résulte que les membres des forces armées qui font l’objet d’une procédure pénale ont néanmoins la faculté de se pourvoir en cassation contre les décisions de la juridictions d’instruction du second degré ; ils jouissent en conséquence à cet égard d’un traitement en substance identique à celui des personnes poursuivies selon les modalités du droit commun. La circonstance dont le requérant fait état ne saurait donc soulever une question sur le terrain de l’article 14 de la Convention.  
 

     Partant, cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. 
 

D. Article 7 de la Convention pris isolément et combiné avec l’article 14 
 

27.   Le requérant se dit aussi victime d’une violation de l’article 7 de la Convention, lequel se lit comme suit : 
 

 « 1.  Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. 
 

 2.  Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droits reconnus par les nations civilisées. » 
 

     Il se plaint à cet égard du fait qu’en application de l’article 389 du code de justice militaire, sa condamnation pour crime a automatiquement entraîné la perte de son grade. Or l’article 132-17 du code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994, soit avant le jugement du tribunal des forces armées, dispose qu’aucune peine ne peut être appliquée si la juridiction ne l’a expressément prononcée. L’article 7 de la Convention aurait été méconnu en ce qu’il impliquerait le principe de l’application immédiate de la peine nouvelle « plus douce ». 
 

     Le requérant ajoute que la perte automatique de grade étant spécifique aux militaires, elle s’analyse aussi en une violation des articles 7 et 14 de la Convention combinés. 
 

     La Cour observe qu’il ressort du dossier qu’en tout état de cause, le requérant n’a pas soumis ces griefs aux juridictions nationales. Il s’en suit qu’il n’a pas épuisé les voies de recours internes et que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.  
 

 
 

 Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité, 
 

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE. 
 
 
 
 
 

      S. Dollé W. Fuhrmann

      Greffière Président