TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 43604/98
présentée par Camille GANTZER
contre la France
La Cour
européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre
le 5 octobre 1999 en présence de
M. L. Loucaides, président,
M. J.-P. Costa,
M. P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
Mme H.S. Greve,
M. K. Traja,
M. M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé,
greffière de section ;
Vu l’article 34
de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés
fondamentales ;
Vu la requête
introduite le 21 juillet 1998 par Camille Gantzer contre la France et
enregistrée le 25 septembre 1998 sous le n° de dossier 43604/98 ;
Vu les rapports
prévus à l’article 49 du règlement de la Cour ;
Vu les
observations présentées par le gouvernement défendeur le 25 mai 1999 et les
observations en réponse présentées par le requérant le 16 juillet 1999 ;
Après en avoir
délibéré ;
Rend la décision
suivante :
EN FAIT
Le requérant est
un ressortissant français, né en 1918 et résidant à Paris. Il est représenté
devant la Cour par Maître Jean-Claude Fourgoux, avocat au barreau de Paris.
A. Circonstances
particulières de l’affaire
Les faits de la
cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme
suit.
Le requérant,
actuellement en retraite, exploitait un établissement d’enseignement privé à
Paris. Au cours de l’année 1983, la 23e brigade de la première Direction des
vérifications de la région de l’Île-de-France procéda à une vérification
approfondie de sa situation fiscale, à l’issue de laquelle lui ont été notifiés
deux redressements en matière d’impôt sur le revenu, les 5 décembre 1983 et 18
mai 1994.
En particulier,
au titre des années 1979, 1980, 1981 et 1982, le requérant a été assujetti à un
supplément d’impôt sur le revenu d’un montant total de 852 370 FRF. A cette
somme se sont ajoutés 334 396 FRF, correspondant à la majoration de 50% pour
mauvaise foi prévue par l’ancien article 1729 du code général des impôts,
appliquée aux seuls redressements consécutifs à des omissions de recettes. Les
autres redressements ont été assortis des intérêts majorés prévus à l’article
1728 du même code, pour un montant de 30 861 FRF (voir « Droit interne
pertinent »).
Le 12 août 1985,
le requérant adressa une réclamation à l’administration fiscale contestant ces
redressements. Sa réclamation fut rejetée le 15 décembre 1986.
Le 7 février
1987, le requérant saisit le tribunal administratif de Paris d’une demande
tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu
auxquelles il avait été assujetti au titre des années 1979 à 1982.
Le 21 mars 1989,
le tribunal rejeta cette demande.
Le 18 juillet
1989, le requérant demanda à la cour administrative d’appel de Paris d’annuler
le jugement du tribunal administratif et de lui accorder la décharge sollicitée.
Il invoqua, en particulier, plusieurs arguments tenant à la prétendue
irrégularité du contrôle fiscal diligenté à son encontre, ainsi que plusieurs
moyens relatifs au fait que sa comptabilité avait été regardée à tort comme non
probante, et au caractère erroné de la méthode de rectification d’office des
bases d’impositions qui lui avaient été appliquées.
Par arrêt du 28
mars 1991, la cour d’appel rejeta la demande du requérant.
Le 29 mai 1991,
le requérant saisit le Conseil d’État. Son recours fut rejeté par arrêt du 2
février 1998, notifié le 18 février 1998.
B. Droit interne
pertinent
Code général des
impôts
Ancien article 1728
« Lorsqu’une personne
physique ou morale ou une association tenue de souscrire une déclaration ou un
acte contenant l’indication de bases ou éléments à retenir pour l’assiette, la
liquidation ou le paiement de l’un des impôts (...) établis ou recouvrés par la
direction générale des impôts déclare ou fait apparaître une base ou des
éléments d’imposition insuffisants, inexacts ou incomplets (...), le montant des
droits éludés est majoré (...) d’un intérêt de retard. »
Ancien article 1729
« (...) lorsque la bonne foi du redevable ne peut être admise, les droits correspondant aux infractions définies à l’article 1728 sont majorés de :
- 30% si le montant des droits n’excède pas la moitié du montant des droits réellement dus ;
- 50% si le montant des droits est supérieur à la moitié des droits réellement dus ;
-100% quelle que soit
l’importance de ces droits, si le redevable s’est rendu coupable de manœuvres
frauduleuses. »
GRIEFS
1. Invoquant l’article
6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint que sa cause n’a pas été entendue
équitablement. Il déplore le fait que des sanctions pénales lui furent infligées
dans le cadre d’une procédure administrative. Il affirme qu’il aurait eu plus de
chances d’être relaxé par la juridiction pénale s’il avait été poursuivi pour
fraude fiscale en bénéficiant des garanties du Code de procédure pénale, car il
aurait pu faire la preuve de l’absence de caractère intentionnel du comportement
qui lui était reproché.
2. Invoquant la même
disposition, le requérant se plaint en outre de la durée de la procédure.
PROCÉDURE
La requête a été
introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 21 juillet
1998 et enregistrée le 25 septembre 1998.
En vertu de
l’article 5 § 2 du Protocole n° 11, entré en vigueur le 1er novembre
1998, l’affaire est examinée par la Cour européenne des Droits de l’Homme à
partir de cette date.
Le 2 mars 1999,
la Cour a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement
défendeur, en l’invitant à présenter par écrit ses observations sur la
recevabilité et le bien-fondé de la requête.
Le Gouvernement a
présenté ses observations le 25 mai 1999, et le requérant y a répondu le 16
juillet 1999.
EN DROIT
Le requérant se
plaint de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable devant les juridictions
administratives quant aux cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu
auxquelles le fisc l’a assujetti. Il se plaint en outre de la durée de la
procédure.
Le requérant
invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes sont
ainsi libellées :
« Toute personne a
droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) dans un délai
raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera, soit des contestations sur ses
droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation
en matière pénale dirigée contre elle. »
Le Gouvernement
affirme, à titre principal, que l’article 6 de la Convention ne s’applique pas
en l’espèce, s’agissant d’une procédure de taxation fiscale. En particulier, le
Gouvernement souligne que la notification d’un supplément d’impôt résulte
simplement de l’application du principe d’assujettissement des contribuables à
cet impôt, lequel n’a aucune vocation répressive, mais se justifie par la
nécessité de financer les dépenses de la collectivité. Le Gouvernement considère
qu’il n’est donc pas possible de suivre le requérant lorsqu’il estime que le
contentieux administratif de l’impôt revêt un caractère pénal au sens de
l’article 6 de la Convention, alors que, par ailleurs, il existe en droit pénal
français une procédure spécifique de poursuites en cas de fraude à l’impôt, dont
le but est précisément de sanctionner ceux qui ont tenté de se soustraire
frauduleusement à son paiement - ce dont il n’est pas question dans le cas
d’espèce. Le Gouvernement souligne que, contrairement à ce qu’il en est en
matière pénale, l’office du juge de l’impôt est de se prononcer sur le
bien-fondé de l’imposition litigieuse et non sur la culpabilité éventuelle d’un
contribuable poursuivi pour fraude fiscale. La dimension pénale fait donc défaut
dans un litige comme celui-ci, dans lequel la contestation est circonscrite au
principal de l’impôt.
Selon le
Gouvernement, le requérant n’a pas été poursuivi pour fraude fiscale devant le
juge administratif. L’administration fiscale n’a donc pas exercé un « droit
d’option » qui lui aurait été défavorable, et n’a pris nullement position sur
l’opportunité d’éventuelles poursuite pénales.
Par ailleurs, le
Gouvernement ne conteste pas que, outre le supplément d’impôt sur le revenu
réclamé au requérant, l’administration fiscale a mis deux types de majorations à
sa charge, à savoir, d’une part, des pénalités pour mauvaise foi et, d’autre
part, des intérêts de retard majorés. Cependant, le Gouvernement relève que la
question du bien-fondé desdites majorations n’a jamais été débattue devant le
juge national, le requérant n’ayant à aucun moment contesté le grief de mauvaise
foi retenu contre lui pour demander la conversion des pénalités pour mauvaise
foi en intérêts de retard.
A titre subsidiaire, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour pour ce qui concerne le bien-fondé du grief tiré de la durée de la procédure.
Le requérant
affirme que sa requête atteint d’autant moins « l’imperium » de l’État qu’il ne
contestait pas l’impôt dans son principe que les méthodes et la procédure de
redressement suivie en l’espèce et les conséquences qui en découlent. Selon lui,
le Gouvernement ne saurait prétendre qu’il n’aurait déféré à la censure des
juridictions françaises que les bases d’imposition retenues par l’administration
et non les sanctions dont il avait fait l’objet. Si les juridictions avaient
fait droit à sa demande, il n’aurait pas seulement obtenu le dégrèvement des
impôts redressés mais également des pénalités y afférentes.
La Cour rappelle
la jurisprudence constante des organes de la Convention selon laquelle l’article
6 § 1 n’est pas applicable, en principe, au titre de la notion « droits et
obligations de caractère civil », à la procédure de caractère fiscal, même si
les mesures fiscales en cause ont entraîné des répercussions sur les droits
patrimoniaux (voir Bendenoun c. France, rapport Comm. du 10 décembre 1992, § 58,
Cour eur. D. H., série A n° 284, p. 27 ; Vidacar S.A et Opergrup S.L. c.
Espagne, nos 41601/98 et 41775/98, décisions du 20 avril 1999
[Section 4], à paraître dans le Recueil des Arrêts et Décisions 1999).
Il est vrai que
des majorations d’impôt avaient été infligées au requérant en plus des
impositions fiscales, à titre de pénalités pour mauvaise foi, de sorte que
l’article 6 de la Convention aurait pu trouver application à la procédure pour
autant qu’elle concerne ces pénalités (arrêt Bendenoun c. France, précité,
p. 20, § 47).
Toutefois, la
Cour constate que, comme le montre l’argumentation développée par le requérant
devant les juridictions administratives, celui-ci a contesté exclusivement le
montant du supplément d’impôt mis à sa charge, et s’est attaché à démontrer que
l’administration fiscale avait commis une erreur dans ces calculs. Le débat
contentieux n’a donc pas porté sur les pénalités accessoires.
La Cour en
conclut que la procédure litigieuse n’était relative qu’aux impositions fiscales
proprement dites.
Il s'ensuit que
la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la
Convention et doit être rejetée, en application de son article 35 §§ 3 et 4.
Par ces motifs,
la Cour, à l’unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE
IRRECEVABLE.
S. Dollé L.
Loucaides
Greffière Président
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