QUATRIÈME SECTION 
 
 

AFFAIRE PEROTE PELLON c. ESPAGNE 
 
 

(Requête n° 45238/99) 
 
 

ARRÊT 
 
 

STRASBOURG 
 

25 juillet 2002 
 
 
 

DÉFINITIF 
 

25/10/2002 
 
 
 
 
 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
 

  En l'affaire Perote Pellon c. Espagne,

  La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

      MM. G. Ress, président
  A. Pastor Ridruejo, 
  L. Caflisch, 
  I. Cabral Barreto, 
  V. Butkevych, 
 Mme N. Vajić, 
 M. M. Pellonpää, juges
et de M. V. Berger, greffier de section,

  Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 janvier et 4 juillet 2002,

  Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

 
PROCÉDURE

  1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 45238/99) dirigée contre le Royaume d'Espagne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Juan Alberto Perote Pellon (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 décembre 1998 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

  2.  Le requérant est représenté devant la Cour par Me J. Santaella López, avocat à Madrid. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. J. Borrego Borrego, chef du service juridique des droits de l'homme du ministère de la Justice.

  3.  Le requérant alléguait en particulier que sa cause n'avait pas été examinée par un tribunal indépendant et impartial, dans la mesure où deux juges, dont le président et le rapporteur, de la chambre du tribunal militaire central qui avait examiné le fond de l'affaire et l'avait condamné, faisaient également partie du collège du même tribunal qui avait rejeté l'appel contre l'ordonnance d'inculpation. Ils avaient aussi fait partie du collège qui avait décidé de proroger la détention provisoire du requérant et de celui qui avait rejeté le recours de súplica contre cette décision.

  4.  La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

  5.  Par une décision du 3 mai 2001, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.

  6.  Le 5 juillet 2001, le Gouvernement a informé la Cour qu'un règlement amiable n'était pas envisageable dans la présente affaire.

  7.  Les parties n'ont pas déposé d'observations écrites sur le fond de l'affaire. Le 5 juillet 2001, le requérant a présenté ses propositions concernant la satisfaction équitable. Le 19 février 2002, le Gouvernement a soumis ses commentaires à cet égard.

  8.  Le 30 janvier 2002, la chambre a décidé, après consultation des parties, qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l'affaire (article 59 § 2 in fine du règlement).

  9.  Le 1er novembre 2001 la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du Règlement). La présente requête a cependant continué à être examinée par la chambre de l'ancienne section IV, telle qu'elle existait avant cette date.

 
EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

  10.  Le requérant est un ressortissant espagnol, né en 1938 et résidant à Madrid. Il était, au moment des faits, officier de l'armée de terre en situation de réserve, avec le grade de colonel. Il fut nommé chef d'une section (agrupación operativa) au Centre supérieur d'information de la défense, (ci-après, « CESID »), entre 1983 et jusqu'au 26 novembre 1991, date à laquelle le requérant fut relevé de ses fonctions.

  11.  Le 17 juin 1995, le directeur général du CESID porta plainte contre le requérant devant le juge militaire central d'instruction n° 2 (juez togado militar central) près le tribunal militaire central de Madrid (tribunal militar central) pour révélation de secrets ou d'informations relatifs à la sécurité ou à la défense nationales. Le dossier fut transmis au juge militaire central d'instruction n° 1.

  12.  Par une ordonnance du 17 juin 1995, le juge militaire central d'instruction n° 1 ouvrit une instruction (procédure n° 01/02/95) et ordonna l'arrestation du requérant. Le 18 juin 1995, il fut arrêté à son domicile par la garde civile et traduit ensuite devant le juge militaire central d'instruction n° 1. Le même jour, le requérant fit sa déposition, assisté par son avocat, et fut conduit à la prison militaire d'Alcalá de Henares.

  13.  Par une ordonnance (auto de procesamiento) du 21 juin 1995, le juge militaire central d'instruction n° 1 inculpa le requérant du délit de révélation de secrets ou d'informations relatifs à la sécurité ou à la défense nationales prévu par l'article 53 § 1 du code pénal militaire, et le plaça en détention provisoire à la prison militaire d'Alcalá de Henares.

  14.  Le 26 juin 1995, le requérant fit appel de cette ordonnance.

  15.  Par une décision du 12 juillet 1995, un collège de trois juges du tribunal militaire central infirma partiellement l'ordonnance d'inculpation en ce que le délit imputé concernait non la diffusion des secrets en cause, mais le fait de s'être approprié des informations légalement « classifiées » et relatives à la sécurité ou à la défense nationales, et la confirma pour le surplus. Le tribunal militaire central était constitué par son président, S.G. (auditor presidente general consejero togado), et R.G. et L.M. (vocales togados generales auditores). Le collège constata l'existence d'indices « puissants » et raisonnables de ce que le requérant avait participé activement à l'obtention non autorisée d'informations « classifiées », dont la nature et le contenu affectaient « de façon très grave », sur la base d'« abondants et vigoureux » éléments de preuve, la sécurité ou la défense nationales. Il considéra que des indices nombreux et non équivoques indiquaient que le requérant avait participé aux faits décrits et, que non seulement ils justifiaient son inculpation, mais l'exigeaient. En outre, le collège prit soin d'insister sur le caractère provisoire de l'ordonnance d'inculpation, précisant qu'il revenait à la juridiction de jugement d'apprécier les preuves présentées et de décider de la culpabilité de l'inculpé. Il s'exprima dans les termes suivants :

 « L'attitude contraire au droit, la culpabilité et l'imputabilité, sortent des attributions du juge instructeur qui, autrement, changerait sa fonction d'instruction pour celle, propre et exclusive, de la juridiction de jugement, enlevant les compétences à cette dernière pour ce qui est de l'interprétation des éléments fondamentaux constitutifs du délit, sur lequel seule cette juridiction de jugement pourra se prononcer, après l'administration des preuves durant le procès et avec les garanties de la publicité, de la proximité, des débats oraux et du respect du principe du contradictoire. Bref, la question de savoir si le fait punissable a été accompli de façon intentionnelle, par négligence ou par imprudence, n'est pas du ressort du juge instructeur. »

  16.  Le 15 juillet 1995, le juge militaire central d'instruction n° 1 décida, à la demande du requérant, de modifier sa situation de détention provisoire inconditionnelle en une détention provisoire « atténuée », c'est-à-dire à son domicile.

  17.  Le 29 septembre 1995, la détention à domicile du requérant fut toutefois remplacée par une détention provisoire inconditionnelle en prison en raison, entre autres, du « trouble » social (alarma social) créé et du fait que le requérant avait conservé certains documents dont il s'était servi de façon illicite.

  18.  Le requérant fit appel. Par une décision du 10 novembre 1995, le collège du tribunal militaire central, constitué par R.V., président, et R.G. et L.M., confirma la décision attaquée, vu les faits imputés au requérant et la peine prévue par la loi pour ces faits, précisant que la décision du 15 juillet 1995 adoptée par le juge a quo, qui avait placé le requérant en détention provisoire à son domicile, n'était pas conforme à la loi.

  19.  Le requérant saisit alors le Tribunal constitutionnel d'un recours d'amparo, qui fut rejeté par une décision du 26 juin 1996, malgré l'avis favorable à la recevabilité du recours présenté par le ministère public.

  20.  Le 27 février 1996, le requérant demanda au juge militaire central d'instruction n° 1 que certains moyens de preuve fussent administrés, ce qui fut refusé par une décision du 12 mars 1996. Le recours de queja présenté par le requérant fut écarté par une décision du 26 avril 1996 du collège du tribunal militaire central, composé, entre autres, de R.V. et R.G.

  21.  Le 17 juin 1996, le ministère public militaire demanda, sans indiquer de motifs, que la détention provisoire du requérant fût prorogée. Par une décision du 24 juin 1996, le collège du tribunal militaire central composé, entre autres, de son président, R.V., et de R.G., accorda la prorogation de la détention provisoire du requérant, estimant que la période de détention accomplie à son domicile n'entrait pas en ligne de compte dans le calcul de la longueur maximum de détention provisoire d'un an, prévue par le code de procédure militaire. La décision tenait compte, entre autres, de l'existence d'indices de culpabilité « solides » et raisonnables pour un grave délit consistant, pour celui qui en était le gardien en raison de sa fonction, à s'approprier l'information relative à la sécurité ou à la défense nationales, d'un danger de fuite, d'un risque que le prévenu profite de sa liberté pour détruire des preuves ou rendre plus difficile le déroulement de la procédure, de la gravité de la peine susceptible d'être infligée et de la position d'officier supérieur qu'il occupait.

  22.  Le 27 juin 1996, le requérant présenta un recours de súplica, qui fut rejeté par une décision du 9 juillet 1996 du collège du tribunal militaire central, aussi composé, entre autres, de R.V., président, et de R.G..

  23.  Le 19 décembre 1996, le requérant sollicita à nouveau sa remise en liberté. Par une décision du 14 janvier 1997, le collège du tribunal militaire central, encore et toujours composé, entre autres, de R.V. et de R.G., rejeta sa demande.

  24.  Le requérant saisit alors le Tribunal constitutionnel d'un recours d'amparo. Par un arrêt du 17 mars 1997, la haute juridiction octroya l'amparo, précisant que le requérant était resté indûment en prison, au moins depuis le 21 juin 1996, et déclara nulles les décisions des 24 juin et 9 juillet 1996 rendues par le tribunal a quo. Par une décision du tribunal militaire central du 19 mars 1997, le requérant fut remis en liberté. Il demanda ensuite une indemnisation pour détention illégale auprès du ministère de la Justice qui, à ce jour, n'a pas rendu de décision définitive.

  25.  Le 7 mai 1997, le requérant demanda la récusation de R.V. et R.G., aux motifs – prévus par l'article 53 §§ 3 et 11 du code de procédure militaire – qu'ils avaient eu accès au dossier d'instruction et avaient adopté des décisions telles que celles relatives à l'appel de l'ordonnance d'inculpation et à sa détention provisoire, et qu'ils avaient été dénoncés par lui comme auteurs d'un délit. Le requérant cita l'arrêt Castillo Algar c. Espagne du 28 octobre 1998 (Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII). Cette demande fut rejetée par une décision du 22 mai 1997 du collège (composé différemment) du tribunal militaire central, précisant que le motif de récusation basé sur l'existence d'une plainte contre les récusés devait être écarté, la plainte en cause ayant été rejetée in limine comme ne portant pas sur des faits susceptibles de constituer un délit ou une contravention, le motif étant donc mal fondé. Par ailleurs, aux yeux du collège, le rejet de l'appel contre l'ordonnance d'inculpation et les décisions du tribunal militaire central concernant les recours contre des décisions du juge a quo, ne pouvaient être considérés comme des mesures d'instruction susceptibles de porter atteinte à l'impartialité objective de la chambre qui devait statuer sur le fond de l'affaire.

  26.  Le 9 juin 1997 commencèrent les débats oraux. Ce même jour, le requérant donna procuration pour, entre autres, présenter une plainte pénale contre les deux magistrats militaires en cause, en raison « d'une éventuelle détention illégale ».

  27.  Par un arrêt du 9 juillet 1997, une chambre du tribunal militaire central constituée par son président (auditor presidente general consejero togado), R.V., deux magistrats militaires (vocales togados generales auditores), dont R.G., rapporteur, et deux autres membres (vocales militares generales de Brigada del cuerpo general de las armas del ejército de tierra), condamna le requérant à une peine de sept ans de prison pour délit de révélation de secrets ou d'informations relatifs à la sécurité ou à la défense nationales sous la forme d'« appropriation d'informations légalement « classifiées » relatives à la sécurité ou à la défense nationales », délit prévu par l'article 53 § 1 du code pénal militaire, avec la circonstance aggravante d'être détenteur du secret ou de l'information en raison de ses fonctions, prévue par l'article 54 § 1 du même code. Il fut par ailleurs révoqué des forces armées.

  28.  Le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt du 30 mars 1998, le Tribunal suprême confirma l'arrêt attaqué.

  29.  En ce qui concerne le motif portant sur le rejet de la demande en récusation des juges faisant partie de la juridiction de jugement ayant décidé, entre autres, sur l'appel de l'ordonnance d'inculpation, le Tribunal suprême estima que le rejet de l'appel du requérant par le collège du tribunal militaire central ne pouvait être considéré comme une intervention dans l'instruction de son affaire, le collège n'ayant pas rendu l'ordonnance d'inculpation. Le simple rejet d'un appel ne pouvait, dès lors, être considéré comme une mesure d'instruction susceptible de porter atteinte à l'impartialité objective de la chambre qui avait statué sur le fond de l'affaire.

  30.  Le requérant saisit le Tribunal constitutionnel d'un recours d'amparo contre les arrêts précités, invoquant, entre autres, une atteinte au droit à un tribunal indépendant et impartial. Par une décision du 29 juin 1998, notifiée le 2 juillet 1998, la haute juridiction rejeta le recours comme étant dépourvu de fondement constitutionnel et se référa pour l'essentiel aux arguments du Tribunal suprême.

  31.  Le requérant est en liberté provisoire depuis le 15 avril 1999, après avoir accompli les trois quarts de sa peine.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

  32.  Au sujet des ordonnances d'inculpation (auto de procesamiento) et des appels interjetés contre celles-ci, la loi organique n° 2/1989 du 13 avril 1989 sur les procédures pénales militaires dispose :

Article 164

 « Lorsque des indices raisonnables de culpabilité existent contre une ou plusieurs personnes déterminées, le juge d'instruction prononce l'inculpation (...)

 L'inculpation est prononcée par une ordonnance (auto), dans laquelle il sera fait mention des faits punissables imputés à l'inculpé, du délit présumé constitué par ceux-ci (...) et des dispositions légales [y afférentes] (...), et ensuite de l'inculpation ainsi que des mesures de liberté ou de détention provisoire applicables à l'inculpé (...) »

Article 165

 « (...) L'inculpé et les autres parties pourront former contre l'ordonnance d'inculpation (...) un appel, non suspensif, dans les cinq jours suivant la notification [de l'ordonnance] (...) »

Article 263

 « (...) s'il est fait droit à l'appel contre l'ordonnance d'inculpation (...), il est ordonné la constitution d'un dossier séparé (...) et la délivrance d'une attestation exhaustive de l'ordonnance entreprise, ainsi que de tous les éléments que le juge estimera nécessaire de verser au dossier, ou qui auront été mentionnés dans le mémoire introductif d'appel. »

 
EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

  33.  Le requérant se plaint d'un manque d'impartialité du tribunal militaire central qui examina le fond de l'affaire et le condamna. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, se lit comme suit :

 « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

A.  Arguments des parties

1.  Le requérant

  34.  Le requérant reconnaît que, dans l'ordre juridique interne espagnol, l'ordonnance de mise en accusation est une décision provisoire de culpabilité, distincte de l'acte d'inculpation proprement dit. En l'espèce, toutefois, R.G., rapporteur dans le cadre de l'appel contre l'ordonnance d'inculpation, ne s'est pas limité à rejeter sans plus cet appel. Il l'a modifié substantiellement au point de le transformer en un nouvel acte émanant de sa propre autorité : face à l'affirmation du magistrat instructeur selon laquelle le requérant était à l'origine de la révélation des informations publiées dans la presse, le rapporteur estima à sa juste valeur le recours déposé par la défense et exonéra le requérant de la responsabilité correspondante ; mais il poursuivit la procédure au motif d'une appropriation d'informations légalement « classifiées », non prévue par l'ordonnance d'inculpation initiale. En d'autres termes, le rapporteur qui, depuis le début de l'enquête, a agi en réalité comme un véritable magistrat instructeur, a fait ultérieurement partie du tribunal chargé de prendre une décision sur le fond. Le requérant estime, au vu de la jurisprudence (arrêts du Tribunal constitutionnel 55/90, du 28 mars 1990 et 136/92, du 13 octobre 1992, entre autres, et Castillo Algar c. Espagne, du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, implicitement confirmé par la décision rendue dans l'affaire Garrido Guerrero c. Espagne, n° 43715/98, CEDH 2000-III), qu'il y a manquement à l'impartialité lorsque le rapporteur confirme l'ordonnance d'inculpation et que l'auteur du rapport rédige également la décision de condamnation.

  35.  Le requérant insiste, par ailleurs, sur ce que l'ordonnance du 12 juillet 1995 est un jugement de culpabilité, même s'il est provisoire. Il note que cette ordonnance considère qu'un certain nombre d'éléments échappent à l'appréciation du magistrat instructeur, précisément parce qu'ils sont de la « compétence exclusive du tribunal chargé de prononcer le jugement », c'est-à-dire du tribunal dont devait faire partie R.G., rapporteur qui, auparavant, avait pris cette décision provisoire de culpabilité. Le requérant rappelle que les garanties citées par le représentant du gouvernement espagnol relatives à la procédure orale – publicité, proximité, caractère contradictoire des débats – n'ont pas été respectées puisque le procès a eu lieu à huis clos, par une décision du tribunal dont faisait partie R.G. en sa qualité de rapporteur.

  36.  Au sujet de la participation du président et du rapporteur pour décider de proroger la détention provisoire du requérant, décision qui a été ultérieurement annulée par le Tribunal constitutionnel, le requérant précise que la décision en cause a été, contrairement aux dires du Gouvernement, arbitraire et non fondée. Par ailleurs, la plainte contre sa détention illégale à l'encontre de R.V. et R.G., entre autres, a été présentée le 18 juin 1996, étant entendu que le délai maximum d'un an de détention provisoire avait expiré la veille, c'est-à-dire le 17 juin 1996. Malgré cela, la détention provisoire a été prorogée. En outre, s'il est vrai que la plainte déposée en juin 1996 avait été déclarée irrecevable par le Tribunal suprême, la décision du Tribunal constitutionnel du 17 mars 1997 permettait de rouvrir le dossier. Or, à l'occasion de l'ouverture des débats oraux, R.V. et R.G. ont eu connaissance de l'éventualité que la plainte classée soit déclarée à nouveau recevable et, par voie de conséquence, de la possibilité de voir engagée leur responsabilité dans le cadre d'une procédure d'indemnisation ; malgré cela – ou, de l'avis du requérant, peut-être même pour cette raison –, ils ont accepté de faire partie du tribunal chargé de prendre la décision. Le requérant estime qu'il est, en effet, difficile d'attendre une décision impartiale de celui qui, raisonnablement, peut avoir quelque motif de craindre la personne qu'il doit traduire en justice et qui lui réclame une indemnisation au titre de la violation de son droit fondamental à la liberté.

  37.  Par ailleurs, le requérant souligne que dans les décisions prises par R.V. et R.G. avant les débats oraux, ces derniers notent que le serment prêté par le requérant de ne pas fuir l'action de la justice « est en flagrante contradiction avec la vérité provisoire des faits qui ont été à la base de l'ordonnance d'inculpation rendue par le juge militaire central d'instruction n° 1, et confirmée par cette chambre pour affirmer l'existence d'indices rationnels de criminalité constitutifs d'une infraction grave, à savoir s'être procuré une information relative à la sécurité ou à la défense nationales » ; ou encore « que de l'ensemble du dossier d'instruction, il résulte un fondement raisonnable de nature à justifier une mise en accusation, laquelle s'est traduite jusqu'à présent par l'ordonnance d'inculpation et de détention provisoire confirmées par ce tribunal ». En d'autres termes, le requérant estime que, pour R.V. et R.G., sa parole n'avait aucune valeur pendant la phase d'instruction.

  38.  En ce qui concerne sa réclamation tendant à obtenir une indemnisation pour la période indûment passée en prison, le requérant rappelle que R.V. et R.G. connaissaient parfaitement sa volonté de leur réclamer des dommages-intérêts. Contre la résolution de rejet prise par le ministre de la Justice sur la base de la condamnation postérieure, un recours contentieux-administratif a été déposé devant l'Audiencia Nacional ; ce qui confirme l'intérêt qu'avaient R.V. et R.G. à voir condamner le requérant pour écarter ainsi tout risque de devoir verser ultérieurement une indemnisation pour l'erreur qu'ils avaient commise en décidant de proroger la détention provisoire.

2.  Le Gouvernement

  39.  Le Gouvernement insiste sur la nature de l'ordonnance d'inculpation, qui « constitue uniquement une décision judiciaire d'imputation formelle et provisoire, qui devra faire l'objet d'un débat contradictoire et d'une décision ultérieure, n'impliquant pas la culpabilité de l'inculpé ni même engageant la responsabilité des organes judiciaires, étant donné que tant le juge instructeur que [la juridiction de jugement] peuvent laisser sans effet l'inculpation, si les indices qui déterminèrent la prise d'une telle décision disparaissent ».

  40.  Le Gouvernement se réfère à la décision du 12 juillet 1995 du collège du tribunal militaire central constitué de S.G., R.G. et L.M., qui infirma partiellement l'ordonnance d'inculpation, et dont le texte est reproduit ci-dessus (paragraphe 15).

  41.  Concernant la prorogation de la détention provisoire du requérant accordée le 24 juin 1996 par le collège du tribunal militaire central, le Gouvernement insiste sur le fait que la décision de prorogation ne constitua pas une décision mal fondée ou entachée d'arbitraire. Il précise aussi que la plainte pour détention illégale présentée par le requérant contre les membres du collège ayant décidé de prolonger sa détention, était antérieure à la décision du collège de proroger la détention en cause. Par ailleurs, il note, que, dans la mesure où le Tribunal constitutionnel déclara nulle la prorogation de la détention provisoire du requérant, ce dernier ne peut plus se plaindre devant la Cour de cette prorogation, dans la mesure où cette question est déjà résolue en droit interne.

  42.  Le Gouvernement souligne enfin que l'allégation du requérant selon laquelle les juges avaient un intérêt direct à sa condamnation, afin d'éviter ainsi de payer des indemnisations qui pouvaient être accordées au requérant pour détention illégale, est absurde, dans la mesure où il ne réclama une telle indemnisation qu'en mars 1998, à savoir plus de huit mois après l'arrêt de condamnation.

B.  Appréciation de la Cour

1.  Principes généraux

  43.  La Cour rappelle qu'aux fins de l'article 6 § 1, l'impartialité doit s'apprécier selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction et le comportement personnels de tel juge en telle occasion, et aussi selon une démarche objective amenant à s'assurer qu'il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir, entre autres, les arrêts Hauschildt c. Danemark du 24 mai 1989, série A n° 154, p. 21, § 46, et Thomann c. Suisse du 10 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 815, § 30).

  44.  En ce qui concerne la première démarche, la Cour n'a relevé aucun élément susceptible de mettre en doute l'impartialité personnelle des juges concernés. Les allégations du requérant relatives à l'intérêt des juges réputés partiels à conclure à sa condamnation, afin d'éviter une éventuelle obligation de versement d'indemnisation pour détention illégale, ne sauraient être prises en compte.

  45.  Quant à la seconde démarche, on est amené à se demander si, indépendamment de la conduite du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l'impartialité de ce dernier. En la matière même les apparences peuvent revêtir de l'importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d'une société démocratique se doivent d'inspirer au justiciable. Il en résulte que pour se prononcer sur l'existence, dans une affaire donnée, d'une raison légitime de redouter d'un juge un défaut d'impartialité, l'optique de l'accusé entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L'élément déterminant consiste à savoir si l'on peut considérer les appréhensions de l'intéressé comme objectivement justifiées (voir l'arrêt Ferrantelli et Santangelo c. Italie du 7 août 1996, Recueil 1996-III, pp. 951-952, § 58).

2.  Application en l'espèces des principes susmentionnés

  46.  La Cour note qu'en l'occurrence la crainte d'un manque d'impartialité tient du fait que deux des juges ayant siégé dans la juridiction de jugement, à savoir le président et le rapporteur, faisaient également partie du collège du même tribunal qui confirma en appel l'inculpation (paragraphe 18 ci-dessus). Ces deux juges firent aussi partie du collège qui décida la prorogation de la détention provisoire du requérant, et de celui qui rejeta le recours de súplica contre cette décision.

  47.  Pareille situation peut susciter chez le prévenu des doutes sur l'impartialité des juges. Cependant, la réponse à la question de savoir si l'on peut considérer ces doutes comme objectivement justifiés varie suivant les circonstances de la cause ; le simple fait qu'un juge ait déjà pris des décisions avant le procès ne peut donc, en soi, justifier des appréhensions quant à son impartialité (arrêt Hauschildt précité, p. 22, § 50).

  48.  A cet égard, la Cour observe que, selon l'ordonnance d'inculpation rendue par le juge militaire central d'instruction le 21 juin 1995, il y avait contre le requérant un commencement de preuve que l'intéressé avait participé à un délit de révélations de secrets ou d'informations relatifs à la sécurité ou à la défense nationales au sens de l'article 53 § 1 du code pénal militaire. Le requérant fut en conséquence placé en détention provisoire à la prison militaire d'Alcalá de Henares.

  En appel, le collège de trois juges du tribunal militaire central infirma partiellement cette ordonnance d'inculpation le 12 juillet 1995 (paragraphe 15 ci-dessus), modifiant le contenu de l'inculpation. Il constata l'existence d'indices « puissants » et raisonnables de ce que le requérant avait participé activement à l'obtention non autorisée d'informations « classifiées », dont la nature et le contenu affectaient « de façon très grave », sur la base d'« abondants et vigoureux » éléments de preuve, la sécurité ou la défense nationales. Il considéra que des indices nombreux et non équivoques indiquaient que le requérant avait participé aux faits décrits et que non seulement ils justifiaient son inculpation, mais l'exigeaient.

  49.  Dans son mémoire, le Gouvernement insiste sur la nature de l'ordonnance d'inculpation provisoire, qui devra faire l'objet d'un débat contradictoire et d'une décision ultérieure, n'impliquant pas la culpabilité de l'inculpé ni n'engageant la responsabilité des organes judiciaires, étant donné que tant le juge instructeur que la juridiction de jugement peuvent laisser sans effet l'inculpation, si les indices qui déterminèrent la prise d'une telle décision disparaissent. Il se réfère au texte même de la décision du 12 juillet 1995 du collège du tribunal militaire central reproduit ci-dessus (paragraphe 15).

  50.  La Cour relève que le collège prit soin d'insister sur le caractère provisoire de l'ordonnance d'inculpation, précisant qu'il revenait à la juridiction de jugement d'apprécier les preuves présentées et de décider de la culpabilité de l'inculpé. Mais elle estime que les termes employés par le collège qui statua sur l'appel de l'ordonnance d'inculpation, lequel comprenait notamment R.G., ainsi que, entre autres, ceux de la décision du 10 novembre 1995 adoptée par un collège dont R.G. et R.V. faisaient partie (paragraphe 18 ci-dessus), et qui appréciait la nécessité de maintenir le requérant en prison ferme en raison de la gravité des faits pour lesquels il avait été inculpé et de la peine susceptible de lui être infligée, pouvaient facilement donner à penser qu'il existait des indices suffisants pour permettre de conclure qu'un délit avait été commis. La Cour note en outre que R.G. et R.V. sont intervenus à plusieurs reprises au sein du collège et ont rendu des décisions défavorables aux intérêts du requérant.

  La Cour relève ensuite que R.G. et R.V. siégèrent ensuite respectivement – ce dernier comme président – dans la chambre du tribunal militaire qui, le 24 juin 1996, prorogea la détention provisoire du requérant tenant compte, entre autres, de l'existence d'indices de culpabilité « solides » et raisonnables, pour un grave délit consistant, pour celui qui en était le gardien en raison de sa fonction, à s'approprier l'information relative à la sécurité ou à la défense nationales, d'un danger de fuite, d'un risque que le prévenu profite de sa liberté pour détruire des preuves ou rendre plus difficile le déroulement de la procédure, de la gravité de la peine susceptible d'être infligée et de la position d'officier supérieur qu'il occupait (paragraphe 21 ci-dessus). La Cour constitutionnelle déclara nulles, le 17 mars 1997, cette décision et celle rendue en súplica, aussi prononcée par le même collège du tribunal militaire central composé, entre autres, par R.V. et R.G., qui la confirmait.

  La Cour note enfin que, par un arrêt du 9 juillet 1997, une chambre du tribunal militaire central, constituée, entre autres, par R.V., président, et R.G., rapporteur, reconnut le requérant coupable et le condamna à une peine de sept ans de prison.

  51.  La Cour estime en conséquence que, dans les circonstances de la cause, l'impartialité de la juridiction de jugement pouvait susciter des doutes sérieux dans la mesure où tant son président que son juge-rapporteur étaient intervenus dans de nombreux actes d'instruction dont, en particulier, le rejet de l'appel contre l'ordonnance d'inculpation prononcée à l'encontre du requérant et les décisions prorogeant sa détention provisoire ferme. Elle estime que les craintes du requérant à cet égard pouvaient passer pour objectivement justifiées (arrêt Castillo Algar c. Espagne du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII).

  52.  Par conséquent, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

  53.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

 « Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

  54.  Le requérant réclame un montant total de 13 284 367 PTS, soit 79 843,53 EUR en réparation du dommage matériel, qui se décompose de la façon suivante :

  –  le fait d'avoir été suspendu de ses fonctions pendant six mois a entraîné une perte financière de 1 369 870 PTS, soit 8 233,38 EUR ;

  –  le fait d'avoir été contraint de se mettre à la retraite, à partir du 30 mars 1998, date de sa condamnation définitive, alors qu'il était en situation administrative de réserve, a créé un manque à gagner de 7 164 497 PTS, soit 43 061,05 EUR ;

  –  le fait d'avoir été privé de liberté depuis le 30 septembre 1995 a empêché le renouvellement de son contrat annuel avec la société R., ce qui a entraîné une perte de revenus de 4 250 000 PTS, soit 25 543,94 EUR ;

  –  les frais de transport de son épouse et de ses enfants à la prison militaire d'Alcalá de Henares, située à environ 30 kilomètres du domicile familial, s'élèvent à 500 000 PTS, soit 3 005,17 EUR.

  55.  Le requérant réclame 118 846 790 PTS, soit 714 309,36 EUR en réparation du dommage moral subi du fait de la procédure entamée à son encontre, qui se décomposent de la façon suivante :

  –  en raison de la privation de liberté subie, le requérant applique un montant de 4 000 PTS, soit 24,04 EUR par jour, soit un total de 96 866 790 PTS, soit 582 202,13 EUR pour la prison inconditionnelle, et de 1 980 000 PTS, soit 11 900,47 EUR pour les 11 mois de privation de liberté au troisième degré ;

  –  en raison de la campagne de diffamation et du fait d'avoir été accusé de traître contre l'Etat à conséquence d'une condamnation par un tribunal qualifié de partiel par cette Cour, le requérant réclame 20 000 000 PTS, soit 120 206,76 EUR.

  56.  Le Gouvernement soutient que l'on ne saurait spéculer sur le résultat de la procédure si une atteinte à l'article 6 de la Convention n'avait pas eu lieu. Quant au préjudice moral, il estime que la constatation de violation suffit.

  57.  La Cour rappelle sa jurisprudence bien établie selon laquelle le principe à la base de la satisfaction équitable pour la violation de l'article 6 § 1 de la Convention est qu'il faut placer le requérant, le plus possible, dans une situation équivalant à celle dans laquelle il se trouverait s'il n'y avait pas eu manquement aux exigences de l'article 6 (arrêt Piersack c. Belgique (article 50) du 26 octobre 1984, série A n° 85, § 12). La Cour sera en mesure d'octroyer de sommes au titre de la satisfaction équitable prévue par l'article 41 lorsque la perte ou les dommages réclamés ont été causés par la violation constatée, l'Etat n'étant pas en effet censé verser des sommes pour les dommages qui ne lui sont pas imputables.

  58.  En l'espèce, la Cour a constaté une violation de l'article 6 § 1 de la Convention, dans la mesure où le tribunal militaire central manqua d'impartialité objective. Cette constatation n'implique pas nécessairement que la condamnation du requérant ait été mal fondée, d'autant plus que les autres griefs du requérant portant sur l'article 6 § 1 de la Convention ont été déclarés irrecevables le 10 février 2000.

  59.  Conformément à sa pratique constante dans les affaires civiles et pénales, et concernant la violation de l'article 6 § 1 en raison du manque objectif ou structurel d'indépendance et d'impartialité, la Cour ne considère pas approprié d'octroyer une compensation au requérant pour les pertes alléguées. En effet, la Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure aurait abouti sans le manquement aux exigences de la Convention (arrêt Hauschildt, précité, § 57). Aucun lien de causalité ne se trouve donc établi entre la violation constatée et le dommage matériel allégué.

  60.  Dans la mesure où le requérant demande l'octroi d'une satisfaction équitable en raison de la privation de liberté subie, la Cour fait remarquer qu'elle n'a pas constaté que la privation de liberté en question soit constitutive d'une violation de la Convention. En conséquence, aucune satisfaction équitable ne saurait être accordée à ce titre.

  61.  La Cour conclut que le constat de violation figurant dans le présent arrêt fournit par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour tout préjudice moral dans les circonstances du litige (voir, entre autres, les arrêts De Haan c. Pays-Bas du 26 août 1997, Recueil 1997-IV, §§ 59-60, et Hood  
c. Royaume-Uni du 18 février 1999, Recueil 1999-I, §§ 84-86).

B.  Frais et dépens

  62.  Au titre des frais de justice encourus dans la procédure interne et devant la Cour, le requérant réclame une somme totale de 15 570 000 PTS, soit 109 336,10 EUR, répartis en 1 371 341 PTS, soit 8 242,22 EUR pour les honoraires de son avoué, 13 250 000 PTS, soit 79 636,98 EUR pour les honoraires de son avocat dans la procédure interne, dont 3 250 000 PTS, soit 19 533,60 EUR pour les quatre recours d'amparo présentés, et 1 250 000 PTS, soit 7 512,92 EUR pour les honoraires de son avocat devant la Cour, tous ces chiffres, sauf ceux correspondant aux honoraires de l'avoué, étant majorés de 16 % au titre de la taxe sur la valeur ajoutée.

  63.  Le Gouvernement trouve cette somme excessive et s'en remet à la sagesse de la Cour.

  64.  La Cour rappelle que, conformément à sa jurisprudence, seuls les frais réellement et nécessairement engagés, et d'un montant raisonnable, peuvent être remboursés (voir, par exemple, l'arrêt McCann et autres c. Royaume-Uni du 27 septembre 1995, série A n° 324, § 220).

  65.  La Cour relève que le montant réclamé par le requérant à ce titre paraît, de prime abord, excessif.

  66.  La Cour observe qu'elle a déjà accordé des sommes réclamées au titre d'honoraires d'avocat devant le Tribunal constitutionnel espagnol (voir, par exemple, les arrêts Hiro Balani c. Espagne du 9 décembre 1994, série A n° 303-B, p. 31, §§ 32-33, Castillo Algar c. Espagne du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3118, §§ 53, 54 et 57, et García Manibardo c. Espagne, n° 38695/97, CEDH 2000-II). Elle octroie aussi les sommes réclamées au titre d'honoraires devant la Cour si elles lui semblent raisonnables et justifiées.

  67.  A cet égard la Cour relève que le montant réclamé à titre d'honoraires d'avocat inclut les honoraires relatifs à la procédure interne dans sa globalité, et que seulement une partie de ce montant correspond au seul recours d'amparo qui avait pour objet la réparation de la violation constatée par la Cour dans la présente affaire. S'agissant de la procédure devant la Cour, elle note que seule une partie de la requête a été déclarée recevable.

  68.  Par conséquent, la Cour, statuant en équité, et tenant compte de sa pratique, octroie au requérant la somme de 10 500 EUR au titre des frais et dépens, augmentée de toute taxe éventuelle sur la valeur ajoutée.

C.  Intérêts moratoires

  69.  La Cour considère que le taux annuel des intérêts moratoires doit être calqué sur celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne augmenté de trois points de pourcentage.

 
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,

1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

 

2.  Dit

   a)  que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

b)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 10 500 EUR (dix mille cinq cent euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ;

c)  que ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux annuel équivalant au taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne augmenté de trois points de pourcentage à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ; 
 

3.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

  Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 juillet 2002 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 
 
      Vincent Berger Georg Ress 
 Greffier Président