QUATRIÈME SECTION 
 
 

AFFAIRE SCHAAL c. LUXEMBOURG 
 
 

(Requête no 51773/99) 
 
 

ARRÊT 
 
 

STRASBOURG 
 
 

18 février 2003 
 
 
 

DÉFINITIF 
 

18/05/2003 
 
 
 
 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 
 

  

  En l’affaire Schaal c. Luxembourg,

  La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

      Sir Nicolas Bratza, président
 Mmes E. Palm, 
  V. Strážnická, 
 MM. M. Fischbach, 
  J. Casadevall, 
  R. Maruste, 
  L. Garlicki, juges
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,

  Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 janvier 2003,

  Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

 
PROCÉDURE

  1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 51773/99) dirigée contre le Grand-Duché de Luxembourg et dont un ressortissant de cet Etat, Daniel Schaal (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 août 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

  2.  Le requérant est représenté devant la Cour par Me D. Spielmann qui est assisté par Me R. Grasso, avocats à Luxembourg. Le gouvernement luxembourgeois (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Me A. Bodry, avocat à Luxembourg.

  3.  Le requérant se plaignait, d’une part, de la durée déraisonnable de la procédure pénale engagée contre lui et, d’autre part, d’une atteinte à son droit à la vie familiale dans la mesure où les poursuites pénales avaient justifié un refus de lui accorder un droit de visite et d’hébergement de son enfant jusqu’au moment où il fut acquitté.

  4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

  5.  Par une décision du 29 mars 2001, la chambre a déclaré la requête recevable.

  6.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

  7.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

 
EN FAIT

  8.  Le requérant est né en 1956 et réside à Mersch (Luxembourg).

  9.  Le requérant s’est marié le 21 septembre 1984 avec R. Un enfant naquit de leur union en 1986. Le 25 octobre 1993, le requérant demanda le divorce.

  10.  Le 7 janvier 1994, le requérant se vit transmettre par l’intermédiaire de son avocat un certificat du Dr R.- H., duquel il ressortit que « pour des raisons psychologiques importantes, il est hautement préférable que l’enfant C. ne fréquente plus son père pour une durée indéterminée ».

  11.  Le 19 janvier 1994, R. déposa plainte contre le requérant, l’accusant d’avoir abusé sexuellement de leur fille. R. motiva sa plainte par un changement de comportement constaté par elle sur sa fille qui, après un week-end passé auprès de son père en novembre 1993, aurait manifesté à son égard une attitude agressive et distante. Ce comportement de l’enfant se serait par la suite répété et même accentué à chaque retour de week-end passé en compagnie de son père.

  12.  Le 11 février 1994, le juge d’instruction de Luxembourg inculpa le requérant de faits de viol par ascendant et attentat à la pudeur avec violences et menaces.

  13.  Le 13 juillet 1994, le tribunal d’arrondissement de Diekirch prononça le divorce aux torts de l’épouse du requérant. Il confia à cette dernière la garde de C. et sursit à statuer quant à l’éventuel octroi d’un droit de visite et/ou d’hébergement au bénéfice du requérant.

  14.  Entre-temps, les parents du requérant avaient demandé, le 8 juillet 1994, un droit de visite et d’hébergement à leur profit. Par ordonnance du 19 juillet 1994, le juge des référés de Diekirch déclara la demande irrecevable, se fondant notamment sur le fait que le requérant habitait à proximité du domicile de ses parents et les fréquentait régulièrement. Les grands-parents de l’enfant n’interjetèrent pas appel de cette ordonnance.

  15.  Par courrier du 28 juillet 1994, le requérant s’adressa au juge d’instruction « dans l’espoir d’accélérer l’affaire », en affirmant entre autres qu’« il y a des témoins que l’enfant est influencé par sa mère contre moi ».

  16.  Le 6 octobre 1994, le juge d’instruction ordonna au Dr H., de l’Université de la Sarre, d’entendre l’enfant en vue d’établir un rapport psychologique sur sa crédibilité. Le 29 novembre 1994, le Dr H. déposa son rapport daté du 26 novembre 1994 au dossier de l’instruction. Il concluait à la crédibilité des dépositions faites par C. à propos des faits reprochés au requérant.

  17.  Sur demande du requérant, le juge désigna, par ordonnance du 3 novembre 1994, comme contre-expert le Dr S. Ce dernier déclina cependant la mission lui confiée, en raison d’un conflit d’intérêt, de sorte que le 21 novembre 1994, un autre spécialiste fut nommé en remplacement. Dans la mesure où ce dernier déclina sa compétence, le Dr R. fut nommé, le 19 décembre 1994, et il rendit son rapport une année plus tard. Dans la mesure où il ne remplît cependant pas la mission telle qu’elle lui avait été confiée, le juge d’instruction nomma le Dr V. en remplacement, par ordonnance du 22 décembre 1995. Le 19 janvier 1996, le juge écrivit à l’avocat du requérant que « toutes les tentatives de trouver un contre-expert ont échoué » et lui demanda de proposer un nouveau nom. Ainsi, le Pr F., de Munich, fut nommé le 29 janvier 1996, sur proposition du requérant. Le 21 mars 1996, celui-ci déposa un rapport d’expertise au dossier de l’instruction. Dans ce rapport daté du 8 mars 1996, le Pr F. arrivait à la conclusion que le rapport du Dr H. du 26 novembre 1994 ne remplissait pas les critères scientifiques.

  18.  Le 18 septembre 1996, l’avocat du requérant invita le Procureur d’Etat à lui faire connaître les suites qu’il entendait réserver au dossier d’instruction, exposant que son client était « traumatisé du fait que le droit de visite lui [avait] été enlevé ».

  19.  En date respectivement des 5 décembre 1996 et 15 janvier 1997, le juge d’instruction procéda à l’audition de témoins ainsi qu’à l’interrogatoire du requérant.

  20.  Le 27 mars 1997, la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg renvoya le requérant devant la chambre criminelle de ce tribunal, conformément au réquisitoire du parquet et au rapport du juge d’instruction datés du 24 février 1997.

  21.  Le 13 mai 1997, l’avocat du requérant envoya une lettre au parquet en prévision de « l’affaire fixée à la première semaine de décembre 1997 ». En réponse, le procureur lui demanda, le 22 octobre, combien de témoins il comptait convoquer, pour pouvoir réserver définitivement le temps nécessaire à l’affaire.

  22.  Le requérant ne fut pas cité aux audiences de la première semaine de décembre 1997 et ces dernières n’eurent finalement pas lieu.

  23.  En date du 29 décembre 1997, le parquet fut informé qu’un administrateur ad hoc venait d’être nommé en vue de représenter la mineure dans le dossier pénal ouvert à l’encontre de son père. Par courrier du 13 février 1998, le Procureur écrivit à l’administrateur ad hoc qu’à son avis, la mineure supportera seule tout le poids de la preuve lors d’une instruction à l’audience et se renseigna sur l’état de santé de l’enfant. Le 23 mars 1998, l’administrateur lui répondit qu’elle allait avoir une entrevue avec la mineure pendant les congés de Pâques, soit endéans un bref délai, afin d’évaluer sa personnalité.

  24.  Les 8 juin, 12 juin et 25 août 1999, l’avocat du requérant invita le Procureur d’Etat à lui faire connaître les suites qu’il entendait réserver aux poursuites engagées contre le requérant, constatant que le dossier était « resté en friche pendant une période de plus de deux ans » et rappelant le droit à être jugé dans un délai raisonnable garanti par l’article 6 de la Convention. En réponse, le parquet lui proposa en date du 17 septembre 1999 une entrevue « pour discuter de ce dossier ». L’avocat du requérant lui répondit cependant en date du 30 septembre 1999 qu’il ne voyait pas « l’opportunité de discuter de ce dossier, alors que la Cour européenne des Droits de l’Homme vient d’être saisie de l’affaire ».

  25.  La chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg tint des audiences les 13 et 14 mars 2000. Le 4 avril 2000, elle acquitta le requérant estimant les infractions non établies. Elle retint notamment que l’enquêteur dans l’affaire déclarait qu’au cours de l’enquête il s’était rendu compte que le concubin de l’ex-épouse du requérant avait parlé à l’enfant au sujet des attouchements sexuels ; l’enquêteur était encore formel pour dire que l’enfant C. ne présentait aucun signe permettant d’affirmer qu’elle aurait souffert. En outre, les juges relatèrent les indications données par deux médecins qui avaient été consultés en vain par l’ex-épouse du requérant en janvier 1994 en vue de la délivrance d’un certificat médical concernant l’enfant C. : selon l’un de ces témoins, il n’y avait pas le moindre indice de prendre au sérieux les allégations de la mère de C. consistant à dire que le requérant avait sexuellement abusé de sa fille ; l’autre médecin déclarait même qu’il avait la nette impression que la mère n’était venue le voir que dans le seul but de se faire délivrer un certificat attestant que le requérant avait abusé de l’enfant. Les juges soulignèrent aussi que la maîtresse d’école de la mineure avait témoigné que l’élève n’avait aucun comportement particulier et donnait l’impression de tenir beaucoup à son père ; ce dernier semblait manquer à l’enfant. Finalement, la chambre criminelle retint que, sur question posée lors de l’audience si son père avait commis des attouchements sexuels sur elle, l’enfant C. avait répondu par la négative.

  26.  Par conclusions notifiées le 8 novembre 2000, le mandataire du requérant sollicita un droit de visite et d’hébergement en faveur de sa fille. Par jugement du 10 janvier 2001, le tribunal d’arrondissement de Diekirch accorda le droit en question au requérant. Les juges fournirent encore les précisions suivantes :

 « à la lecture du jugement rendu par la chambre criminelle, il ressort des dépositions des experts entendus que R. n’a consulté les médecins-experts que dans le seul but de se faire délivrer un certificat attestant que le père avait abusé de son enfant et aux fins de nuire au père.

 Les imputations initialement formulées par C. à l’encontre de son père n’étant documentées par aucun élément objectif et ne sont que le fruit d’une manipulation psychologique à l’origine de laquelle se trouvent la mère, son concubin G. et les proches de la famille maternelle. Les très graves reproches formulés par la mère par pur esprit de méchanceté dénotent qu’elle a failli à son devoir d’éducation car il incombe à celui qui se voit confier la garde d’un enfant commun de susciter et d’entretenir auprès de l’enfant une image positive du parent qui n’en a pas la garde.

 La mère, se laissant emporter par son caractère vindicatif, le tribunal est amené à se demander si C. peut encore entretenir une relation de confiance avec elle qui l’a délibérément mise sous pression pour obtenir une rupture radicale d’avec son père et qui risque d’avoir des conséquences néfastes pour l’évolution future de C. tant sur le plan relationnel qu’affectif.

 Au cas où la fille connaîtra des problèmes de reprise de contact avec son père, le tribunal ne peut que recommander au père de se faire assister par un psychologue ou toute autre personne qualifiée aux fins de faciliter la reprise de contact père-fille et aux fins de rétablir un climat d’affection et de confiance entre lui et C. alors que les deux ne se sont plus vus depuis 7 ans. »

  27.  Par jugement du 9 juillet 2002, la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement condamna R. à une amende de 1 000 EUR pour non-représentation d’enfant. Les juges retinrent en effet qu’en violation du jugement du 10 janvier 2001, R. n’avait pas représenté l’enfant C. au requérant qui le réclamait. Le requérant indique que ce jugement fut frappé d’appel et qu’une audience aura lieu devant la cour d’appel en date du 7 février 2003.

  28.  Dans un réquisitoire daté au 10 décembre 2002, le parquet indiqua, entre autres, ce qui suit :

 « (...) aucun contact n’a eu lieu entre père et fille depuis 7 ans et celle-ci refuse d’accompagner son père dans les circonstances actuelles. Cette situation est malsaine pour la jeune fille de sorte qu’il y a lieu de convoquer les parties intéressées à une audience aux fins de les concilier et de déterminer un droit de visite et d’hébergement conforme aux intérêts de C. »

  Ainsi, le requérant fut convoqué, le 18 décembre 2002, à l’audience du 31 janvier 2003 du tribunal de la jeunesse et des tutelles.

 
EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

  29.  Le requérant se plaint de ce que sa cause n’a pas été entendue dans un « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention qui dispose que :

 « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

  Ainsi, le requérant se plaint de la durée de la procédure pénale qui a débuté le 11 février 1994 et qui s’est terminée le 4 avril 2000 par un jugement d’acquittement. Elle a donc duré presque six ans et deux mois pour une seule instance.

  30.  Le Gouvernement réplique que la requête est non fondée. Il souligne que le fait qu’une enfant mineure se trouvait au centre de la procédure, en qualité de victime et de témoin principal, imposait aux autorités nationales de procéder avec prudence et circonspection, d’où la nomination d’un administrateur ad hoc. Il insiste encore sur la complexité de l’affaire, et sur le fait que plusieurs témoins devaient être entendus ainsi que des expertises et contre-expertises effectuées. Il en conclut qu’aucun retard n’est imputable aux autorités nationales.

  31.  Le requérant insiste sur le fait que, le renvoi de l’affaire ayant été ordonné en mars 1997, le jugement d’acquittement n’intervint qu’en avril 2000, soit près de six ans après le dépôt de la plainte. Il souligne encore que, pour des raisons propres au parquet, l’affaire ne fut pas portée aux audiences fixées à la première semaine de décembre 1997. Il estime finalement que rien ne justifiait un délai supplémentaire de deux ans pour la fixation de l’affaire à partir de la nomination de l’administrateur ad hoc, l’attitude de ce dernier ayant en effet été pour le moins passive durant les débats en mars 2000.

  32.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], arrêt du 17 mars 1999, no 25444/94, § 62, CEDH 1999-II).

  33.  La Cour estime que la période à prendre en considération pour apprécier la durée de la procédure au regard de l’exigence du « délai raisonnable » posée par l’article 6 § 1 a commencé avec l’inculpation du requérant en date du 11 février 1994. Elle s’est terminée le 4 avril 2000, jour du prononcé du jugement qui acquitta le requérant. La procédure pénale a donc duré plus de 6 ans.

  34.  Pareil laps de temps semble a priori trop long pour une seule instance.

  35.  La Cour se doit de constater qu’à partir du jugement du 13 juillet 1994 prononçant le divorce entre le requérant et son épouse, la question du droit de visite et/ou d’hébergement au bénéfice du requérant était suspendue. La Cour estime dès lors que l’article 6 § 1 de la Convention faisait obligation aux juges pénaux d’agir avec une diligence exceptionnelle pour garantir un déroulement rapide de la procédure, au vu de l’importance du litige pour le requérant (Johansen c. Norvège – Rec. 1996-III, fasc. 13 (7.8.96)).

  36.  La Cour note qu’une première période d’inactivité de plus de 8 mois, imputable aux autorités nationales, s’est écoulée entre le dépôt du rapport d’expertise du Pr F. et l’audition de témoins par le juge d’instruction.

  37.  Il ressort encore du dossier qu’à la suite de l’ordonnance de renvoi de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement du 27 mars 1997, l’affaire fut fixée à la première semaine de décembre 1997. Le requérant ne fut cependant pas cité à comparaître et les audiences ainsi prévues n’eurent finalement pas lieu. Force est de constater que le Gouvernement ne fournit aucune justification concrète à cet égard ; il se borne en effet d’indiquer que l’affaire fut reportée « dans le seul intérêt de l’enfant mineure ».

  38.  Ensuite, il apparaît qu’à la suite de la lettre du 23 mars 1998 adressée par l’administrateur ad hoc au parquet, l’affaire ne fut plaidée qu’en date des 13 et 14 mars 2000. A ce sujet, la Cour estime que le fait que le parquet ait – suite à trois courriers de relance de la part de l’avocat du requérant – proposé à ce dernier une entrevue « pour discuter du dossier » est non relevant au regard de l’appréciation du délai raisonnable.

  39.  La Cour note que le Gouvernement reste en défaut de fournir des indications sur la complexité alléguée de l’affaire. Elle relève en outre que le Gouvernement n’a pas davantage montré en quoi cette complexité a pu justifier les périodes d’inactivités relatées ci-dessous. Par ailleurs, on ne saurait imputer aucun retard particulier au requérant.

  40.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

  41.  Le requérant estime qu’il y a eu violation de l’article 8 § 1 de la Convention, qui dispose ce qui suit :

 « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. »

  Il estime que le refus du droit de visite et d’hébergement opposé par les autorités jusqu’à la preuve de son innocence porte atteinte à son droit à une vie familiale au sens de l’article 8 § 1 de la Convention.

  42.  Le Gouvernement est d’avis qu’il n’y a pas eu atteinte au droit à la vie familiale du requérant garanti par l’article 8 § 1 de la Convention. Il estime que l’affirmation du requérant selon laquelle, aussi longtemps que celui-ci n’est pas innocenté, le droit de développer une relation familiale normale avec son enfant C. lui est refusé, reste en état de pure allégation.

  43.  La Cour estime qu’il y a lieu de distinguer deux périodes : une première se situe entre le jugement prononçant le sursis à statuer et le jugement d’acquittement du requérant ; la deuxième période se situe au-delà du jugement d’acquittement.

 
 

A.  Première période à prendre en considération pour analyser la question du droit au respect de la vie familiale du requérant : entre le jugement du 13 juillet 1994 et celui du 4 avril 2000

  44.  La Cour rappelle que « pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale et que des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l’article 8 » (voir, entre autres, McMichael c. Royaume-Uni, arrêt du 24 février 1995, série A no 307-B, p. 55, § 86).

  45.  Il ne saurait prêter à confusion que le fait de surseoir à statuer quant à l’éventuel octroi d’un droit de visite constitue une ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie familiale.

  46.  La « nécessité » de pareille ingérence doit s’apprécier « à la lumière des circonstances prévalant à l’époque où les décisions ont été prises ». Le refus provisoire du droit de visite ne peut se justifier que s’il s’inspire « d’une exigence primordiale touchant à l’intérêt supérieur de l’enfant » (arrêt Johansen précité, § 79).

  47.  En l’espèce, force est de constater que le requérant fut inculpé de viol et d’attentat à la pudeur sur la personne de sa fille. Ainsi, en attendant l’issue de la procédure pénale, l’intérêt de la mineure légitimait la suspension du droit de visite et justifiait ainsi l’ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie familiale. L’ingérence était donc, jusqu’au résultat de la procédure pénale, « nécessaire à la protection des droits d’autrui », en l’occurrence ceux de l’enfant C.

  48.  Toutefois, ce même intérêt de l’enfant exigeait aussi de permettre au lien familial de se développer à nouveau, dès que les mesures n’apparaissaient plus nécessaires (Olsson c. Suède (no 2) – 250 (27.11.92), § 90). S’il est clair que le droit de visite fut suspendu tant que les investigations sur les accusations de l’épouse du requérant n’étaient pas terminées, des retards déraisonnables dans la procédure pénale avaient un impact direct sur le droit à la vie familiale du requérant (cf. mutatis mutandis, Saggio c. Italie, no 41879/98 (Sect. 2) (fr) – (25.10.01), § 33). Du fait des carences constatées ci-avant dans le déroulement de cette procédure, on ne saurait donc considérer que les autorités luxembourgeoises aient pris toutes les mesures nécessaires que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles afin de restaurer la vie familiale du requérant avec son jeune enfant, dans l’intérêt de ces deux personnes (cf. mutatis mutandis Bronda c. Italie – Rec. 1998-IV, fasc. 77 (9.6.98), § 61).

  49.  Eu égard aux circonstances particulières de cette affaire, la Cour conclut qu’il y a, à cet égard, violation de l’article 8 de la Convention.

B.  Deuxième période à prendre en considération au titre de l’article 8 § 1 de la Convention : entre le jugement du 4 avril 2000 et celui du 10 janvier 2001

  50.  La Cour se doit de noter qu’à compter du moment où le requérant fut acquitté, l’ingérence dans son droit au respect de la vie familiale ne s’avéra plus nécessaire à la protection des droits de son enfant.

  51.  Aux yeux de la Cour, il importe à cet égard de savoir si, à compter du jugement d’acquittement, les juges civils agirent avec suffisamment de diligence pour garantir un déroulement rapide de la procédure, au vu de l’enjeu du litige pour le requérant.

  52.  En date du 4 avril 2000, le requérant fut acquitté de toutes les infractions non établies à sa charge. Il ressort du dossier que neuf mois plus tard – soit le 8 novembre 2000 – le mandataire du requérant notifia des conclusions dans lesquelles il requît un droit de visite et d’hébergement usuels en faveur de sa fille. Le jugement qui accorda le droit de visite et d’hébergement au requérant fut rendu deux mois plus tard, soit le 10 janvier 2001.

  53.  A cet égard, la Cour n’aperçoit aucune période d’inactivité imputable aux autorités internes. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention en ce qui concerne la période du 4 avril 2000 au 10 janvier 2001.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

  54.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

 « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

  55.  Le requérant réclame 750 000 francs luxembourgeois (LUF) au titre du préjudice moral subi. Il insiste, d’une part, sur l’anxiété qu’il a subie dans l’attente d’un procès pénal en tant qu’accusé d’infractions très graves pour lesquelles il fut finalement acquitté et, d’autre part, sur le fait qu’il ne put exercer le droit de visite pendant toute cette période.

  56.  Le Gouvernement conteste l’indemnisation sollicitée par le requérant tant en son principe qu’en son quantum. Il estime en effet que le simple constat d’une violation suffirait à réparer la violation éventuelle de la Convention.

  57.  La Cour estime que le prolongement de la procédure litigieuse au-delà du délai raisonnable ainsi que la privation provisoire du droit de visite et/ou d’hébergement envers sa fille ont causé au requérant un préjudice moral important justifiant l’octroi d’une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle lui alloue 15 000 euros (EUR) à ce titre.

B.  Frais et dépens

  58.  Le requérant réclame 300 000 francs luxembourgeois (LUF) au titre des frais et dépens exposés devant la Cour. Il fournit deux notes d’honoraires, datées des 13 avril 2001 et 7 mai 2001 ; les montants relatifs à la procédure devant la Cour qui y sont mentionnés sont respectivement de 42 000 LUF et 223 395 LUF. Il produit encore une facture d’un cabinet de traductions, datée du 7 juin 2001, qui porte sur un montant de 3 060 LUF au titre d’une « traduction certifiée LUX-FR d’une annonce dans l’affaire Schaal ».

  59.  Le Gouvernement luxembourgeois se rapporte à la sagesse de la Cour en ce qui concerne l’appréciation de cette demande du requérant.

  60.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, l’arrêt Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 30, CEDH 1999-V). En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable une somme de 6 579 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

C.  Intérêts moratoires

  61.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage (Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, CEDH/ECHR 2002-VI – (11.7.02)).

 
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ; 
 

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 § 1 de la Convention en ce qui concerne la période s’étalant du 13 juillet 1994 au 4 avril 2000 ; 
 

3.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention pour ce qui est de la période se situant entre le 4 avril 2000 et le 10 janvier 2001 ; 
 

4.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

      i.  15 000 EUR (quinze mille euros) pour dommage moral ;

ii. 6 579 EUR (six mille cinq cent soixante-dix-neuf euros) pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ; 
 

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

  Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 février 2003 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 
 
      Michael O’Boyle Nicolas Bratza 
 Greffier Président